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LA REFORME DU SECTEUR PARAPUBLIC : EVOLUTION OU REVOLUTION ADMINISTRATIVE ? (première partie)

Par Papa Assane TOURE,

Magistrat

Introduction

La loi n°90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique[1] constitue sans nul doute l’un des symboliques les plus achevés du secteur parapublic.

Après plus de trois décennies de mise en œuvre, le dispositif législatif prévu par ce texte a révélé des lacunes et il a paru nécessaire de procéder à sa refonte, par l’abrogation de la loi n°90-07 du 26 juin 1990 précitée. Tel est l’objet de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022 relative au secteur parapublic, au suivi du   portefeuille de l’État et au contrôle des personnes, morales de droit privé  bénéficiant du concours financier de la puissance publique, qui vient d’être publiée au Journal officiel[2]. Ce texte, qui trouve son inspiration philosophique dans la Doctrine de gestion du portefeuille de l’État (DGP), élaborée par le Ministère des Finances et du Budget ainsi que dans les standards internationaux dans le domaine de la stratégie de l’actionnariat public, notamment les lignes directrices de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) sur la gouvernance des entreprises publiques, a eu pour objectif général de promouvoir la bonne gouvernance dans la gestion des organismes du secteur parapublic.

Le nouveau dispositif s’articule autour d’une part, d’une option d’extension du périmètre du secteur parapublic (I) et d’autre part, d’une volonté d’amélioration de la gouvernance des entités de ce secteur (II).

  1. Une option d’élargissement du périmètre du secteur parapublic

Le législateur a procédé à l’élargissement du champ du secteur parapublic. Désormais, les entités de ce secteur comprennent d’une part les organismes publics et d’autre part les sociétés publiques. Selon l’article 3 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022 susvisée, les organismes publics sont les établissements publics, les agences d’exécution et autres structures administratives similaires ou assimilées. Ces dernières entités désignent des structures dont les modes d’organisation et de fonctionnement s’apparentent à ceux des agences d’exécution sans en prendre la dénomination, à savoir notamment les fonds, les délégations générales, les hautes autorités et les offices.

Quant aux sociétés publiques, elles désignent les sociétés nationales et les sociétés à participation publique majoritaire.

Le périmètre couvert par le secteur parapublic irradie en réalité toute la sphère publique. On peut même se demander si l’expression « secteur parapublic » est toujours appropriée. En effet, dans sa pureté originelle, en dehors des EPIC soumis en tant que personnes morales de droit public aux règles de la comptabilité publique (principe du service fait, séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable, etc.), le secteur parapublic désigne des entités, relevant de l’économie mixte, qui appliquent pour l’essentiel le droit privé (entreprises publiques).   

Mais le nouveau cadre législatif du secteur parapublic n’a pas vocation à s’appliquer à toutes les structures publiques.

D’abord, le législateur exclut expressément les ordres professionnels et les chambres consulaires. Il s’agit en réalité des établissements publics à caractère professionnel, qui selon l’article 3 de l’ancienne loi n° 77-89 du 19 août 1977 relative aux établissements publics, aux sociétés nationales aux sociétés d’économie mixte et aux personnes morales bénéficiant du concours financier de la puissance publique[3], « sont chargés de l’organisation ou de la représentation d’une profession ou d’un groupe de profession et bénéficiant à ce titre de certaines prérogatives de puissance publique » [4].

Ensuite, la loi d’orientation n’a pas vocation à s’appliquer aux autorités administratives indépendantes (AAI)[5]. Il s’agit d’autorités agissant au nom de l’État de manière autonome et indépendante, c’est-à-dire sans être subordonnées au Gouvernement ou à l’Assemblée nationale; mais qui sont soumises au contrôle du juge. L’exclusion des AAI du secteur parapublic se justifie puisque si ces entités appartiennent à l’appareil administratif (ce sont des autorités administratives), elles ne sont soumises ni à la tutelle, ni au pouvoir hiérarchique de l’État. Dès lors, elles ne sauraient être considérées comme des structures administratives similaires ou assimilées, lesquelles sont généralement placées sous la tutelle de services de l’État (Présidence de la République, Primature, ministères)[6]. Traditionnellement, les AAI sont simplement rattachées aux services de l’État, en raison de leur dépendance budgétaire à l’égard des structures étatiques.

