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EDITO –      L’art de gouverner dangereusement !

Par Bacary Domingo Mané

Annulation, suspension ou  report…de la présidentielle du 25 février 2024, en tout cas, nous refusons de tomber dans le piège de l’euphémisme. En prenant cette décision historique, le Président Macky Sall a prononcé une retentissante oraison funèbre de notre démocratie acquise de haute lutte par plusieurs générations. Après l’avoir chahutée, mise en compost et jetée aux orties, il a signé, le samedi 3 février, le certificat de gendre de mort, avec la complicité de Karim Wade, le fils de son père, un élément central du mélodrame.

Les naïfs, qui croyaient à un sursaut de la raison chez le Prince, ont encore mordu la poussière. Et il en sera ainsi, tant qu’il se croira éternel. Entre lui et le pouvoir, il y a, comme qui dirait, une sorte de liaison dangereuse dont l’excitation titille les extrêmes.

Rex locutus est !

La fin, c’est la conservation du pouvoir et toute approche philosophique, éthique et morale des moyens à utiliser pour y arriver, devient puérile et anesthésiante chez lui. Sa parole est performative et sa volonté est action. C’est un demi-dieu qui écrase son peuple et ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Rex locutus est[1] !

Le Président Sall fait penser à la figure du héros de Roger-Gérard Shwartzenberg  faisant référence à l’image du pouvoir. Il est distant, lointain, c’est l’homme d’exception, le chef providentiel et souvent idole. C’est l’équivalent du monstre sacré. Il est hautain, altier. Il cultive la séparation et creuse la distance. Il trône au-dessus des autres, du peuple. Dans une sorte d’empyrée, d’olympe. Supérieur et souverain, il campe dans la légende[2].

Le goût du danger dans la gorge

Comme l’enfant des «trois métamorphoses de l’esprit[3]» de Nietzche, il a le goût du danger dans la gorge. C’est pourquoi, il gouverne dangereusement, mettant ainsi en péril son peuple qui en paie toujours le lourd tribut. Combien de jeunes sont passés de vie à trépas pour avoir osé rêver  de lendemains meilleurs ? Combien de familles endeuillées parce qu’un des leurs a voulu exercer un droit constitutionnel ? Ils sont au nombre de combien, ces borgnes et amputés  broyant du noir parce qu’un éclat de grenade est passé par-là, un agent des Forces de défense et sécurité (Fds) a eu la main lourde ou un nervi a voulu venger son échec sur des âmes innocentes ? Tout cela est la résultante d’une gouvernance dangereuse qui expose inutilement la vie des citoyens.  

La République est juste un terrain de jeu où les feintes exquises et les dribbles cherchent frénétiquement la balle du chaos qui anéantit toute velléité d’adversité agissante, voire pensante.  C’est sous son magistère que le «déni de questionnement» a été gravé dans le marbre.

Pouvait-il en être autrement pour quelqu’un qui n’a de limite que l’horizon jouissif du pouvoir. Au-delà des apparences, ce projet de loi actant le report de la présidentielle  du 25 février 2024 et prolongeant son mandat d’un an, est l’œuvre du Leviathan assimilant le pouvoir à la vie et sa perte, à la mort. Diantre !

Le Président Macky Sall adore le pouvoir et pouvoir le lui rend bien. Tout lui sourit depuis douze ans et ses plans sont tous exécutés, en dehors de quelques «petits échecs». C’est pourquoi le rouleau compresseur n’est pas prêt à s’arrêter, quitte à broyer des convictions, des espoirs et des rêves.

La symphonie «des premières»…

Sa gouvernance dangereuse a fini de terrasser tous les piliers de la République et inaugure l’ère de la symphonie «des premières» rythmant la danse du scalp du diable: élimination de la liste des titulaires de Yewi par le ministre de l’intérieur aux dernières législatives ; refus de l’administration d’exécuter une décision de justice ; détention arbitraire ; violation de la close d’éternité du mandat présidentiel par une majorité mécanique à l’Assemblée nationale ; accusation de viol qui se transforme en «corruption de la jeunesse» ; jugement par contumace à l’endroit d’un prévenu qui a pignon sur rue ; persécution de Pastef et de son leader ; près de 2000 détenus croupissent dans les prisons sénégalaises ; dissolution de Pastef ; accusation de soupçon de corruption sur deux Sages du Conseil Constitutionnel ; terrorisme ;  forces spéciales ;  coupures fréquentes d’Internet; retrait de la licence à un média(Walf) etc.

La gestion du Président Macky Sall n’a laissé aucune chance à la République. Pourtant, il déclare, dans son livre «Conviction Républicaine[4]», « incarner la République et le renouveau » dont il « s’efforce chaque jour d’être l’adepte et l’artisan intransigeant dans l’action ». Etre républicain n’est pas de l’ordre de la parole, comme le clame le chef de l’Etat, mais relève plutôt de l’acte. C’est dans le feu de l’action que l’on peut juger de la posture républicaine ou non de celui ou celle qui le prétend. Si les vrais républicains ont réussi à faire aimer la République, les dictateurs eux, ont emprunté le chemin de traverse pour la faire haïr, à force d’agression des libertés publiques et de soumission de la Constitution à des viols répétitifs.

Encore eux…

Le 23 juin 2011 rappelle le projet funeste de la dévolution monarchique du pouvoir, avec le quart bloquant et le ticket présidentiel, et comme par enchantement, le 5 février 2024, l’Assemblée nationale fait sauter le verrou de la clause d’éternité ou d’intangibilité en prolongeant la durée du mandat du Président Sall d’un an. Au cœur de ces évènements traumatisants pour la République se trouve l’initiative des libéraux, avec Karim Wade, comme tête de gondole.

 Bacary Domingo Mané


[1] Expression latine qui signifie : Le roi a parlé

[2][2] Shwartzenberg, Roger-Gérard : L’Etat spectacle, essai sur et contre le star système en politique, ed. Flammarion, 1977, (p.14 et 20)

[3] Nietzsche, Friedrich,Ainsi parlait Zarathoustra, Traduction par Henri Albert. (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 9, p. 33-36). « L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation », P.36

[4] Ce Livre, publié en 2020, est un condensé des discours du Président Sall

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