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DE LA DEGRADATION DES MŒURS EN MILIEU SCOLAIRE

Par Hamidou Diop, Professeur de philosophie

« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte  de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et toute jeunesse le début de la tyrannie. »

Platon

                                                       I

                                      En physique, nous avons le principe de la dégradation de l’énergie. Ce principe est tiré du théorème de Cournot établi en 1824 et généralisé en 1850 par Clausius. C’est ce qu’on appelle le second principe de la thermodynamique. Que dit ce principe ?

Une machine thermique ne peut fonctionner sans déplacement d’une source chaude à une source froide ; la chaleur ne peut donc être transformée en travail sans chute de température, ce qui a pour conséquence qu’une partie de la chaleur dissipée par un travail mécanique ou un échange d’énergie ne peut être récupérée sous forme de travail. Ainsi, dans un système thermique isolé, et là surgit notre notion, se produit une dégradation irréversible de l’énergie, tout en restant, à travers ses transformations, constante en quantité (conservation de l’énergie), tend à déchoir de ses formes supérieures à des formes non utilisables, du moins en totalité (chaleur).

Dès lors, par dégradation, nous pouvons entendre détérioration graduelle. La dégradation est un processus naturel ou provoqué tendant vers l’état d’avilissement ou de déchéance. C’est le fait de s’abaisser moralement, de dégrader. Dégrader, c’est perdre en dignité, en valeur, en grandeur. C’est une perte ontologique.  Voilà ce qui nous rappelle la dégénérescence. 

Dégénérer, pour une réalité ou pour un être, c’est se dépraver, perdre de sa qualité. C’est une altération amenant une réalité à une forme inférieure.  C’est retourner à un état antérieur dont le dépassement    résulte de l’évolution. Ainsi, dégradation, dégénérescence figurent la dégringolade, la décadence, toute chose qui rappelle une chute comme en physique sauf qu’ici, il s’agit d’une chute ontologique, d’une chute métaphysique et / ou axiologique : c’est l’être qui est victime d’un préjudice, d’une dévalorisation, d’une dévaluation ontologique et axiologique. Apparait en filigrane l’idée d’une mort. Ainsi, la dégradation figure un processus tuant à petit feu une réalité. Qu’est-ce qui est promis à une mort ici ? Qu’est-ce qui dégénère ? Qu’est-ce qui se dégrade ? Il s’agit, voyez-vous, des mœurs.

Le mot part du latin mores qui veut dire « genre de vie », usages, coutumes. En sociologie, elles désignent : « un ensemble observable des usages pratiques et coutumes dans un type social donné ». Avec Montesquieu, nous comprenons que les mœurs se distinguent des lois civiles. En effet, l’auteur de De l’esprit des lois écrit : « Il y a cette différence entre les lois et les mœurs que les lois règlent plus l’action des citoyens et les mœurs les actions des hommes. » Lévy Bruhl dit que la science des mœurs qu’il nomme « sociologie morale » devrait se substituer aux morales théoriques impossibles et inutiles. Du coup, la lecture moralisante des mœurs consiste à les considérer comme des lunettes-valeurs appartenant à un type social bien précis de juger du point de vue moral (approbation – désapprobation) les conduites selon des normes admises de façon plus ou moins explicite. 

Ces représentations socio-culturelles participent du processus de socialisation des différents individus. Reprenons notre propos sur la moralité qui n’est rien d’autre que la conformité de l’action individuelle aux valeurs ou représentations prévalant dans le groupe social. Tout le monde comprend que c’est la société qui prend en charge l’insertion de l’individu dans le moule social. Pour ce faire, elle l’inscrit dans une trajectoire socialisante. C’est dans ce contexte bien précis que l’école est reçue comme instrument de la société dans la réalisation de son objectif consistant à amener les individus à épouser les valeurs, les aspirations, les références, les représentations socio-culturelles. 