Enfin, sont aussi exclus du domaine du secteur parapublic, les organismes de protection sociale, à savoir les institutions de prévoyance sociale, comme la Caisse de Sécurité Sociale (CSS) et l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES), même si l’article 54 alinéa 3 de la loi organique du 26 février 2020 relative aux lois de finances les considère comme des « organismes publics ».  

La situation peut être complexe puisque certaines entités, bien que relevant « virtuellement » du secteur parapublic, ne devraient pas être soumises à la loi d’orientation[7]. Il en est ainsi des sociétés anonymes à participation publique majoritaire, dites « sociétés à statut spécial »[8], qui interviennent dans des secteurs stratégiques, notamment le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS)[9], la société APIX-SA[10] et la société AIBD-SA[11], dont les textes excluent expressément l’application de l’ancienne loi n° 90-07 du 26 juin 1990.

Toutefois, l’extension du champ du secteur parapublic pourrait poser de délicats problèmes d’articulation juridique, si l’on sait que les entités attirées dans l’orbite du secteur parapublic (établissements publics, agences d’exécution, sociétés publiques, etc.) étaient déjà régies par des textes spécifiques.

En tout état de cause, le législateur n’a pas entendu pour autant faire table rase des textes particuliers applicables à ces entités. D’après l’article 15 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022, la création, l’organisation et le fonctionnement des entités du secteur parapublic sont conformes aux règles particulières applicables à chaque type d’organisme. Ainsi, le législateur laisse subsister les règles particulières applicables à ces entités non contraires à la loi d’orientation, qui ne constitue qu’un cadre général fixant les règles de base applicables au secteur parapublic, tout en laissant jouer les normes spécifiques non contraires. C’est tout le sens qu’il convient de donner au recours à l’instrument normatif de la loi d’orientation. En effet, selon la circulaire n° 0010 PM/SGG/SGA/PAT du 05 juillet 2016 sur l’objet et les techniques de rédaction des lois d’orientation, la loi d’orientation fixe le cadre dans lequel doit être conduite une politique publique dans un secteur d’activité déterminé. La loi d’orientation constitue en réalité le cadre juridique pertinent dans lequel doivent se mouvoir les interventions étatiques dans le secteur parapublic [12].

La mise en place de comités scientifiques et techniques au sein des conseils d’administration des établissements publics à caractère scientifique et technologique constitue un exemple typique de l’application de dispositions particulières non contraires. En effet, selon l’article 9 de la loi n°97-13 du 26 mai 1997 portant création des établissements publics à caractère scientifique et technologique et fixant leurs règles d’organisation et de fonctionnement, le comité scientifique et technique est un organe consultatif du conseil d’administration qui donne son avis sur les grandes orientations de la politique scientifique et technologique ainsi que sur les programmes de recherche. Cette disposition n’est pas contraire à la loi d’orientation qui prévoit, en son article 24, l’institution par l’organe délibérant de comités spécialisés chargés de l’éclairer, à titre consultatif.

La même observation vaut pour les conseils académiques créés au sein des établissements d’enseignement supérieur publics par l’article 14 de la loi n° 2015-26 du 28 décembre 2015 relative aux universités publiques, qui sont des instances de délibération sur toutes les questions d’ordre académique.

En outre, la subsistance des règles particulières applicables aux entités du secteur parapublic se manifeste par la soumission de principe des sociétés publiques au droit commun de l’OHADA. En effet, en vertu de l’article 18 de la loi d’orientation, la création des sociétés à participation publique majoritaire obéit au droit commun des sociétés commerciales de l’OHADA et n’exige pas l’intervention d’un acte législatif ou réglementaire. Elle suppose seulement l’accomplissement des formalités de constitution des sociétés commerciales prévues par l’AUSCGIE (établissement des statuts, souscription du capital et inscription au registre du commerce et du crédit mobilier)[13].

Toutefois, l’article 15 de la loi d’orientation précise que les dispositions de ladite loi s’imposent dans tous les cas où elles sont en conflit avec les règles particulières applicables aux entités du secteur parapublic. Ainsi, les dispositions du décret n° 2009-522 du 4 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution, selon lesquelles le conseil de surveillance comprend au plus neuf membres, sont neutralisées par l’article 20 de la loi d’orientation qui porte le nombre maximum de membres de l’organe délibérant à douze, y compris, les administrateurs indépendants[14]

La primauté des règles prévues par la loi d’orientation sur les normes particulières applicables aux entités du secteur parapublic en cas de conflit concerne également les dispositions des Actes uniformes de l’OHADA applicables aux sociétés publiques. Il peut paraître curieux que les dispositions nationales de la loi d’orientation l’emportent sur les normes supranationales du droit uniforme de l’OHADA.

