EDITO – A l’ère du journalisme naïf ou complice
Par BACARY DOMINGO MANE
Parce que le proverbe chinois nous apprend que «l’endroit le plus sombre est sous la lampe» et que Socrate se fait le devoir de passer tout fait à travers les trois tamis de la vérité, de la bonté et de l’utilité, qu’il ne nous est pas permis, nous journalistes, de prendre pour argent comptant tout ce qu’on nous dit.
Le journalisme naïf n’en a cure. Il s’agit d’une pratique journalistique où le professionnel n’interroge pas le fait observé ou rapporté, ne doute de rien, préférant la tranquillité de l’innocent. Se contentant parfois de la «bonne foi» de l’informateur, le journaliste naïf se mue en perroquet, répétant sans cesse des faits dénaturés par une source qui cache son jeu. C’est à travers le prisme déformant que la source nous sert un discours sur le fait, une sorte de métadiscours qui éloigne de la vérité et rapproche du vraisemblable.
L’on apprend dans les écoles de journalisme que la source a toujours un intérêt à donner une information. C’est pourquoi, il serait réducteur de tout mettre sur le dos de l’inexpérience du journaliste. Sa responsabilité est engagée lorsque, à titre d’exemple, une source lui parle «d’agression» et qu’il en conclut à une tentative de meurtre. Une légèreté qui aurait pu être évitée si le journaliste naïf s’était adressé ces questions : est-ce réellement une agression ? A-t-il été agressé ou s’est-il fait agresser ? Qui l’a agressé ? Dans quelles circonstances ? Est-ce une victime ou supposée victime ? Quel intérêt a la source à donner une telle information…
Le bon journaliste se nourrit de questionnements pour limiter les risques d’erreurs ou de manipulations. La quête de sens le plonge dans le doute permanent.
Le journaliste rationnel cultive l’esprit critique, en se faisant le devoir de penser par soi-même et non à travers des sources. Et tant qu’il n’a pas tous les éléments d’un fait, il doit avoir le courage de «suspendre son jugement». Puisque l’esprit critique implique de prendre le temps de s’informer.
Certes, nous sommes dans une société de l’immédiateté où l’information se «mange» crue, suscitant parois des réactions instantanées. C’est pourquoi le journaliste doit redoubler de vigilance. Il doit prendre conscience de la complexité du fait observé ou rapporté pour intégrer l’idée qu’il peut se tromper.
Mais derrière les rideaux du journalisme naïf, peut se cacher un «journalisme complice» où le professionnel (journaliste ou patron de presse) prête main forte aux brigands de la désinformation, moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Un conflit d’intérêt manifeste et malheureusement, non assumé.
Bacary Domingo MANE