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Le problème de l’hygiène mentale en Afrique noire: l’exemple de la crise hystérique des jeunes filles  en milieux scolaire au Sénégal

Par BADJI CHEIKH ATAB,  Professeur de philosophie.

Introduction

En Afrique noire, il est fréquent de voir des malades mentaux traîner dans les places publiques. Ils sont parfois persécutés, écrasés dans les rues par des voitures, voire même dans les voies ferrées par les trains. Mais la mort d’un fou, c’est presqu’un simple « amas d’atomes qui se désagrègent » d’un individu sans identité. C’est une façon pour nous de déplorer la vie dramatique de ces malades sans identité sociale, morale, religieuse et qui sont abandonnés à eux-mêmes, à leur sort sans une assistance sociale ou étatique adéquate. Une non-assistance qui a fini par générer chez ces individus une « seconde nature » permettant même de les identifier. Puisque si l’on en croit au psychiatre Jean-Pierre Coudray « tous les fous ont leurs insignes et un comportement spécifique qui les font connaitre »[1]. Ce sont en effet ces « étranges personnes en haillons parfois nus, les cheveux plein de poussières, coiffés d’invraisemblable couvre-chefs »[2]. Voilà une image qui correspond au fou que l’on retrouve   dans les pays africains comme le Sénégal et qui par ricochet révèle la triste situation des malades mentaux en Afrique subsaharienne. Il n’y a pas une politique susceptible de  relever le défi de l’hygiène mentale en Afrique.

 Pourtant, la négligence de cet aspect sanitaire  (la santé mentale) provoque un déséquilibre des piliers sociaux  et prolonge ses racines venimeuses jusqu’aux  milieux de socialisations les plus essentielles comme les familles (avec des divorces, des violences conjugales, etc.) et surtout les milieux scolaires. En effet, le milieu scolaire est un espace où le « psyché » est sollicité, mais paradoxalement dans les pays africains tels que le Sénégal, il n’existe presque pas de psychiatre, de psychologues, de psychanalyste pour veiller à la santé mentale dans les milieux de scolarisation. Mieux, au Sénégal, on fait souvent recours à des explications magico-religieuses pour  expliquer tout type de problèmes psychiques  ou de «  pathologie psychotique » comme le stress, la folie etc. Ainsi, la crise hystérique des jeunes lycéennes et collégiennes dans leurs lieux d’apprentissage est appréhendée par l’imaginaire africain ou sénégalais comme l’œuvre d’êtres mystérieux. A ce niveau de notre réflexion, se posent alors les questions suivantes  : en quoi consiste cette représentation africaine la maladie mentale ? Comment les pathologies psychologiques sont-elles expliquées dans la « psychiatrie africaine » ?  Cette psychopathologie est-elle en soit un obstacle pour la santé mentale en Afrique ou est-elle réconciliable avec la psychiatrie moderne ?

Répondre à ces questions exige, d’une part, la détermination de la représentation africaine des maladies mentales ou de la folie. D’autre part, cela exige de montrer les failles de cette philosophie de la santé avant de préciser qu’elle peut être compatible avec la psychiatrie moderne.


[1] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.55

[2]  COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.36

I/ La conception du trouble mentale en Afrique noire : le cas des crises hystériques en milieux scolaires sénégalais.

 Dans la représentation collective africaine en général et sénégalaise en particulier,  les maladies comme le désordre psychique s’expliquent moins de façon neurologique, psychotique, organique ou organiciste que magico-religieuse. En effet, dans une vision négro-africaine de la santé et de maladie « certaines entités nosographiques telles que la dépression, les troubles anxieux, les troubles psychotiques »[1] ne sont décryptées, analysées et compris qu’en référence à « un agent extérieur au sujet-victime »[2]. C’est pourquoi « en Afrique la responsabilité individuelle est rarement engagée dans la survenue d’une maladie. Celle-ci est due au « Yamwei » et à ses semblables chez les Mitsoghos du Gabon, aux « Rab » et « Djiné » chez les Ouolofs du Sénégal de même qu’aux « Kinkirsi » chez les Moosé du Burkina Faso ».

