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LE SENEGAL ET LE COVID-19 : Entre fanatisme et nécessité d’une éducation performante

Par Djibril DIOUF

Comme la majeure partie des pays du globe, le Sénégal s’est vu toucher à partir du 02 mars 2020 par la pandémie déclenchée par le covid-19 et qui débuta en Chine, à Wuhan, en décembre 2019. Comme dans chaque pays, au Sénégal également, le Covid-19 s’est manifesté et se manifeste toujours de façon très particulière. C’est une situation de crise inédite qui met le Sénégal dans tous ses états (surtout dans ses états religieux).

De fait, c’est devenu presque impossible de parler du covid-19 au Sénégal en omettant « son » rapport au religieux. C’est certes un problème de santé, mais auquel une attitude religieuse, pour ne pas dire fanatique, est venue s’attacher. Comment et pourquoi un phénomène sanitaire, au centre duquel devrait se trouver la rationalité, devient également un problème de religion, de fanatisme ? Comment cette situation doit-elle nous pousser à mieux réfléchir nos politiques éducatives ? Notre propos voudrait ainsi consister à montrer en filigrane que le fanatisme, reposant sur l’obscurantisme et l’ignorance, fait penser nécessairement au besoin urgent de bien s’investir pour une éducation de qualité. D’autant que le contexte aujourd’hui est une question de santé publique. Bref, l’histoire du covid-19 au Sénégal est aussi l’histoire d’un fanatisme et d’une fondamentale urgence de donner un plus grand intérêt à l’enseignement.

COVID-19 ET FANATISME AU SÉNÉGAL

Ce problème de santé publique qu’est la maladie à coronavirus révèle chez les mentalités sénégalaises de tristes paradoxes et des inconséquences on ne peut plus écœurantes. Ces paradoxes n’ont dautres soubassements que le fanatisme religieux.

De fait, c’est le même type de sénégalais qui, dès décembre 2019 affirmait sans contrepartie que le coronavirus était envoyé chez les chinois par Dieu pour les châtier après que ces deniers ont eu à anéantir une bonne partie des Ouïghours, une communauté musulmane vivant en Chine ; c’est ce même sénégalais qui, après que le virus, par contamination continue, accède au Sénégal et qu’on soit obligé de fermer les mosquées, entre autres mesures, affirme aujourd’hui que le virus a été créé par l’Occident pour mener la guerre à l’islam.

Rien de surprenant car le fanatisme joue sur le terrain de l’inconstance. Il se laisse aller librement sur le champ du sentimental qui, très irrationnel, peut affirmer une chose et vouloir son contraire.

En outre, le sénégalais affirme sans contrepartie que le virus n’existe pas au Sénégal ou que les cas déclarés à Touba sont de la mascarade et ce même sénégalais n’a pas hésité à chercher un bout de cheveu dans le Coran pour se prémunir de ce virus qu’il affirme ne pas exister dans son pays. Sur l’histoire de ces cheveux dans le Coran, ça frole le comique. Qui s’attend à des cheveux lisses, brillants comme de l’or, longs et très parfumés tels les cheveux du Prophète (Paix et Salut sur Lui), se retrouve avec des cheveux très douteux, louches, crépus, noirs comme du charbon et qui nous rappellent nos cheveux ordinaires, qui n’ont rien de prophétique.

Cette mentalité contradictoire et inconséquente, ce fanatisme à outrance ainsi que notre sociologie forment, très malheureusement, un terreau fertile à la propagation du coronavirus. Ils sont contre toute rationalité et, pour vaincre ce virus, nous sommes obligés de faire confiance à la raison, en tout cas d’abord et avant toute chose.

Ce virus n’est pas partisan. Son identité c’est d’être un être minuscule, invisible à l’œil nu. Son identité n’est ni asiatique ni occidentale ni africaine. Il est un virus tout court. Il ne connait ni blanc ni noir, ni musulman ni juif ni chrétien, il ne connait que le corps, le biologique. Il n’est d’aucune culture. Alors, en bas ce fanatisme qui s’oppose aux mesures de prévention. La règle est simple : « soit nous les respectons et nous vivons ensemble soit nous les bafouons et nous mourrons ensemble. » Déjà, les mesures ne se sont pas seulement limitées à la fermeture des mosquées. Elles ont d’abord interdit les rassemblements publics dans les écoles, dans les marchés hebdomadaires, dans les boîtes de nuit, le rassemblement aux cérémonies de société comme les baptêmes et les mariages, avant de suggérer l’interdiction des rassemblements cultuels aux mosquées et églises. D’ailleurs, l’église catholique a décidé de surseoir ses rassemblements, si chers en ces temps de carême, bien avant même le décret si salutaire de Macky Sall. 