Du grec scholè et du latin schola, école veut dire loisir. Elle figure l’occupation d’un homme de loisir. Dans l’antiquité gréco-latine, l’école représente un groupe de philosophes professant une thèse commune sous la direction d’un Magister. Nous avons comme exemple : l’école et l’Académie de Platon, l’école et le Lycée d’Aristote.  L’Ecole qui s’écrit avec un « E » majuscule désigne la philosophie du Moyen – Age enseignée dans les écoles et les universités. L’approche pédagogique moderne nous parle du concept de « nouvelle école » véhiculant une éducation centrée, par une sorte de révolution copernicienne, sur l’enfant, sur ses intérêts et ses aptitudes à la création, à la production. Cette approche s’oppose à l’école traditionnelle qui considère le maître comme le modèle que l’enfant doit chercher à égaler. Ainsi, l’école est une institution qui renvoie à trois réalités : la société, l’enseignant et l’apprenant. Dés lors, si nous parlons de la dégradation des mœurs en milieu scolaire, nous posons que la société, l’enseignant et l’apprenant sont les acteurs – voyez-vous – de cette dégradation de la moralité dans cette institution qui se nomme école.  Mais qu’est-ce que l’on gagne à parler de la dégradation des mœurs, de la perte des valeurs en milieu scolaire ?

Nous cherchons à inviter les uns et les autres à une à autocritique, à une introspection, à un examen de soi par soi même. La dégradation des mœurs est un phénomène qui interpelle tout le monde. Par conséquent, en parler, c’est chercher à jouer sa partition en tant que nous sommes êtres sociaux, qui avons réussi le processus de socialisation et qui devons effectivement et rigoureusement participer au vernissage de ces jeunes à qui on dédie l’avenir de nos cités. Chacun de nous doit absolument répondre de ses actes. 

                                                            II

Dans ses travaux en Nouvelle Guinée, Margaret Mead a entrepris de préciser la part du biologique et celle du conditionnement social dans les rôles respectifs tenus par l’homme. Elle constate que chez les Apresch que les comportements masculin et féminin se confondent et sont plutôt du genre « doux ». Il n’existe pas de compétition entre les deux sexes, qui se partagent, sans distinction, les principales tâches sociales. Ce tempérament est cultivé chez les enfants par une éducation pleine de tendresse et d’affection. En revanche, les Mundugor ont un caractère violent. Les enfants sont élevés durement et souvent maltraités afin qu’ils apprennent à se défendre. Toutefois il n’existe aucune différenciation considérable entre la psychologie de l’homme et celle de la femme. Chez les Chabuli, il existe bien une différence entre les rôles masculin et féminin. Mais, cette différence se distingue de celle que l’on retrouve dans la civilisation occidentale entre la femme et l’homme. Le tempérament des hommes Chambuli est doux et artistique, tandis que les femmes ont la responsabilité de la vie sociale, l’initiative dans le domaine sexuel et constituent un groupe homogène face aux hommes.

Que nous vaut ce détour ?  Il s’agit de comprendre ici que rien donc de ce qui nous semble naturel dans les traits de caractères des deux sexes ne l’est en fait, mais est la résultante du conditionnement social. Il n’y a pas de différence de nature mais seulement de culture. Dénonçant l’ethnocentrisme, Mead tire de ses enquêtes la leçon du relativisme ethnologique. En mettant en évidence la prépondérance du culturel, elle montre par là même la possibilité de le changer et donc de l’améliorer. Dès lors, il est aisé de comprendre que la dégradation des mœurs est un phénomène lié fondamentalement à la question socio-culturelle. Donc, les individus qui fréquentent l’école sont des produits de la société. C’est ainsi que Guy Rocher écrit dans le tome 1 d’Introduction à la sociologie générale : « La culture et la société se trouvent dans chaque personne et chaque personne est intégrée à l’organisation sociale. » 

La dégradation des mœurs en milieu scolaire est l’une des conséquences de la crise des valeurs en société. En effet, les principes moraux, religieux, éthiques sont bafoués. Les références se déchirent. La société est frappée par la corruption, la concussion, la prostitution, la drogue, l’homosexualité, l’irresponsabilité des uns et des autres et tout ce qui tombe sous leur compréhension. Le tissu social est déchiré par une autorité politique froide et menteuse, par des chefs religieux dont le faire retrouve le parfum de la prostitution politico-économique. Des chefs de familles qui mentent devant ceux qu’ils doivent éduquer. Une mère jouit dans les insultes, un père qui s’impose par arrogance sont des anti-modèles pour la société et pour leur progéniture. A cause de la pauvreté, les référentiels – soutouro, ngor, kersa, fayda, fouleu, jom, mandu sont pratiquement jetés dans les poubelles de l’histoire.