Sous ce rapport, une maladie n’est pas forcément l’œuvre de bactéries, de virus,… La phobie, la dépression, la folie, l’anxiété ne sont pas nécessairement un problème organique des neurones, du cerveau, de la conscience et de l’inconscient : la cause de ces maladies est souvent mystérieuse et est située à l’extérieur de l’individu. C’est-à-dire que « certaines  formes de délires peuvent être ainsi considérées par l’entourage comme des phénomènes d’inspiration surnaturelle, ou de possession par les esprits, bons ou mauvais ».[3] En termes clairs, les causes des maladies du « psyché » se situent à l’extérieur du malade. Bref, «  le désordre mental s’inscrit dans le religieux [4]».

A cet effet, le psychiatre Jean-Pierre Coudray nous renseigne que « L’homme africain à tendance à « projeter » à l’extérieur de lui-même ce que les européens « introjectent »[5]. Effectivement, dans la « psychologie » ou « psychiatrie africaine » et  dans la nosographie ou étiologie africaine, la cause de la maladie est souvent située à l’extérieur de la victime.  Dit autrement, l’individu n’est jamais responsable de sa maladie. Puisqu’il existe toujours – dans la représentation africaine- un agent extérieur qui provoque sa souffrance. Et selon Bougoul Badji, « Cet agent perturbateur est situé soit sur l’axe vertical soit sur l’axe horizontal »[6]. Qu’est-ce que cela signifie ? Sur le plan horizontal, tout type de trouble de la personnalité s’expliquerait chez l’africain par le « travail » « d’un marabout ou d’un féticheur »  ou d’un « sorcier-anthropophage »[7]. Sur le plan vertical, toute crise comme tout désordre mental serait l’œuvre d’un jiné , Seytané ou d’un « RAB ou FANGOL ». On voit bien que dans une telle logique, l’explication des  causes de la maladie tient de la représentation africaine de l’homme et du monde ou de sa cosmologie.

Du coup, toute réflexion ou toute assistance psychiatrique  ou psychopathologique peut prendre appui sur ces représentations négro-africaines de la maladie, de l’homme, du monde. Par exemple, un patient sénégalais serait moins inquiet et plus collaborant si le soignant lui parlait de d’une attaque de rab, de sorcier, de seytané que de schizophrénie, de folie, de psychose, de névrose. Un patient burkinabé se retrouverait peut-être mieux dans un diagnostic, si le soignant  lui parlait de « kinkirski » ou  de la persécution d’un « jumeau », d’un esprit. Un bambara du Mali serait peut-être plus collaborant, s’il entendait son assistant, son psychologue ou son psychiatre parlait de « jinébana (litt.  » maladies des esprits ») »[8].

Nous pouvons illustrer cette approche africaine et magico-religieuse des causes de la souffrance psychique chez l’individu en se référant à l’une des explications de la pensée collective sénégalaise de la « crise hystérique » des jeunes filles en milieux  scolaire.

En fait, depuis plus d’une décennie, les collèges et lycées sont périodiquement agités et secoués par des « crises hystériformes collectives ». Parlant de cette crise des  collégiennes et lycéennes dans un article collectif, Idrissa Ba, Evelyne Miquel-Garcia, Sokhna Ndiaye, Pape Lamine Faye écrivent : « Durant la deuxième quinzaine du mois d’avril 2008, le Sénégal a été envahi par une vague de crises d’agitation psychomotrice hystériformes touchant quasi exclusivement les jeunes filles, plus particulièrement celles des collèges et lycées »[9]. En effet, depuis 2008 jusqu’à aujourd’hui ce phénomène de crise des filles touche tout le pays (du nord au sud, de l’Est à l’ouest). Mais comment  cette crise des élèves est-elle expliquée dans la pensée collective sénégalaise ? Est-ce une maladie naturelle ou surnaturelle ?

