CONTRIBUTION

Abdou Karim Gaye est en prison parce qu’il veut être libre dans un pays libre

Par Alassane Kitane

Abdou Karim Gueye mérite la liberté plus que les faussaires : s’il a commis une erreur, c’est à cause de sa passion pour le Sénégal et son refus de l’injustice. Que pèsent d’ailleurs les propos pour lesquels il a été envoyé en prison face à ces propos de Macky Sall tenus le 1e juillet 2011 « le pouvoir [le régime de Wade] fait  recruter des mercenaires aux mains tâchées de sang venus de Côte d’Ivoire, mais aussi de Guinée et du Nigeria dans le but de commettre des rapts d’opposants et de membres de la société civile… Quatre cents sont entrés sur le territoire national en passant par la frontière du sud » du Sénégal qui le sépare de la Guinée et de la Guinée-Bissau…. » ? Voilà la morale politique de l’homme qui préside aux destinées de notre cher pays. Comment avons-nous pu faire confiance à un tel homme ? Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui ne s’inspireraient-ils pas de cet homme qui a monté sur le cheval de la surenchère politique imbibée de sang pour accéder au pouvoir ?

Ironie de l’histoire, le PS de Tanor, actuel allié de Macky, n’avait pas manqué de le recadrer très sévèrement. Voici en substance la salée remontrance que Wilane, porte-parole dudit parti avait faite au candidat fantaisiste Macky Sall : « Le Ps, quand bien même, sait que le Pds est un parti qui a dans sa culture et sa tradition politiques des habitudes de violence avec des calots bleus dont on sait qu’ils ont toujours été disposés à des saccages etc., ne croit pas un seul instant à la présence dans notre territoire de mercenaires engagés, transportés, introduits dans notre pays pour commettre des crimes crapuleux ou des assassinats… c’est faire injure à l’intelligence des Sénégalais, au patriotisme des forces armée et de sécurité … ceux qui confondent adversité politique et règlement de comptes, ceux qui jouent à la surenchère doivent avoir plus de respect pour les Sénégalais, avoir un sens élevé de l’histoire et de la responsabilité ». Wilane faisait ainsi la leçon à Macky Sall comme à un petit homme politique ! Quelle honte de savoir que celui qui gouverne aujourd’hui notre pays avec une main de fer, et qui a bénéficié de la clémence voire du mépris des autorités et de ses pairs dans la scène politique d’alors se vente d’être le garant du respect des institutions !

Même pour certains meurtres il y a des circonstances atténuantes ; et tout le monde sait que Abdou Karim Gueye a parlé sous le coup de la colère. Cela ne veut évidemment pas dire que ses propos sont légitimes, il s’agit plutôt d’expliquer que la démocratie est sujette à ce genre d’excès. Il n’y a pas de régime si sujet à l’instabilité et à la guerre civile que le gouvernement démocratique avertissait Rousseau dans son Contrat social. On pourrait ajouter que c’est la menace de la guerre et de l’instabilité qui justement pousse les citoyens d’un État démocratique à toujours faire preuve de plus de vertu pour éviter les extrêmes. Mais justement quand l’extrême est salvateur, quand il constitue une rampe de lancement pour la carrière politique d’un homme, il fait forcément des émules. Élire et réélire Macky Sall a donc été un blanc-seing pour la surenchère verbale. Un homme qui a créé une milice appelée les « marrons du feu » (qui rappellent d’ailleurs les Waffen SS  jusque dans le choix de la couleur !) ne peut pas reprocher à Abdou Karim Gueye ses propos outranciers.

L’injustice même discrète génère la colère ; quand elle se pavane dans les rues de la république avec ostentation, elle ne peut que féconder la révolte. Sous ce rapport, ce régime peut s’estimer heureux de voir que cette révolte ne s’exprimer jusqu’ici que sous des formes ou limites individuelles et plus ou moins isolées. On n’a pas besoin d’être devin pour prédire que le partage éhonté des ressources de la nation combiné à une paupérisation de plus en plus marquée des masses conduira bientôt à des remous. Quand ce peuple prendra goût à la vraie liberté et exercera une tyrannie de la probité morale dans la gestion des affaires de la cité, l’expropriation violente sera le moindre supplice exercé contre tous ces privilégiés de la politique.

Ces terres que vous vous partagez, ce littoral que vous squattez aux populations au point de les étouffer littéralement, ces milliards que vous faites gagner à vos proches par le biais de privatisations loufoques, etc., tout ceci vous sera repris de façon violente. Et ce, non pas par vengeance du pauvre sur le riche, mais pour servir de leçon. Un jour viendra, gouverner ce pays sera un sacerdoce et comme le prédisait Platon, les hommes vertueux seront tentés de s’exiler pour ne pas avoir à gouverner. Cette parabole montre que le pilier de la gouvernance, c’est l’honneur : on peut tout perdre dans la vie et le récupérer sauf l’honneur, ou la dignité. « Le Ngor ! Dérivé de Gor, le Ngor ne se définit pas, il se vit ; il ne s’appréhende pas, il se sent dans l’âme et le cœur. Aussi, un homme peut-il tout perdre dans la vie et continuer à briller de tout son éclat d’homme au sein d’un univers où tout semble travailler à le briser, à l’anéantir et à le corrompre sans jamais réussir à produire autre chose qu’à l’ennoblir davantage. Le Ngor est le concentré métaphysique du sens de l’existence. » (Kitane, L’Harmattan 2010, p.14).

Le jour où le Ngor sera l’essence du pouvoir et de la citoyenneté, le Sénégal décollera définitivement, car les hommes qui vivent dans ce pays le méritent et en sont capables. Voilà pourquoi nous devons faire revenir dans les Lycées et collèges du pays l’instruction civique qui s’adossera sur les valeurs comme le Ngor, le Jom, le Nawlé, etc. Nous avons d’abondantes ressources littéraires et philosophiques susceptibles de façonner un citoyen modèle, une personne qui, parce qu’elle sera investie de savoir et de vertu, se découvrira être une source infinie d’initiatives et de richesses. Ce n’est pas un rêve, c’est une nécessité.

Alassane K. KITANE

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