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QUELLE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE CHOMAGE AU SENEGAL ?

Par    Daouda DIEDHIOU, professeur de français

Réagissant le soir du lundi 08 mars 2021sur les évènements  ayant secoué le pays pendant plus d’une semaine, le Président de la République a entre autres, disant ayant bien compris le message de la jeunesse, abordé la question du chômage, phénomène qui a atteint des proportions inquiétantes en milieu urbain comme en milieu rural. L’écho du cri de cœur de la jeunesse sénégalaise est encore retentissant : ce fut un cri de détresse qui résonnera encore tant que des mesures structurelles ne seront pas prises pour juguler le phénomène.

         Les difficultés enregistrées dans la lutte contre le chômage au Sénégal ne sont pas à ce jour dues à un manque de volonté politique. La résolution de mettre en adéquation l’offre de travail, voire la compétence en général – la formation en particulier – avec l’offre d’emploi, l’ouverture d’un nombre important d’écoles et d’instituts de formation à travers le pays, la création de multiples lignes de financement des jeunes et des femmes diplômés et non diplômés ainsi que la mise en place de structures de réponse à la demande de l’emploi (FNPJ, ANEJ, etc.) ont fini de démontrer que l’Etat, depuis le magistère d’Abdou DIOUF jusqu’ à celui de Macky SALLA en passant par celui d’Abdoulaye WADE, fait de la politique de l’emploi des jeunes et des femmes une priorité.

Il se pose cependant un certain nombre de problèmes dans la faisabilité de cette politique, à savoir :

  • Une formation qui a encore beaucoup à s’améliorer sur le plan qualitatif : les structures de formation accueillent beaucoup d’étudiants en effet, ne les forment pas toujours suffisamment, ne les encadrent pas toujours bien pour la soutenance du mémoire et délivrent le diplôme presqu’à tous, déversant ainsi dans le panier de l’offre de travail un nombre important de jeunes sans bagage théorique solide.
  • Des erreurs dans le choix des hommes et femmes devant piloter, au nom de l’Etat, les structures de réponse à la demande d’emploi et le mauvais ciblage des demandeurs d’emplois : le clientélisme politique et le népotisme en sont dans la pratique des critères fondamentaux ; de sorte que ce ne sont pas toujours des porteurs de projets qui bénéficient de financement et ceux qui en sont porteurs n’ont pas le plus souvent des documents bien ficelés.
  • Un manque d’informations fiables sur les véritables motivations des demandeurs d’emplois : si certaines demandes sont caractérisées par leur manque de sincérité dans la formulation des objectifs – leurs porteurs n’ayant pas à proprement parler une idée nette de ce qu’ils désirent faire et de comment ils envisagent le faire – d ’autres cachent leurs véritables intentions qui sont d’investir les fonds obtenus dans l’émigration ou dans des actions ou activités non productives tels que le mariage, le baptême, le remboursement de dettes, etc.
  • La difficulté pour l’offre d’emploi de supporter l’offre de travail, vu non seulement l’incapacité des établissements de formation de « bien former pour qualifier » mais aussi et surtout le nombre insuffisant de réceptacles économiques tant dans le secteur primaire que secondaire et tertiaire : le tissu entrepreneurial (industries et entreprises) est si étroit qu’il constitue une offre (d’emploi) inférieure à la demande (d’emploi) et la crise causée par la COVID-19 est venue élargir le fossé, rendant ainsi tout espoir incertain en la matière.

De mon point de vue, le salut dans la politique de lutte contre le chômage réside dans une volonté politique de réformer toute la chaîne allant :

  • de la formation, voire de la qualification à l’insertion, pour certains citoyens qui n’aspirent pas à ouvrir leurs propres affaires
  • et de la formation jusqu’à la phase d’exploitation en passant par le stage, l’offre de financement et la phase d’installation, pour ceux qui sollicitent des financements aux fins d’être des entrepreneurs.

Il faudra pour ce faire :

  1. Améliorer le panier de l’offre de formation ainsi que les conditions d’accès à la formation, pour offrir aux jeunes davantage de chances d’avoir une solide qualification : l’Etat devra maintenir le cap non seulement dans l’autorisation d’ouverture d’établissements de formation, dans leur agrément et dans l’octroi de bourses aux étudiants, mais aussi veiller à la qualité des structures d’accueil, de leurs équipements, des enseignements-apprentissages, des évaluations, des encadrements.

