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C’est tout simplement scandaleux : du café au lait, ils sont même capables de voler le lait

          Par Baye Modou Sall, Professeur de philosophie

Un amateur de la musique reggae aura très vite compris que c’est le chanteur ivoirien Alpha Blondy qui, dans une de ces chansons à valeur satirique pour dénoncer le vol, le mensonge et les magouilles de nos hommes politiques en Afrique, dit ceci : « du café au lait, ils sont capables de voler le lait. » Ne vous-empêchez pas certes de rire de cette boutade, mais ne perdez pas non plus de vue la vérité qui s’y dégage car il ne se passe un jour où nous n’apercevons pas dans nos Etas des vols spectaculaires de nos derniers publiques. Du centime le plus insignifiant pour nous aux milliards les plus nombreux à nos yeux, ces voleurs, tels des enfants affamés sucent à glouton nos maigres moyens. Des crimes qu’on ne peut pas contempler sans être saisi de honte doublée d’une rancœur. Et de tous ces Etats africains champions de la malversation, il semble que le Sénégal occupe la première place et règne sans partage sur cet échiquier des antivaleurs démocratiques puisque l’impunité plane et surplombe tous nos secteurs donnant ainsi le droit à nos dirigeants de se servir de nos institutions pour ruiner notre patrie en profitant adroitement de leur pouvoir. Ne donnent-ils pas vraiment trop d’étendue à leurs droits et pouvoirs ? Tout est bien en place pour le confirmer, si tant est qu’ils continuent à piller impunément notre trésor qu’ils devraient pourtant travailler inlassablement à enrichir. A ce titre, le rapport de la cour des comptes publié le 19 Aout 2022 estomaque plus d’un et constitue une preuve tangible du vol ad nauseam et de la gloutonnerie de nos décideurs politiques qui ont l’heureux talent du détournement. Parlant de ladite Cour, évacuons vite et très rapidement tout esprit de prosélytisme malintentionné qui voudrait jeter le discrédit sur elle et cherche à nous faire croire, en continuant à seriner sempiternellement dans nos oreilles, que cette institution n’est pas digne de confiance. Vous avez le droit de le penser car les pensées sont libres, mais tort de le dire à ceux qui savent que votre position est toujours manichéenne, tant que ce n’est pas dans votre intérêt, c’est le diable. Nous ne sommes pas partisan de la pensée unique et nous ne sommes non plus, loin s’en faut d’ailleurs, dans le secret des dieux, mais nous admettons et restons convaincu qu’il n’y a pas plus crédible que cette institution car selon l’article 30 de la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 sur la Cour des Comptes, on lit en son alinéa 2 que : « la Cour contrôle la régularité et la sincérité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités publiques. Elle s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l’Etat et par les autres organismes publics » (sic). Dès lors, même les dieux ne pourront pas s’empêcher de rire d’une telle effronterie de ces bouffons, fripons et escrocs qui, parce qu’épingler par cette Cour, veulent la discréditer aujourd’hui. Nous disons niet !