                                                         III

Regardons nos chefs religieux, coutumiers, regardons ceux qui se disent gardiens des traditions, regardons les hommes politiques, regardons les acteurs sociaux, regardons chez les enseignants, regardons ce qui se passe dans les services, dans l’administration, dans les foyers, regardons ce qui se passe dans les hôpitaux, dans les casernes, regardons ce qui se passe dans le milieu artistique, partout où vous regardez, ça pue ! Et ce parfum nous remplit les poumons et la tête à chaque fois que nous entrons à l’école.

Puis que l’école est un pan de la société tout ce qui s’y trouve n’est que le prolongement des dérèglements fous qui sont notés dans la société. En d’autres termes, la chute vertigineuse des valeurs, de la moralité en milieu scolaire n’est rien d’autre que l’expression pure de l’échec de la société à honorer sa mission civilisatrice, de purification, d’éducation, d’instruction pour ainsi dire d’humanisation.

Qu’est-ce qu’éduquer ?   Ecoutons ainsi la phrase inaugurale du Traité pédagogique de Kant : « L’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. Par éducation l’on entend les soins (le traitement, l’entretien) que réclame son enfance, la discipline qui le fait homme, enfin l’instruction avec la culture. Sous ce triple rapport, il est enfant, – élève – et écolier. »

J’accuse ainsi cet enseignant qui n’honore pas le contrat qui le lie à la société, à l’Etat, à la condition humaine. Il faut plus de responsabilité, de déontologie, de respect, de sérieux, d’abnégation. J’accuse toute administration froide et hypocrite et qui manque de caractère.

J’accuse ces parents qui ne sont parents que de robe. Quand les enseignants partent en grève, ils se lèvent et, avec ignorance, jalousie et arrogance, tirent sur eux comme si les enseignants sont des monstres. Certains, dans leurs rangs, il y’ en qui sont très bas, trop même ; mais, comment les apprenants vont respecter les enseignants si parents, autorité et média ne cessent de leur manquer du respect et de la considération ?  Comment la société va les respecter si l’es autorités ne cessent de les diaboliser, de les rabaisser ? Voilà, le problème : restituer la dignité  et le respect de l’enseignant.

Les apprenants sont des victimes d’un système corrompu, fou fonctionnant laborieusement, sous coup de tâtonnement avec des ministres aux solutions-sources de problèmes. Mais, ils étalent toute une constipation qui les indispose à épouser cette note de Kant « Ainsi, par exemple, on envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront. »

Ces enfants sont des victimes. En effet, ils sont agressés par la télévision, le cinéma, l’internet, l’indisponibilité des parents, la froideur des autorités, la dangereuse ouverture sur le reste sous le prétexte de la mondialisation, le laxisme de certains parents, le manque de caractère des autorités. Ce qu’ils subissent dans leurs familles, ce qu’ils reçoivent dans la société participent de ce qui forge leur être. Certains enseignants confondent et rigueur et « rigourine» (si je peux m’autoriser ce néologisme). Par « rigourine », j’entends une rigueur excessive et irrationnelle qui cache un certain complexe. Pour enseigner, on n’a pas de besoin de faire peur ou de terroriser les apprenants. La violence physique ou verbale n’a rien à voir à la pratique de classe. Le respect et la considération sont nécessaires dans tout rapport humain. Quand il y a  trop de barrières, de distance,  une certaine méfiance prend forme. Cette méfiance, me semble-t-il, peut être à l’origine d’une certaine froideur. Voilà ce qui est dangereux. Nous n’avons pas besoin de rappeler que l’école est un moment de la société pour ainsi dire que c’est un univers humain qui se nourrit de chaleur, de confiance, de relation intelligente et respectueuse.

Rien ne justifie la violence et l’irrespect. Il appartient aux parents de dire et d’amener leurs enfants à comprendre et à épouser  l’école et ses principes. Combien de parents viennent s’enquérir de la situation de leurs enfants à l’école ? Combien de parents connaissent où se trouve l’école de leurs enfants ? Comment ne pas respecter la personne que tes parents respectent ? Le comportement des élèves dessine, en filigrane, l’image que la société a de l’école et des enseignants. Le premier et le dernier complice, c’est les autorités froides et hypocrites.