Cette qualification, surtout dans des secteurs productifs, appuyée par une solide formation à la citoyenneté, pourrait faire l’objet d’une intégration dans la formation militaire au niveau des Centres d’instruction : tous les recrues doivent subir une formation polyvalente, de sorte qu’au lieu de se débarrasser de ceux qui n’ont pas la chance d’être réengagés, formés qu’ils sont au maniement des armes pour ne pas dire à tuer,  l’Etat les organise en GIE qu’il encadre sérieusement, s’il ne les insère pas purement et simplement en les affectant dans des réceptacles privés, sinon dans des domaines publics situés tout à fait loin de Dakar et où ils seront bien rémunérés afin d’assurer au pays entre autres la sécurité alimentaire.

  • Rationaliser les structures de réponse à la demande d’emploi afin de rendre efficace la politique d’emploi dans le pays : réduction du nombre de structures et affecter dans ces structures d’hommes et de femmes qu’il  faut aux postes qu’il faut.
  • Mettre en place, autour des Sous-préfets et selon les spécificités des zones, des Centres d’animation économique et d’encadrement des acteurs de la création de richesses, sortes de staffs multidisciplinaires  mis dans des conditions de travail et de vie acceptables : Experts en animation économique, Experts en montage de projets et en création d’entreprises, Ingénieurs agronomes, Ingénieurs en Elevage, Ingénieurs en Aquaculture, Ingénieurs en Apiculture, Ingénieurs en Transformation et Qualité, Experts en stratégie d’entreprise, Environnementalistes, Conseillers commerciaux et en Marketing, Conseillers en gestion administrative et financière, etc.
  • Organiser l’offre de financement non pas sur la base du clientélisme politique ou du népotisme, de l’inscription en ligne ou du dépôt simple de dossiers, mais sur la base de concours sélectifs qui permettront d’octroyer des financements :
  • aux meilleurs pour créer des entreprises individuelles
  • et aux autres, y compris ceux sans formation et qui ont besoin d’emplois, pour des projets collectifs dans le cadre de GIE où ils seront soumis à l’apprentissage dans le tas, un des principes de la Gestion Axée sur les Résultats (GAR), surtout dans le secteur primaire où le champ, le périmètre maraîcher, l’unité avicole, le domaine apicole, le domaine aquacole, etc., seront des écoles.
  • Accompagner, assister et encadrer les bénéficiaires dans le montage technique et financier de leurs projets, dans le suivi de leurs demandes de financement, dans les phases d’installation et d’exploitation de leurs projets, dans la gestion administrative et financière, etc., de manière à ce que efficacité et efficience soient visibles et palpables et que leurs activités, par conséquent, ne soient pas seulement génératrices de revenus mais mieux créatrices de richesses : l’on doit dépasser aujourd’hui le stade où la réussite dans la prise en charge des besoins familiaux du citoyens s’assimile, pour assurer la dépense quotidienne par exemple, pour acheter des cahiers à son enfant, au fait de compter au jour le jour sur son chiffre d’affaires en fin de matinée ou de journée ; l’on doit faire des citoyens et citoyennes de véritables hommes et femmes riches, capables non seulement d’épargner mais aussi et surtout d’investir pour mieux aider à leur tour l’Etat dans sa politique de résorption du chômage.
  • Faire, dans cette politique, de la fixation des jeunes en milieu rural non pas la priorité, mais une priorité, tout en encourageant ceux qui ont rejoint les villes à retourner au bercail pour mettre en valeur la terre dite de leurs ancêtres (les zones frontalières ne devront pas être mises en rade) : cela aura l’avantage de décongestionner les villes et subséquemment d’y régler beaucoup d’autres problèmes.
  • Créer simultanément les conditions idoines d’écoulement de l’offre en liant la production à la commercialisation, la production à la transformation, la transformation à la commercialisation : le désenclavement des zones de production est une de ces conditions ; de même l’incitation :
  • à produire selon le type d’industries existantes,
  • à créer des unités de transformation selon les types de production existants,
  • à intégrer le marché national dans le cadre de systèmes de réseaux de marchés hebdomadaires organisés autour des Pôles de développement,
  • à conquérir le marché international, directement ou via le dispositif que l’Etat est en train de mettre en place dans le site des affaires de Diamniadio.

          La nouvelle politique de lutte contre le chômage, tel que je m’imagine la mettre en œuvre si j’étais celui chargé de définir la politique de développement du Sénégal, aura comme impact de contribuer non seulement à stabiliser durablement le pays mais aussi de voir pousser de terre ici et là, à travers le pays et en plein milieu rural, des agglomérations semi-urbaines munies de toutes les commodités nécessaires (électricité, eau potable, écoles, structures de santé, etc.) et où l’on s’enrichira paisiblement, où il fera bon respirer, où l’on s’alimentera sainement.

                                 Daouda DIEDHIOU,

Professeur de Français au Lycée franco-arabe Cheikh Mouhamadou Fadilou Mbacké,

Président de l’Alliance Sénégalaise pour la Paix et l’Intégration Tél : 77 657 95 57 – Email : diedhioudaouda225@gmail.com

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