Pour « l’homo senegalensus », ces filles tombant  en crise en milieux scolaires sont percutées ou persécutées par un esprit maléfique qui par jalousie s’amuserait à leur « faire mal par plaisir ». Cet esprit persécuteur  et maléfique est aujourd’hui dénommé « Jinné Maïmouna » dans la représentation collective sénégalaise. Il s’agirait d’un être surnaturel qui agirait par jalousie contre les collégiennes et lycéennes. En clair, cet esprit maléfique affligerait cette épreuve existentielle de la maladie aux collégiennes ou lycéennes à cause de « son prince charmant » qui comme un « Zeus » serait attiré parelles. C’est donc pour éviter une éventuelle trahison que ce « jinné » les « assomme ». Et certains sénégalais n’hésitent pas à soutenir que l’esprit maléfique ne s’attaque qu’à des filles belles et toujours sexy. D’ailleurs, la fréquence du voile chez certains jeunes dans beaucoup d’établissements trouve une partie de sa justification dans ce « mythe sénégalais ».

Par ailleurs, les actions maléfiques de « Jinné Maïmouna »  dans les établissements tiendraient aussi du lieu ou de la manière dont l’espace est occupé dans ces milieux d’apprentissages. En effet, dans la pensée collective africaine ou sénégalaise, l’homme n’a pas le droit de construire n’importe où et n’importe comment. Parce que les l’espace ou les arbres seraient déjà occupés par les esprits avant les humains. Voilà pourquoi, beaucoup d’africains effectuent des sacrifices,  des rites bien appropriés avant l’occupation d’un lieu. Ces cultes sont comme des demandes d’autorisation d’occupation ou d’habitation d’un espace. De ce fait, la négligence de ces rites ou sacrifices d’occupation de l’espace pourrait provoquer, selon la vision du monde sénégalaise, la colère des rabs, des esprits qui par vengeance jettent des maladies sur les hommes. Ainsi, dans cette logique, la crise hystérique apparait-elle comme une punition, un châtiment de la colère des esprits ou ancêtres, etc.

 Est-il pertinent de se poser la question de la véracité de ces explications ? Les esprits ou les rabs existent-ils réellement ?

D’ailleurs, la « réussite » des premiers psychiatres occidentaux en Afrique – Henri Collomb au Sénégal, Jean-Pierre Coudray au Mali,…- et les premiers « psychiatres africains formés dans les universités anglaises ou française » –Baba Koumaré au Mali, Thomas Adeoye Lambo au Nigéria, Moussa Diop au Sénégal…-  tient de ce fait. Bref, à Fann comme au Point G,… les psychiatres travaillaient en collaboration avec certains guérisseurs (au Mali certains psychiatres collaboraient avec les guérisseurs comme Moussa Diarra et Souleymane Bary[10] et au Sénégal le psychiatre Henri Collomb avait fait le tour du pays pour rencontrer et travailler avec certains guérisseurs,….). ces psychiatres étaient attentifs aux représentations négro-africaines des esprits et à la psychiatrie africaine.

En effet, ces acteurs de la santé ont compris que l’asile, l’isolement, les théories freudiennes sont généralement  inopérantes en Afrique noire ou au Sénégal. Ainsi le psychiatre Bougoul Badji écrit (après sa formation en occident et son retour au Sénégal) : « Il nous est apparu comme évident que ces thèses, issues d’une spécifique de la personnalité inopérante, du moins en milieu sénégalais, n’apportent pas la clarté souhaitée à propos de la compréhension que l’on peut des troubles mentaux en Afrique »[11]. Les outils freudiens, le traitement médicamenteux avec les psychotropes, les antidépresseurs, les anxiolytiques, etc.  sont certes utiles et efficaces de façon universelle, mais  les théories scientifiques ou psychanalytiques de l’explications des causes de la maladie psychique come décompensation, le troubles de la personnalité, etc. peuvent être inappropriés en contexte africain. Un bon psychiatre en Afrique doit comprendre et partir du principe suivant : « le psychiatre a conscience que son rôle est d’entrer dans le champ conceptuel de son patient plutôt que de l’attirer dans l’attirer dans le sien propre, il est conduit à s’écarter des modèles de la biomédecine et à se rapprocher de ceux que lui proposent l’anthropologie médicale… et certains guérisseurs traditionnels »[12]