Les acteurs de l’éducation, les parents, la société restent responsables de la perte des valeurs en milieu social et, partant, scolaire. D’aucuns considèrent que les milieux urbains souffrent plus de la dégénérescence des mœurs, des valeurs. Cette vision n’est pas aussi exacte que cela. En effet, la famille peut appartenir au rural tout comme à l’urbain. La différence apparait sous cette note de Rocher : « La famille de milieu rural offre en général à l’enfant moins de possibilité de développement mental que la famille de milieu urbain. » Tout cela participe de ce qui va forger l’être de l’enfant. C’est d’ailleurs pour cette raison Kant soutient que l’éducation doit commencer de bonne heure.

Ainsi, l’étiologie de la dégradation des mœurs se réduit en un triangle : Société – Enseignant- Apprenant. En d’autres termes, c’est le système social qui est en dérèglement et qui a causé  et qui cause encore cette décadence, cette perte des valeurs en milieu scolaire.

Les valeurs nous décrochent de la nature ou de l’animalité et nous élèvent à la dimension du Bien qui est la plus profonde des valeurs. Faire le bien, c’est déjà cheminer vers Dieu en qui nous retrouvons la promesse du bonheur. La moralité dans la philosophie portique réside en l’action adéquate qui assure la quiétude s’ouvrant sur la béatitude.

Nous devons veiller sur ceux à qui nous prêtons notre nom. Ne pas éduquer un enfant, c’est le détruire et manquer de respect à l’humanité. L’éducation, voilà la seule issue pour devenir et rester humain. Que les parents jouent pleinement le rôle que leur confère le statut de parents.  Etre père et mère est lourd de responsabilité. Alors, ce sont des privilèges qui ne vont pas sans un sens élevé du sacrifice et de la responsabilité : cessez d’abandonner vos enfants à l’école. L’Etat contrôle la tâche des acteurs de l’école ; et vous, chers parents, qui contrôle la vôtre ?

Comment voulez que vos enfants croient à l’école alors que vous ne faites pas sa promotion, alors que vous ne manquez pas de raison pour dénigrer les enseignants ? Vous faites l’éloge des névrosés (des malades qui se prennent pour des artistes), des pseudo-artistes, des sportifs et vous rabaissez à tout vent ces braves gens dont le souci ultime c’est de « préparer vos enfants à devenir meilleurs ». Soyez sérieux ! Là où vous êtes incapables de tenir deux ou trois enfants à la maison, là où vous ne cessez de vous lamenter chez vous du fait de ce désastre dans le dire et le faire de vos enfants,  ces enseignants s’occupent des leurs à la maison et des vôtres à l’école ? Vous leur devez respect et considération. Genoux à terre, célébrez-les ! Psalmodiez  leur ténacité, leur passion, leur bravoure, leur sens élevé de patriotisme, leur abnégation. Je vous le dis : l’école est un lieu sacré. La Cité doit honneur et reconnaissance à ses acteurs. Dites-moi que c’est leur mission et je suis d’accord avec vous ; et  vous, la vôtre n’est-elle pas d’éduquer vos enfants ? Prenez juste cet exemple : « Sen’ Petit Galé ». De gros gaillards ratés qui ne savent rien en l’éducation ont fini par corrompre de jeunes esprits qui étaient destinés à réussir dans les études. Que sont devenus ces enfants aujourd’hui ? Quand je vois la Mame Diarra de Thiès, j’ai envie de porter plainte contre ces adultes hypocrites, menteurs sans vergogne, responsables de la « corruption de ces jeunes » de « détournement de mineurs ». Dans ce pays, il est temps de remettre les choses à leur place : si nous continuons à faire la promotion des hommes qui fréquentent la politique et ceux qui se disent « religieux » comme si les autres ne le sont pas, tant que l’imbécilité, la médiocrité, la tartufferie continuent être récompensées, tant que les militaires, les médecins, et voyez-vous, les enseignants ne sont aimés, assistés, respectés, honorés, cette Cité, livrée à de vaines mains manipulatrices, ne saura voir l’arc-ciel. Voilà ce à quoi je nous invite : une rééducation !

Hamidou Diop, Professeur de philosophie

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