REGARD PHILOSOPHIQUE

L’heure est maintenant venue…

Par M. Baye Modou Sall

La pandémie du Covid-19 qui n’est plus à présenter doit porter conseil à l’humanité tout entière, mais à l’Afrique en particulier. A l’Afrique, en ce qu’elle n’a pas cessé jusque-là de confondre, à la pleine affirmation d’un manque de dirigeants compétents et affranchis de toute manipulation occidentale, l’urgent et le dérisoire, le nécessaire et le contingent, l’utile et l’inutile. L’heure est maintenant venue pour nous autres Africains de se poser des questions sérieuses et chercher à leur trouver des solutions sérieuses. Quelle leçon faut-il tirer de la pandémie ? Quel doit être l’avenir de l’Afrique au lendemain du covid-19 ?

I- Un problème interne

Le contexte actuel, tout porte à le croire, doit servir telle une aubaine, de prise de conscience et de réveil au continent africain de son sommeil profond. Cette maladie si soudaine avec une propagation mondiale exponentielle, frappant de plein fouet toute l’humanité a le mérite de nous renseigner une fois de plus au moins sur une chose : au moment où tout semble être perdu dans le monde, chaque nation ne peut s’en remettre qu’à son propre peuple autant dire que chaque peuple ne peut compter que sur lui-même. La fermeture des frontières l’illustre de fort belle manière. L’Afrique que nous concevons ici comme une seule Nation au destin commun malgré les différences, (parce que c’est notre souhait le plus absolu) doit le comprendre plus que jamais aujourd’hui. L’heure est maintenant venue pour le continent africain de s’inscrire dans une véritable dynamique de « la traversée », terme que nous trouvons dans la pensée du camerounais Jean-Godefroy Bidima qui, pourtant, semble même anticiper sur la question bien avant cette crise lorsqu’il écrit que : « l’essentiel n’est plus de dire ce que l’Afrique a été, mais ce qu’elle devient (ce par quoi elle passe). »[1] A l’orée de l’ère moderne qui se profile à l’horizon avec cette pandémie, de tels propos doivent regagner en vitalité en nous invitant à faire une conversion du regard portant sur le devenir de l’Afrique. Devenir qui ne peut être envisagé sans une compréhension succincte de ce qui gangrène le continent, compréhension sans laquelle le saut qualitatif ne serait qu’un simple onirisme béat. Le problème de l’Afrique, c’est avant tout et d’abord les Africains eux-mêmes tel un enfant dans le ventre de sa maman, mais qui lui donne des coups de pied.

        D’abord, chaque pays cherche depuis les indépendances à tirer son épingle du jeu au lieu de travailler en synergie et de façon collective avec les autres dans une symbiose. L’exemple le plus récent nous a été servi par le patron de la riposte en RDC, le professeur Jean-Jacques Muyembé qui avait déclaré (même s’il a rectifié par la suite) qu’il pourrait y avoir des essais cliniques sur un éventuel vaccin contre le coronavirus dans son pays. Il s’agit du vaccin du BCG dont parlaient sur la chaîne LCI en France le professeur Jean-Paul Mira et son acolyte Camille Locht qui d’après eux, l’Afrique serait un bon vivier de cobayes pour tester des vaccins. Ainsi laissait entendre Mira : « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida. » Au moment où tous les Africains d’ici et d’ailleurs vitupèrent et condamnent sans réserve ces propos abjects, insultants, provocateurs et racistes qui heurtent leur sensibilité, leur dignité, certains décideurs et dirigeants Africains erratiques et péremptoires pourrait-on dire, seraient prêts à accepter un essayage sur leur peuple, quant à d’autres, ils baignent jusque-là dans un mutisme incompréhensible. Quel manque de respect au peuple Africain pour ceux-là ! Quel manque de courage pour ceux-ci !