Il La psychopathologie africaine et la  psychiatrie moderne

Toutefois, si les premiers psychiatres ou psychothérapeutes en Afrique ont bien fait d’intégrer les cultures locales dans leurs assistances aux personnes malades en des hôpitaux psychiatriques ou dans les « cabanons« , aujourd’hui,  on remarque l’éloignement de l’aspect psychanalytique, psychiatrique, voire psychothérapeutique au profit d’ une démarche exclusivement religieuse ou magico-religieuse. En Afrique noire, le recours au psychiatre, au psychologue  vient souvent après  l’échec du devin, des guérisseurs. Cette « hypertrophie des thérapies magiques et religieuses »[1], africaine engendre la négligence d’aller vers un « modèle technique et biomédical » Coudray : p. 8), psychanalytique ou psychiatrique.

C’est du moins ce que nous remarquons actuellement dans les pays africains comme le Sénégal. Là, on ne part souvent chez le psychiatre que lorsque le patient devient incontrôlable, difficile à surveiller. Au fait, pour l’ imaginaire sénégalais, la folie ne se soigne pas avec ces « drogues légalisées » ou ces médicaments de l’hôpital:  on ne saurait  que la calmer sans la guérir. Dès lors, le  problème qui se pose dans cette représentation africaine des pathologies mentales ou des problèmes psychiques, c’est la léthargie qu’elle engendre aujourd’hui sur les recours à  une assistance psychiatriques et à une approche scientifique des problèmes psychiques.

Par exemple, au Sénégal,  aucune approche scientifique n’est encore réalisée sur  la crise hystérique des élèves (dont on parlait dans la première partie). Le stoïcisme et le cynisme de « l’homo senegalensus » devant cette souffrance des élèves atteste dans une certaine mesure ces propos du psychiatre Jean-Pierre Coudray : « l’apparition  d’un trouble de la conscience- ou en d’autres termes- d’un mode inhabituel de la perception du monde, est pratiquement toujours perçue comme un événement suffisamment insolite  pour déclencher une conduite sociale déterminée, impliquant le plus souvent le recours à un ou plusieurs spécialistes »[2]. Sans doute, ce phénomène sanitaire est-elle parfois perçu par la majorité des sénégalais comme un événement insolite. C’est du moins, la lecture que nous avons de l’absence d’une politique sur ce mal des apprenants: aucune stratégie sanitaire préventive, aucun plan d’assistance adéquat afin de relever le défi de l’hygiène mentale en milieux scolaires n’est encore établi. Or les élèves touchées par cette maladie, ont besoin de comprendre réellement ce qui se passe, pourquoi eux et non les autres: elles ont besoin d’un accompagnement psychologique avec des explications claires de leur mal.  Qui du  médecin et du « n’döepkat »[3] doivent-elles consulter ? Cette maladie aurait-elle un lien avec leur âge, c’est-à-dire une perturbation due à leur cycle menstruel ? Suffit-il de prendre des médicaments de fer pour éviter ce malaise chez les jeunes filles ou une simple amulette bien  accrochée sur la tête ferait-elle l’affaire? Que faire en fin de compte, à quel saint se vouer ? Voilà autant de questions qui taraude l’esprit de ces collégiennes ou lycéennes. Mais malheureusement aucune réponse objective ou scientifique ne leur ait encore proposé. Rien !

