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LE PROTOCOLE DE L’ÉLYSEE : CHAPITRES IX ET X – La gouvernance spectacle à la gloire d’un homme et aux dépens du pays

Par Alassane KITANE

Plus on lit Le Protocole de l’Élysée de Thierno Alassane Sall, davantage on comprend pourquoi la tentation de conserver le pouvoir est une manie incurable pour nos chefs d’État. Au regard de la nature et de l’étendue des crimes relatés par l’auteur, ce serait un miracle si Macky Sall ne cherchait pas à s’accrocher au pouvoir. Au pire des cas il sera forcé de briguer un troisième mandat pour « effacer » ces crimes ; et au meilleur des cas, il cherchera à créer les conditions d’une passation-conservation du pouvoir afin de sauver ses arrières. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de penser que l’organisation de ce fameux dialogue n’est qu’une pierre dans le processus d’édification d’une forteresse institutionnelle destinée à le protéger après l’exercice du pouvoir. C’est même évident que parmi les acteurs de ce dialogue il y en a qui ont déjà flairé l’odeur qui se dégage de la cuisine politique de « Sa-dessert » et qui cherchent, comme dans un jeu d’échec, à en tirer profit.

Les lecteurs du livre de TAS ne peuvent qu’éprouver un sentiment de honte mêlé à de la colère en déchiffrant progressivement les micmacs sur fond desquels se joue le destin de la nation. Les chapitres IV et X montrent, en effet, qu’en plus d’une légèreté inqualifiable dans la conception et la signature des contrats, il y a toujours la recherche du primat du Moi présidentiel. Quel profit pourrais-je tirer de tel ou tel investissement ? C’est apparemment la question préjudicielle que le Président se pose chaque fois qu’il s’agit de ficeler un projet ou de mettre en œuvre une infrastructure.

Le chapitre IX « une révolution manquée : Sénégal 0.2 » nous donne des raisons solides de croire qu’à la place d’une vision, Macky nous gouverne avec des intuitions plus ou moins confuses ou, plus exactement, avec des visions. La commande (chèrement payée du reste) du fameux PSE montre que Macky Sall fait de la communication incantatoire (comme pour envoûter psychologiquement le peuple) son art de gouverner. « Pendant le premier mandat, le PSE tint son rôle de formule incantatoire qui produisit auprès d’un segment de la Société l’impression que, puisque tant de voix autorisées (le Président et ses innombrables caisses de résonnance en costumes cravates) psalmodient le même credo sur l’émergence, il y avait forcément quelque part de vérité en cela. » p.188. Ce passage, qui pourrait intéresser les étudiants en sciences politiques, reprend de façon empirique la vieille problématique des théories qui expliquent les mécanismes et les modus operandi de la propagande. Le principe de la répétition insérée dans les mythes et dans les espérances du public réussit toujours à lui faire accepter une idée, serait-elle la plus loufoque. C’est ainsi que l’ingénierie en stratégies politiques prend petit à petit le dessus sur les vrais besoins des populations.

L’illustration de ce désintérêt pour les stratégies de développement au profit des stratagèmes politiques est donnée ici par la façon informelle dont la fin de la concession de la Sonatel à Orange (en 2017) a été gérée. Au lieu de profiter de cette opportunité pour faire un audit de ce partenariat afin d’en tirer meilleur profit pour les consommateurs et pour l’économie, Macky Sall fit le mort pendant longtemps avant de décider au terme d’une audience avec le parton d’Orange. Comme d’habitude, ce qui devrait échoir à des experts, est souverainement décidé par le Palais. Or la fin de cette concession aurait pu servir à corriger une hérésie commise par la concession de 1997 et qui consistait à faire la ségrégation de fait entre citoyens dans l’accès au service public. « …un pays utile (où le business pouvait rapporter) et des zones à oublier parce que non rentable. » p.190. Ce que révèle cette concession, c’est que généralement les firmes internationales font une colonisation « soft » qui consiste à venir cueillir des fruits qu’elles n’ont ni semés ni cultivés.

Au lieu qu’Orange enclenche la révolution numérique en couvrant le pays profond, elle se contente de ne couvrir que les zones utiles, financièrement parlant (une espèce d’économie fondée sur un calcul d’épicier). Orange avale la Sonatel, vampirise ses filiales de la sous-région et préfère augmenter les dividendes versés aux actionnaires plutôt que de rendre le service public performant au bénéfice des consommateurs. Une bonne renégociation de la concession de la Sonatel à Orange aurait, de l’avis de l’auteur, permis l’éclosion d’une révolution numérique avec des ramifications dans tous les secteurs de l’économie. Au contraire, au lieu de favoriser la naissance de PME et de contribuer à l’apprivoisement du numérique dans l’économie du pays profond, le gouvernement, à travers l’ADIE, a préféré des investissements pour la réalisation d’installations techniques sous-utilisée (pp.193-195). Les controverses actuelles concernant les offres d’Orange n’ont donc rien d’étonnant : il s’agit d’une logique capitaliste qui veut le maximum de bénéfice pour le minimum d’investissement.