         Ensuite, demeurant jusque-là dans sa velléité, l’Afrique tarde encore à prendre des décisions fermes face à ce mélange bigarré de maux qui la tire depuis plusieurs années vers le bas. Parmi ces maux, on peut citer entre autres la famine, le terrorisme, la boulimie du pouvoir et la mal-gouvernance, la corruption et le bafouillage des droits démocratiques avec l’incarcération des hommes politiques le plus souvent ceux de l’opposition. Par conséquent, nous assistons aujourd’hui à une « jeunesse africaine disproportionnée, grouillante, désorientée, qui balance entre les deux visages d’une même inquiétude. »[2] Pour parler un peu comme Souleymane Bachir dans comment philosopher en Afrique.

        Enfin, nous sommes si distraits et divertis par les autres (les occidentaux en particulier), et peut-être intentionnellement, d’une façon telle que pour une critique venant des autres, nous nous sentons tellement offensés, au point qu’on ne saurait regarder tout ce qui pourrait, dans  cette critique, nous rapporter un bien, car rappelons-le, la critique a ceci de positif : elle permet de faire un retour sur soi et tenter de se corriger et de s’améliorer. D’ailleurs, une auto-flagellation n’est pourtant jamais de trop. Refuser la critique, quelle mesquine vanité ! Certes, il est important de condamner tout manquer de respect, d’ailleurs cela n’est plus une leçon à enseigner aux Africains. Car l’Afrique n’a jamais voulu être un peuple soumis, mais il ne sert à rien de déblatérer sur tous les toits et d’en faire un pataquès. Cela est tout simplement une façon de se victimiser. A vrai dire, la victimisation grossière et crasse est devenue monnaie courante en Afrique et cela depuis belle lurette. Cela ne nous fait pas avancer en rien. Quelque fois il faut laisser les gens baver et se concentrer sur l’essentiel. L’heure n’est plus à la victimisation, mais au travail pour se frayer une bonne place sur l’échiquier du développement mondial.

II- Un changement de paradigme

       Tous ces maux doivent être emportés par la pandémie, tel un tourbillon subversif renversant tout sur son passage pour ne laisser sur place qu’une volonté de reconstruction. L’Afrique est à reconstruire au lendemain du covid-19, car le contient est déjà vieux de ce qu’il a incorporé injustement.

      L’heure est maintenant venue pour l’Afrique de comprendre qu’à chaque fois que l’essentiel ou mieux encore l’intérêt général est en danger, s’unir et se tenir la main dans la main est une obligation. Dites-nous que l’essentiel est toujours en danger pour l’union soit toujours une obligation. Le Sénégal a donné un exemple d’union à l’occasion de l’Etat d’urgence décrété par le Président de la République pour endiguer la propagation du virus en réunissant autour d’un même idéal tous les partis politiques, les autorités religieuses, les bonnes volontés entre autres.

       L’heure est maintenant venue pour que l’unité africaine tant prônée par le professeur et diplomate Africain Edward Blyden soit pleinement réalisée. Les pays africains sont aujourd’hui dans l’obligation de suivre la voie qui leur a été tracée par le covid-19 en transcendant le morcellement de leurs différentes entités, les divisions politico-idéologiques et travailler de concert pour que triomphe encore et encore l’expertise africaine.

      Le coronavirus aura alors appris à l’Afrique qu’il est temps d’opérer un véritable changement de paradigme sur le plan intellectuel, économique, politique entre autres, avec comme base le panafricanisme, non pas en tant concept creux, mais une réalité, une prise de conscience de la réalité concrète des populations africaines. Il est temps que nos dirigeants cessent d’être de véritables bâtons dans les roues de ce panafricanisme en se laissant invraisemblablement manipuler par l’Occident.