Ainsi, en face de cette situation complexe et inquiétante des apprenantes, certains acteurs scolaires ou professeurs conscients de ce mal psychique des élèves tentent souvent de jouer au psychologue,  au psychiatre,  au psychanalyste pour tenter d’apaiser leur souffrance. Ces « pseudo-psychiatres » ou « pseudo-psychologues » méritent certes la reconnaissance de tout un peuple,  mais la question de l’hygiène mentale ou de la santé mentale des élèves est beaucoup plus complexe que cela: il faut encore faire de la santé mentale une affaire sérieuse. Il faut des spécialistes de la santé. Puisque la plupart de ces filles touchées par cette crise souffrent en silence. Elles déambulent dans leurs lieux d’apprentissage et sont traumatisées par des questions existentielles de ce mystère qui les accable : s’agit-il d’une maladie naturelle ou surnaturelle ? Elles ont envie de poser questions, mais personne n’est là pour les écouter. Ainsi, certaines jeunes filles finissent-elles par se barricader, s’enfermer dans leur souffrance et s’effondrent petit à petit dans la marée des larmes de chagrin qui coulent au fond de leur moi intérieur. Leurs espoirs, leurs rêves d’un avenir meilleur se voient aussi écraser dans une société parfois aveuglée par le noir et l’ombre des explications magico-religieuses de son système culturel. Ces explications traditionnelles jouent  certes un rôle important, mais elles peuvent  constituer ce que Gaston Bachelard  appelle des « obstacles épistémologiques »  si et seulement si elles ne conduisent pas à une acceptation de l’approche scientifique de la maladie ou de certains phénomènes.

 Une telle attitude de passivité en face des difficultés psychiques pourrait se détecter  dans la pensée commune sénégalaise. Celle-ci accepte et explique tous ces types de maladies par une histoire de rabs et autres. En effet, au Sénégal, la folie, le trouble de la personnalité, la psychose et certaines maladies horribles sont banalement expliqués ou analysés comme découlant des l’action des rabs, de pangoles, des Jinnés. En un mot, la thématique de la pathologie mentale  » est modeée par des représentations relatives aux esprits ancestraux (rab), aux jinne et saytane, ou encore à  l’action malfaisante d’humains tels que les dëmm (sorciers-anthrophages) » ( Collignon). C’est dire que « l’homo senegalensus »  se limite à  des approches magiques de ces formes de maladies, sans s’intéresser à une étude clinique de ces maladies de l’esprit. A cet effet, pour prendre soins de ces formes de maladies psychiques, il se contente  de quelques sacrifices, rites et de quelques prières à buts thérapeutiques. Toutefois, si ces pratiques et cette psychothérapie africaine sont incontournables et importantes dans une logique d’acceptation de la maladie ou dans ce que Laléyê  appelle « le vivre-avec-le-mal-être »[4], elles sont tout de même insuffisantes. Une maladie ne se soigne pas seulement avec une explication mythique ou avec des récits magico-religieux. Il faut une approche médicale afin de saisir son mécanisme, de la calmer ou de la soigner.

En clair, « l’aspect clinique » de cette maladie des jeunes filles ou des «  observations cliniques » doivent être faites afin de mieux comprendre et d’arrêter  ce problème. En un mot, il est nécessaire de diagnostiquer, d’analyser ou d’étudier cliniquement ou objectivement comment « Jine Maïmouna » ou « l’esprit maléfique » embrouille le cerveau, le psychisme des élèves. 

Précisons, cependant que le fait d’expliquer la maladie de l’esprit par des éléments de langages purement africains ou sénégalais tels que les rabs, les  pangols, les jinés ou seytanés, n’est pas en soi un mal. Parce que la manière linguistique ou culturelle de nommer une maladie est déjà une façon de la soigner ou de la classer parmi les maladies incurables. Coudray enseigne dans ce sens que « pour permettre aux médecins de désigner les états curables et de les distinguer de la « folie », le plus souvent perçue dans le public comme une atteinte irréversible de la personne hors de portée de l’action médicale. La médecine européenne  est parvenue grâce à des expressions dérivées du concept ambigu de « nerfs» : nervosité, nervosisme, névrose, maladie névreuse, dépression nerveuse, neuro-psychiatrie. »[5] Donc à l’image de cette stratégie occidentale permettant d’éviter un vocabulaire violent pour le patient, ces concepts (rab, pangol,…) puisés de la culture de « la psychiatrie africaine » ne sont pas forcément des obstacles, ils peuvent toujours être opératoires dans les hôpitaux psychiatriques modernes en Afrique noire. Puisque qu’ils sont essentiels dans la psychopathologie,  dans la nosographie et dans la psychiatrie africaine. Et selon le neurologue René Collignon,  on doit même  faire une « large place aux données culturelles et aux dimensions socio-anthropologiques pour l’étude des problèmes de santé mentale tels qu’ils se présentent en Afrique noire » [6]