En outre, il faut noter que celles qui sont visées par ce propos sont principalement les masses populaires, les foules qui ne comprennent souvent de leur religion que ce que leur observation des autres leur fournit. Une compréhension qui ne découle pas d’une confrontation aux Sources scripturaires fondatrices n’est qu’une compréhension très lacunaire. Fort de ces constats, il n’est plus à discuter que l’éducation, sous toutes ses formes, est une nécessité. Nous nous y attarderons dans la suite du propos. Alors, autant on doit noter ce manque de discernement des masses qui implique un fanatisme basé sur l’ignorance et l’obscurantisme, autant il faut souligner le sens de la responsabilité des guides religieux. De fait, depuis que le décret interdisant les rassemblements pour lutter contre la maladie à coronavirus est tombé, le samedi 14 mars 2020, des guides religieux ont eu à s’y conformer plus ou moins en annulant certaines de leurs cérémonies : le Daaka (retraite spirituelle qui dure une semaine et tenue par les soufis omariens) fut suspendu dès son premier jour le 15 mars, la célébration du Kazou rajab qui aurait pu se tenir le 22 mars à Touba occasionnant un déplacement massif de populations a changé de forme sous l’ordre du khalif des mourides, le khalif de Tivaoune a dû donner l’ordre aux fidèles de ne pas effectuer la prière du vendredi comme à l’accoutumée, la confrerie layenne a également dû annuler la célébration de l’Appel de Baye Laye, etc. En conséquence, on se rend compte que le problème vient, non pas de « l’élite religieuse »(si on peut s’exprimer ainsi) mais d’une masse populaire mal formée, prompte à utiliser le sentimentalisme à la place du rationalisme.

POUR VAINCRE LE VIRUS

Revenons à la raison d’abord pour pouvoir accepter la réalité, c’est-à-dire notre vulnérabilité en tant qu’humain face au virus. Ceci nous poussera à appliquer les mesures d’hygiène et les attitudes barrières à la propagation du virus. Et la prière ? La foi ? Mais ouiiiii ! Il ne faut jamais perdre la foi. Il ne faut jamais tourner le dos à la prière. Le domaine métaphysique est une dimension essentielle et profonde chez l’homme. Comment peut-il alors se délester de son essence ? Évidemment, il ne le peut pas. Du coup, la prière et la foi seront des alliées sûres dans cette lutte contre le virus. Ayons foi, comme toujours et prions comme toujours. La foi et la prière peuvent prospérer dans nos chambres, dans nos maisons, pas forcément à la mosquée, car la situation du moment ne le permet pas. Et l’islam a prévu tout ceci dans sa jurisprudence. Je laisserai le soin aux prêcheurs d’en faire les rappels nécessaires. Il s’agit ici, comme on peut le comprendre, de lier raison et foi pour venir à bout du covid-19. S’abstenir, mais prier. Et comprendre que cette calamité n’a rien contre l’islam ou le christianisme ou la religion tout court. Levons la garde ensemble et peut-être tout ceci ne durera que peu de temps.

NÉCESSITÉ URGENTE DE S’INVESTIR POUR UNE ÉDUCATION DE QUALITE

En tant qu’acteur de l’enseignement, je ne peux que constater, encore une fois avec évidence, que ce qu’il faut à une nation pour tracer une belle histoire sur la route du temps, c’est une éducation de qualité. Il faut noter que ce sont des citoyens, dont je salue la bravoure, très bien formés, qui sont en train de faire face au covid-19 actuellement dans les hopitaux. Ils sont médecins mais ils sont aussi et surtout des professeurs d’université ; donc des produits et des acteurs de l’enseignement.

Du reste, ce fanatisme et l’obscurantisme traités ci-dessus n’ont d’origine que l’ignorance. Et ce qui repousse l’ignorance jusqu’à ses derniers retranchements ce n’est rien d’autre que l’éducation. Elle est un processus qui fait sortir des ténèbres. Certes, elle ne se fait pas uniquement à l’école ; elle commence d’abord dans la famille, au foyer et se prolonge dans des salles de classes et aux Daaras, en passant par la société en général. Tout de même, l’école est son lieu de raffinement. C’est la raison pour laquelle, pour avoir une population bien éclairée, indemne d’ignorance, de fanatisme et d’obscurantisme nous ferions bien mieux de doser davantage nos politiques qui mettront l’école au centre et au sommet de ses préoccupations. Avec ce virus, nous nous rendons compte qu’être bien éduqué, qu’être bien sorti des ténèbres est fondamental pour toute nation qui se veut sereine et indemne face aux multiples dangers qui naissent du futur. Une santé performante est salutaire. Et il faut investir dans la santé. Mais le plus rapide c’est de rendre l’école performante pour qu’elle produise le capital humain nécessaire à la prise en charge de toutes les autres nécessités de la nation.

Inutile de rappeler que le Covid-19 s’accommode très bien de l’ignorance et donc de la négligence des uns et des autres pour voyager de corps en corps. Un « modou-modou » qui rentre tranquillement d’une zone à haut risque, l’Italie, pour rejoindre sa famille et infecter plus 25 personnes immédiatement ; un individu testé positif au Coronavirus et qui s’échappe de sa zone de quarantaine pour rejoindre son domicile ! Ce sont là le sommet de l’incivisme, de l’ignorance et de l’irresponsabilité. Tout ceci, je le répète parce que nous avons raté le départ qui devrait coïncider avec un plus grand intérêt à l’enseignement, à l’éducation.

Pour conclure je dirai que nous sommes plus forts que le virus. Je dis bien nous. Ceci parce qu’il nous faut nous unir et laisser de côté nos paradoxes et inconséquences. Ouvrir les yeux et appliquer les attitudes qui font barrages au Covid-19. Ensembles, nous vaincrons ; avec le soutien d’Allah.

Djibril DIOUF, Doctorant en philosophie et Professeur de lycée.

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