     Parlant même de l’Occident et sans aucune prétention afrocentriste, son rideau d’oripeau vient de tomber avec cette pandémie car il a été encore une fois de plus démythifié et démystifié comme ce fut le cas de l’homme blanc lors de la première guerre mondiale avec les soldats Africains. L’on nous a toujours parlé de la superpuissance occidentale, certes beaucoup de progrès du côté de l’Occident portent peut-être à le croire et nous ne nions en aucune manière par fatuité le mérite de ces pays sur tous les plans, mais paradoxalement ces superpuissances peinent aujourd’hui à faire face à la pandémie et enregistrent chaque jours des centaines de morts au moment où le continent africain, celui des « moins civilisés » comme ils l’ont toujours prétendu s’en sort bien avec une bonne maîtrise de la situation. Alors quelle leçon faut-il en tirer ? Elle est très simple : l’Afrique n’est pas du tout ce qu’on lui fait croire. Lorsque le courage de tout un peuple est conjugué, celui-ci peut même arrêter la mer avec ses bras. Le coronavirus nous a montré que nous ne sommes pas naturellement des réceptacles passifs, nous avons un rôle à jouer dans la bonne marche de l’humanité. Dès lors, il est temps pour nous Africains de comprendre l’esprit ces propos de Felwine Sarr selon qui : « il n’est pont de fatalité historique à laquelle seraient soumises les sociétés, à condition de concevoir leur avenir, d’en avoir une vision et d’agir dans le temps présent pour transformer leur réalité. »[3] L’heure est maintenant venue pour qu’on ait une bonne estime de nous-mêmes et de notre expertise.    

       La pandémie nous a ainsi appris que l’éducation, la santé, l’agriculture entre autre sont, en dernier ressort, les leviers de tout développement. L’heure est maintenant venue pour que l’Afrique le comprenne en investissant plus dans ces secteurs qui drainent avec eux une importance cruciale. Ainsi fait, elle réveillera les talents qui sommeillent en chacun de ses fils en leur octroyant une formation de qualité accompagnée d’un emploi rémunéré à sa juste valeur.

      La maladie du coronavirus doit en outre permettre à l’Afrique de comprendre plus que par le passé qu’elle a un bijou qu’elle doit conserver précieusement à savoir sa population très jeune. Un atout que l’Occident cherchera bien sûr à récupérer après le covid-19 par manque de main d’œuvre. Ils feront appel à l’émigration clandestine et des milliers de nos jeunes risquent de mourir encore. Gouverner, c’est prévoir, il est temps d’y penser. Et c’est ici le lieu de souligner alors  avec force qu’il est temps que cette jeunesse africaine cesse de prêter le flanc dangereusement au risque de cette émigration clandestine et ainsi être consciente du rôle qu’il a à jouer dans le développement de l’Afrique car c’est elle qui doit construire l’Afrique de l’après covid-19.

      En gros, L’heure est maintenant venue de sortir l’Afrique de la torpeur, de la léthargie dans laquelle elle est plongée jusqu’au tréfonds. Pour ce faire, « Il s’agit en quelque sorte de déplacer nos objectifs, nos buts et nos rêves ; de remodeler nos jugements et notre conduite sur d’autres valeurs et de donner la priorité à la qualité, au seul mérite, et à l’intérêt général. »[4] Comme le pense bien le juge Kéba Mbaye lors de sa leçon inaugurale à l’UCAD en 2005.

 BIBLIOGRAPHIE

BIDIMA Jean-Godefroy, « Introduction de la traversée : raconter des expériences, partager le sens », Collège international de philosophie, Vol 2, n°36, 2002.

DIAGNE Souleymane Bachir, Comment philosopher en Afrique, France, Journée de la philosophie à l’UNESCO en 2004.

 MBAYE KEBA, Leçon inaugurale, Sénégal, UCAD, 14 Décembre 2005.

SARR Felwine, Afrotopia, Paris, Editions Philippe Rey, 2016.

Baye Modou Sall

Professeur de philosophie au Lycée de Bambey Sérère


[1] Jean-Godefroy Bidima, « Introduction de la traversée : raconter des expériences, partager le sens », Collège international de philosophie, Vol 2, n°36, 2002, p. 3.

[2] Souleymane Bachir Diagne, Comment philosopher en Afrique, France, Journée de la philosophie à l’UNESCO en 2004, p. 8.

[3] Felwine Sarr, Afrotopia, Paris, Editions Philippe Rey, 2016, p. 133.

[4] Kéba Mbaye, Leçon inaugurale, Sénégal, UCAD, 14 Décembre 2005, p. 7.

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