Conclusion

En résumé, notre réflexion sur la crise hystérique des collégiennes et lycéennes est pour nous un prétexte pour  jeter un regard critique sur la psychopathologie  ou la psychiatrie africaine et sur les représentations africaines des problèmes psychiques comme la folie, la dépression, les crises hystériques. Ainsi, dans la première partie de cette réflexion, nous avons montré que dans la psychiatrie africaine, la cause des maladies psychiques est souvent située à l’extérieur de l’individu : elle serait l’œuvre des esprits, des pangols, des Kinkirskis, des jinés, etc. Et dans la deuxième partie, nous avons montré que cette représentation africaine des maladies mentales ou des troubles de la personnalité doivent être intégrée dans les nouvelles les nouvelles formes de prises en charge des maladies mentales en Afrique. Puisque beaucoup d’africains y croit. Toutefois, même si cette philosophie africaine de la santé et de la maladie facilite « le vivre-avec-le-mal-être », on doit reconnaitre tout de même qu’elle empêche parfois une approche scientifique et objective des mécanismes des maladies psychiques afin de les soigner et de mettre en place une politique adéquate d’une prise en charge correcte des  malades mentaux en Afrique noire.  Donc la grande question c’est : quelles sont les passerelles à jeter entre la psychiatrie africaine et la psychiatre moderne au bénéfice de l’humanité?

BADJI CHEIKH ATAB,  Professeur de philosophie.


[1] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.7

[2] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.7

[3] NDOYE Omar, Le N’döep. Transe thérapeutique chez les lébous du Sénégal, Dakar, L’Harmattan, 2022, p.7

[4] Issaka P.L. Laléyè, « approche de la maladie dans la pensée africaine », in Psychopathologie africaine, 2007-2008, p.180

[5] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.7

[6] COLLIGNON René,  « Le 2e collogue africain  de Psychiatrie (Dakar 1968) » », in Psychopathologie africaine, 2007-2008, pp.164-165

[1] KOUMARE Baba, « Santé mentale  au Mali », in Psychopathologie africaine, 2007-2008, p.194

[2] BADJI Bougoul, La folie en Afrique. Une rivalité pathologique. Le cas des psychoses puerpérales en milieu Sénégalais, France, L’harmattan, 1993, p.21

[3] JACCARD Roland,  La folie, Paris, PUF,1992, pp.24-25

Au fait, le but n’étant pas ici dans  notre étude sur la psychopathologie ou sur l’approche africaine des problèmes psychiques d’analyser la validité  ni la véracité des explications africaines du désordre mental, notre investigation s’occupera plutôt de leur sens ou signification afin de voir la possibilité de leur  intégration dans une étude systémique et scientifique de la maladie mentale en Afrique. En claire, notre réflexion ne s’inscrit pas dans un cadre purement epistémologique.  

[4]  BADJI Bougoul, La folie en Afrique. Une rivalité pathologique,  France, L’Harmattan, 1993, p.22

[5] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.132

[6] BADJI Bougoul, La folie en Afrique. Une rivalité pathologique,  France, L’Harmattan, 1993, p.22

[7] BADJI Bougoul, ILa folie en Afrique. Une rivalité pathologique,  France, L’Harmattan, 1993, p.108

[8]  KOUMARE Baba, « Santé mentale au Mali », in Psychopathologie africaine, 2007-2008, p.195

[9] , Idrissa Ba, Evelyne Miquel-Garcia, Sokhna Ndiaye, Pape Lamine Faye, « Crises hystériformes collectives, crise scolaire, crise sociale et nouvelle problématique de la féminité au Sénégal », https://cairn.info

[10] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.10

[11] BADJI Bougoul, ILa folie en Afrique. Une rivalité pathologique,  France, L’Harmattan, 1993, p.15

[12] COUDRAY Jean-Pierre, Freud et les Jiné. Un psychiatre au Mali 1981-1987,  Bruxelles, La maison d’à côté, 2007, p.4

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