Le Crapaud, le Caméléon et le Moineau : le droit d’aînesse
(N°17)L’aîné, c’est celui qui ouvre et ferme les palabres. C’est celui-là aussi qui interrompt à son gré une discussion mal venue ou mal orientée. On lui cède la place et il occupe la première place. C’est celui qui gronde qui il veut sans que l’on ne pipe mot. On la ferme. L’aîné, c’est celui que l’on ne regarde pas dans les yeux lorsqu’il parle. C’est celui-là même qui ne plonge pas ses mains dans le même bol ou la même calebasse que les autres à l’heure du repas.
Le Crapaud avait laissé entendre depuis plusieurs pluies qu’elle était le plus vieux, le plus âgé parmi toute la créature. Une idée que le Caméléon, qui se croyait à son tour être l’aîné, a réfuté d’un revers de main. Puis vint le Moineau qui, ce soir-là, s’était aussi mêlé au jeu et voulut prouver à toute oreille et à tout prix que ce droit d’aînesse lui revenait.
- Je suis le premier-né de toutes les créatures, laissa entendre le Crapaud aux cuisses toujours saillantes à éclater. Lorsque que je suis venu au monde, rien n’existait encore. La terre venait de se former et n’était constituée que de petits monticules dispersées çà et là. Voilà pourquoi quand j’ai commencé à marcher, je ne pouvais que sautiller de mont en mont. Et c’est cela qui fait qu’aujourd’hui je ne marche pas comme l’autre-là. Je sautille, je marche vite. Je suis plus vieux que le monde.
Le Caméléon, apparemment visé et en panne d’idées convaincantes, avait mordu ses lèvres avant d’ouvrir à peine ses gros yeux et de faire comprendre à qui voulait l’entendre qu’il était bel et bien celui à qui l’on devait du respect :
- Lorsque je suis né, l’univers n’était qu’à ses débuts et était toute jeune : rien, et rien n’existait autour de moi. Il n’y avait ni arbre ni être humain. La terre était informe. Elle était si fragile et si souple au point que je n’osais guère m’y appuyer de toute ma force. Je me déplaçais très doucement de peur de m’y enfoncer. Voilà pourquoi cette démarche que je garde jusqu’à nos jours vous paraît si lente.
Le Moineau avait bien suivi le débat des deux prétendants à la vieillesse et au droit d’aînesse et s’était aussi proposé de prouver qu’il était le premier-né de tout ce qui avait souffle de vie sur l’univers.
- Je suis Moineau, de la famille des maîtres-chanteurs, celui qui fait danser toute l’humanité quand j’ouvre même la bouche pour brailler. Je connais les noms et la lignée de chaque clan, de chaque individu. Je dispose de la sagesse que nul au monde ne peut égaler. Je suis l’aîné de tous et en tout. Lorsque je suis venu au monde, l’univers n’était pas encore sorti de la terre. Il n’y avait nulle part où l’on pouvait se nicher ou atterrir. Et lorsque ma mère perdit la vie, il n’y avait pas d’endroit où l’on pouvait l’inhumer. Ce qui nous obligea de l’ensevelir dans mon front. Voilà pourquoi d’ailleurs j’ai le front si saillant.
Qui de ces trois prétendants est alors l’aîné des autres ?