Le chapitre X du livre de TAS peut être lu comme un audit et un bilan de son passage au ministère des Infrastructures et des Transports. On note, entre autres faits majeurs, les mésaventures de TAS au MIT, un problème de priorité pour le gouvernement, des choix non judicieux concernant les infrastructures qui sont, pour la plupart de prestige. Par exemple, au lieu de sauver les chemins de fer du Sénégal, Macky opta pour la folie des grandeurs des autoroutes. Ces infrastructures sont davantage dédiées à la gloire du Pharaon sénégalais qu’articulées aux besoins réels des populations. Au terme de la lecture de ce chapitre une question vient à l’esprit : pourquoi rester dans un gouvernement pareil avec autant de couleuvres à avaler ? La réponse est peut-être à chercher dans le pari de servir son pays et de balayer la maison pendant qu’on est dedans. Mais au-delà du bilan du ministre, beaucoup de révélations pourraient intéresser ici les citoyens. Ce chapitre nous rappelle aussi que, contrairement à ce que l’on pense, la plupart des agences de régulation et de contrôle ont été créées sous l’ère Wade, mais ça n’a pas empêché Macky Sall de penser ses projets en termes de dé-wadisation. Hanté par la personnalité de Wade, Macky s’enlise dans des projets grandiloquents pour la communication politique.

La psychologie de Macky Sall selon TAS : Le nihilisme comme affirmation d’un Moi narcissique

Quelques phrases certes assassines, mais très pertinentse sur le plan psychanalytique nous révèlent la personnalité politique de Macky Sall « La motivation profonde de ces choix relève d’une forme aiguë de narcissisme : Perpétuer l’œuvre de ses prédécesseurs, même là où c’est indispensable, ne lui apporterait aucune plus-value politique. Bien au contraire, ce serait une façon de consacrer leur choix. Aussi, que les projets routiers légués par Wade avancent à grands pas, ne suscitaient aucun intérêt de sa part. La livraison des hôpitaux de Fatick et de Ziguinchor, dont la construction était presque achevée, pouvait attendre. Il voulait ses projets à lui et le plus tôt. De même il voulait ses universités plutôt que de relever fortement les capacités des universités en place et de générer des économies d’échelle. Poussant sa logique de « première fois » à outrance, il projetait, envers et contre toute rationalité, de saucissonner « son » université du Sine Saloum entre plusieurs sites retenus suivant des desseins purement électoralistes. Le choix de Diamniadio pour abriter la seconde université de la méga ville de Dakar découlait de pareilles arithmétiques politiques » p.212. L’étrange choix du TER à la place du BRT (projet de Wade !) obéit encore à cette manie de gonfler un Moi décidément trop petit dans le for intérieur de l’homme qui veut violer l’histoire du Sénégal en écrivant entre ses signes des surcharges qui la rendent finalement illisible.

TAS confirme que toute la gouvernance de Macky Sall repose sur la communication. Gouverner par la communication dans une mise en scène permanente avec comme acteurs des infrastructures, des laudateurs et des affairistes plus cupides que des vautours affamés autour d’une carcasse d’éléphant. Le lecteur se fera une idée du pourquoi le commissaire Boubacar Sadio dit avec raison que Macky ne mérite pas de gouverner le Sénégal quand il lira cette très belle formule de TAS « L’homme politique dont le terme n’est pas le jugement de l’Histoire et des générations futures, mais le temps fini entre deux élections présidentielles, trouve en Diamniadio un immense parc d’exposition [j’aurais ajouté et d’attraction] où se donnent à voir aux regards des milliers de Sénégalais entrant et sortant de la Région, des ouvrages pharaoniques sortis de terre en peu de temps. Il trouve dans ces projets l’occasion de satisfaire des réseaux d’hommes d’affaires qui sauront, venu le temps des élections, renvoyer les ascenseurs. Tant pis si la terre de Diamniadio n’est pas hospitalière à l’habitat parce que d’argile gonflante ». p.217 La beauté de ce passage ne doit pas faire oublier au lecteur la cruauté, pour le pays, de la vision mesquine qui gouverne les choix de Macky Sall. Le rayonnement du Moi du Prince l’emporte toujours sur la pertinence économique des projets et infrastructures. Et pour faire rayonner son Moi, Macky n’hésite pas à sacrifier les intérêts des générations actuelles et présentes.

Alassane KITANE

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