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Covid-19 : Didier Raoult règle ses comptes avec le conseil scientifique

Devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, mercredi 24 juin, le médecin marseillais a mis en doute la compétence des membres du conseil scientifique mis en place par l’Élysée. Tout en dénonçant leurs liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique

Le professeur Didier Raoult, le 24 juin 2020, lors de son audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale.

Depuis le début de la crise, le professeur Didier Raoult a toujours joué à domicile. C’est ainsi uniquement de son bureau, à Marseille, qu’il a répondu aux médias. Mais ce mercredi 24 juin, le scientifique barbu, désormais le plus célèbre de France, a bien été obligé de faire le déplacement jusqu’à la capitale parisienne, qu’il se plaît souvent à dénigrer publiquement, pour répondre à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le Covid-19.

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Est-ce par politesse ou pour le mettre à l’aise ? En tout cas, d’emblée, le rapporteur Éric Ciotti fait sourire le professeur Raoult en évoquant sa grande popularité sur la Canebière. « J’ai vu ce matin sur une chaîne d’info qu’une boutique marseillaise avait réalisé des bougies à votre effigie et qu’elle rencontrait un très grand succès », confie le député niçois des Républicains.

« Vous êtes ou haï ou adulé »

Inconnu du grand public avant l’épidémie de Covid, le professeur Raoult en restera une des figures les plus marquantes. « Vous êtes ou haï ou adulé », dit Éric Ciotti, en évoquant les « réactions passionnelles » suscitées par les prises de position du directeur du l’IHU Méditerranée Infection. C’est bien sûr son plaidoyer pour l’hydroxychloroquine qui a déchaîné les passions en France, mais aussi dans le monde entier. En particulier aux États-Unis et au Brésil où les deux chefs d’État ont compté parmi les plus fervents partisans de ce médicament, aujourd’hui jugé inefficace par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Je ne connais pas Trump, ni Bolsonaro et ce n’est pas moi qui leur ai demandé d’utiliser la chloroquine », affirme Didier Raoult aux députés.

Mais le médecin ne fuit pas complètement la compagnie des grands de ce monde. « C’est moi qui l’ai dit au président », répète à de nombreuses reprises le professeur qui, en avril, a reçu Emmanuel Macron à Marseille. « C’est moi qui ai expliqué au président pour la première fois que la PCR (1), c’est très simple. Et que tout le monde peut le faire », affirme le médecin, en regrettant la lenteur avec laquelle le France a généralisé les tests de dépistage qu’il a, pour sa part, déployés très tôt et à large échelle à Marseille.

Le professeur Raoult estime aussi que c’est sur ses conseils qu’Emmanuel Macron a déconfiné les écoles plus vite que prévu. Il dit enfin avoir suggéré au chef de l’État la remise d’une médaille aux soignants s’étant illustrés dans la lutte contre le coronavirus. Un conseil qu’Emmanuel Macron, pour le coup, aurait peut-être mieux fait de ne pas suivre, nombre de blouses blanches ayant eu le sentiment qu’on se moquait d’elles en leur parlant d’une médaille plutôt que d’une revalorisation de salaire.

Difficile de savoir l’influence réelle de Didier Raoult

C’est le lot de toutes les crises, propices à exacerber les ego. Une fois qu’elles s’apaisent, on assiste souvent à une course effrénée pour savoir qui aura été le médecin ayant le plus murmuré à l’oreille du Prince. Et sur ce point, il est difficile de savoir qu’elle a été l’influence réelle de Didier Raoult sur l’exécutif durant l’épidémie. Le principal intéressé affirme en tout cas avoir toujours gardé le contact avec l’Élysée et le ministre de la santé après avoir claqué la porte du conseil scientifique mis en place par Emmanuel Macron. Un conseil avec lequel il règle ses comptes. « On ne peut pas mener une guerre avec des gens consensuels. Le consensus, c’est Pétain », avait dit Didier Raoult en mai à Paris-Match. Un dérapage que ne relève aucun député.

Cette fois, c’est de façon plus mesurée que Didier Raoult attaque le conseil scientifique qui, ce n’est plus un secret, s’est constitué autour de scientifiques ayant pour certains travaillé ensemble par le passé, sur le sida ou sur Ebola. « Au sein du conseil scientifique, j’étais un ovni, un extraterrestre », dit-il, mettant clairement en doute la compétence de ses membres. « Je leur ai dit : si vous voulez faire un conseil scientifique, je vais vous donner le nom des dix types qui connaissent le mieux le coronavirus en France. Il n’y en avait aucun dans ce comité », affirme le professeur Raoult. Tout en précisant que, dans son institut marseillais, il dispose, lui, d’un comité scientifique qui « fait rêver le monde entier avec que des stars dans leur domaine… ».

Les liens des experts avec les labos

Puis, les attaques montent d’un cran. Selon le professeur Raoult, la décision de confiner en mars toute la France ne « repose pas sur des données scientifiques établies ». Même chose sur le port du masque dans la rue. Sans qu’à aucun moment, les députés, pourtant très en pointe sur les masques, ne le relancent pour en savoir plus. Ils semblent en revanche plus intéressés quand l’invité du jour affirme que des membres du conseil ont des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. C’est cette même ligne de défense qu’utilise le professeur Raoult pour répondre aux médecins très critiques sur l’hydroxychloroquine. Selon lui, leurs déclarations hostiles sont liées à leurs liens d’intérêt avec le laboratoire Gilead, fabricant du remdesivir, un autre médicament testé lui aussi, sans beaucoup de succès, contre le Covid.

Trois heures d’audition au final. Avec des députés parfois plein d’admiration pour le professeur Raoult et très peu enclins à le pousser dans ses retranchements au sujet de ses essais sur l’hydroxychloroquine, dont la qualité suscite pourtant un large débat dans le monde médical. Le seul à mettre les pieds dans les plats est le député du Modem, Philippe Berta, par ailleurs généticien. « Pourquoi n’avez-vous pas fait des essais cliniques dignes de ce nom ? » demande-t-il à un Didier Raoult visiblement agacé. « Je suis un très bon méthodologiste et un grand scientifique », lance-t-il en se disant convaincu que l’Histoire finira par lui donner raison. La Croix

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