Mais en droit uniforme des sociétés commerciales, la volonté du législateur de l’OHADA d’unifier les législations nationales[15] s’est vite inclinée devant la particularité de certaines sociétés dites « sociétés soumises à un régime particulier ». Il résulte, en effet, de l’article 916 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) que les dispositions de cet Acte uniforme s’appliquent aux sociétés soumises à un régime particulier « sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties ». La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA a eu l’occasion, dans son avis n° 002/2016 du 18 octobre 2016[16], de rappeler que : « la notion de « société soumise à un régime particulier » désigne toute structure juridique revêtant une des formes prévues par l’AUSCGIE qui, en raison de ses activités ou de la mission d’intérêt général qu’elle accomplit, est soumise à certaines règles de droit sectorielles ou dérogatoires du droit commun des sociétés commerciales de l’OHADA ». Les sociétés publiques, dont la particularité est liée à la présence d’une autorité publique dans le capital social, occupent une place de choix dans les sociétés à régime particulier[17].

Le législateur communautaire a ainsi élevé le droit uniforme de l’OHADA au rang de droit commun des sociétés publiques, le droit national des entreprises publiques hébergé par la loi d’orientation, faisant office de droit spécial. Le statut de droit spécial conféré au droit national des sociétés publiques est conforté par l’article 18 de la loi d’orientation. Selon ce texte, les statuts des sociétés publiques sont conformes aux dispositions de l’AUSCGIE de l’OHADA, sous réserve des dispositions particulières prévues par cette loi.

Papa Assane TOURE

Magistrat

Docteur en Droit privé et Sciences criminelles

Secrétaire général adjoint du Gouvernement

chargé des Affaires juridiques


[1] JORS n° 5358 du 7 juillet 1990, p. 325.

[2] JORS, n° 7516 du 21 avril 2022, p. 353.

[3] JORS n° 4586 du lundi 12 septembre 1977, p. 1177.

[4] V. MEFP, Guide de l’administrateur, décembre 2016, p. 18.

[5] B. SALL, Contribution à l’étude des autorités administratives indépendantes, Thèse doctorat d’État, Poitiers 1990 ; NG. NGOM, Réflexion sur un phénomène récent en Afrique : les autorités administratives indépendantes, Thèse doctorat d’État, Dakar, 2001.

[6] P. A. TOURE, « Du sens et de la portée de la tutelle exercée par l’État sur les structures administratives autonomes», Le Soleil n° 15408 du mercredi 06 octobre 2021, p. 16.

[7] V. notamment, la loi n° 75-50 du 03 avril 1975 relative aux institutions de prévoyance sociale.

[8] V. MEFP, Guide de l’administrateur, décembre 2016, p. 8.

[9] V.  art. 22 de la loi n° 2012-34 du 31 décembre 2012 autorisant la création d’un Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS).

[10] V. art. 7 de la loi n° 2007-13 du 19 février 2007 autorisant la création d’une société anonyme à participation publique majoritaire, dénommée « APIX-SA ».

[11] V. art. 5 de la loi n° 2009-05 du 09 janvier 2009 autorisant la prise de participation majoritaire de l’État dans la société AIBD.

[12] P. A. TOURE, Légistique. Techniques de conception et de rédaction des lois et des actes administratifs. Une tradition de gouvernance normative, Dakar, l’Harmattan, n° 146.

[13] V. notamment l’art. 97 de l’AUSCGIE.

[14] V. art. 20 de la loi d’orientation n° 2022-08 du 19 avril 2022.

[15] V. J. ISSA-SAYEGH et J. LOHOUES-OBLE, OHADA. Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, Bruyant, 2002, p. 120.

[16] CCJA avis n° 002/2016 rendu par la CCJA lors de la séance du 18 octobre 2016 sur demande d’avis n° 01/2016/AC du 18 juillet 2016 du Président du Conseil des ministres de l’OHADA.

[17] P. G. POUGOUÉ, « Les sociétés d’État à l’épreuve du droit OHADA », Juridis périodique n° 65, janvier-février-mars 2006, p. 100 ; S. BOUKARI, L’application des textes OHADA aux entreprises publiques : l’exemple de l’AUSCGIE et GIE, thèse, Maastricht, 2015, p. 3

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