En lisant verbatim ce rapport, on voit combien cet audit portant sur la gestion des ressources mobilisées dans le cadre de la riposte contre la COVID-19 a mis à nu les minutieux accommodements de ces hommes véreux pour détourner cet argent d’une façon telle que n’eut été l’ingéniosité d’esprit de nos enquêteurs et contrôleurs, ce scandale, qui déroute toute rationalité nous filerait entre les doigts et se déroberait à nos yeux au fur et à mesure qu’on cherche le comprendre. L’audit a arraché à nouveau le masque de voleur qui continuer de couvrir le visage mal assuré de nos politiques, visage dont la rougeur après publication témoigne encore de l’énormité de leurs crimes. On comprend maintenant pourquoi certains hommes politiques se retrouvent toujours avec des milliards en un temps record pour très peu de peines et d’efforts. Un scandale jamais égalé en de pareille circonstance de crise : des structures budgétivores créées et qui n’ont jamais fonctionné comme on peut le lire à la page 18, des marchés de gré à gré, une absence totale d’appel d’offre dans l’octroi des marchés donc absence de mise en concurrence faisant gagner une seule personne du nom de Madame Ndèye Katy GADIAGA, une valeur de 15 578 132 877 FCFA, ce qui, dans un Etat normal devrait correspondre à 17 marchés d’après le rapport. A ce propos, on peut lire à la page 14 dudit rapport que : « La Cour constate, dans certains cas, un renchérissement des coûts d’acquisition du fait de l’absence de mise en concurrence et une contractualisation avec un nombre très limité de fournisseurs. »[1] Pourtant, ce n’est pas tout car plus grave encore, « les opérations de dépenses en lien avec la pandémie ne sont pas donc soumises au contrôle tel que prévu par les dispositions de l’article 205 du décret n°2011-1180 du 24 novembre 2011 portant Règlement général sur la Comptabilité publique »[2] poursuit le rapport de la Cour des Comptes. Vraiment ce manque de sérieux dans ce pays dépasse la limite du négociable car dépenser des milliards sans l’exercice d’aucune traçabilité ou de contrôle est un manque de respect notoire envers les sénégalais. Pire encore, nos autorités politiques s’arrogent le droit discrétionnaire de gérer nos ressources, mais de refuser quelque fois de répondre à nos inquiétudes et interrogations comme si ce pays était leur propriété privée. Pour preuve, « interpellé sur cette absence d’un dispositif de contrôle interne spécifique dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, le Ministère de la Santé et de l’Action sociale n’a apporté aucune réponse »[3] Quelle mesquine vanité !

Très attentifs à ménager des techniques et des tactiques de vol et de détournement, voilà tout ce que nos hommes politiques possèdent pour se donner ignominieusement la réputation d’être de gens doctes.

De toute cette gestion nébuleuse des fonds FORCE COVID-19, le coup de grâce qui nous a rendu tous inerte parce que plus que surprenant, reste ce détournement de presque 3 milliards de l’argent des contributions volontaires des sénégalais. Ainsi écrit le rapport : « La Cour relève un écart de 2 877 971 559 FCFA entre le montant des contributions volontaires annoncé dans le PLR 2020 d’un montant de 19,958 milliards de FCFA et celui du relevé du compte de dépôt n°3683106 spécial Fonds Coronavirus/COVID 19 ouvert dans les livres de la Trésorerie générale qui affiche un montant de 17 080 028 441 F CFA au 31/12/2020 au titre des appuis. »[4] Voilà des gens au cœur rempli de larve et qui battent la forteresse de leur richesse sur l’empire des biens mal acquis car voler vraiment la contribution des pauvres sénégalais qui ne gagnent leur vie qu’en épuisant leurs forces et après avoir sué sang et eau est d’une rare cruauté. La générosité et l’altruisme des sénégalais lors de la pandémie à faciliter encore la gloutonnerie, la méchanceté et l’enrichissement illicite de nos décideurs. Ce qui prouve que nul sentiment de pitié, nul sentiment de venir en aide la population ou de la sauver n’émane de nos gouvernants. Ce à quoi nous assistons dans notre société depuis quelque temps est tout simplement ce que Bernard Sichère appelle en des termes justes et adéquats dans son ouvrage intitulé Eloge du sujet une « gangstérisation tendancielle », une « criminalité d’Etat ». Ce pays est donc à terre et il semble qu’il est même au-dessus du pouvoir des Dieux de vouloir redresser la pente. Le Sénégal est devenu un point mort dans la vie active des valeurs démocratiques. Et s’il y avait un hôpital pour interner des pays malades afin de les soigner, le sénégal y serait acheminé depuis belle lurette en urgence pour y subir une thérapie. A nos gouvernants, retenez ceci : à la fin de votre mandat, ce ne sont pas des déloges pompeux pour des gestes chevaleresques qui vous attendent, mais plutôt des visages renfrognés qui vous rappelleront vos bêtises du passé.

Baye Modou Sall

Professeur de philosophie au lycée de Bambey Sérère


[1] Cour des Comptes/Contrôle de la gestion du Fonds de Riposte et de Solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid), Rapport définitif, Babacar Bakhoum (sous la dir.), Aout 2022, p. 16.

[2] Cour des Comptes, op cit.,p. 14.

[3] Cour des Comptes, op cit., p. 19.

[4] Cour des Comptes, op cit., p. 44.

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