Philosopher en Balante: « Ego existo , quia alter existit »
PAR BACARY DOMINGO MANE
Le rapport du Balante à la nature peut être envisagé au double plan de la simplicité et de la complexité. Un pion sur le damier de l’univers, il n’a jamais perdu de vue que c’est dans l’interaction que la nature se régénère. Pour lui, le souffle se manifeste en chaque être animé ou inanimé qui peuple le monde. La cause première fait agir du dedans comme du dehors.
Dans sa relation au cosmos, le respect de la position des choses et des êtres traduit, selon lui, la distance qui sépare ces derniers de l’Architecte de l’univers. C’est pourquoi le Balante ne s’adresse pas directement au Créateur, mais passe par le souffle des défunts patriarches à même de traduire, dans un langage qui tranche d’avec nos codes, la parole des profanes pour la faire parvenir, dans sa forme pure, à son Destinataire.
La libation, suivie d’incantations, traduit la nécessaire hiérarchie dans la circulation et la compréhension de ce qui est caché aux vivants. Et le fait de citer nommément le nom de chaque défunt patriarche, pendant les incantations, prouve la diversité et la singularité des positions de ce qui peut être rapporté au Plus Haut Perché.
Le Balante est un être situé mais dont le positionnement singulier rappelle, à bien des égards, la diversité des positions qui peuple le cosmos. C’est grâce à son altérité inclusive qu’il féconde le monde.
Il est à l’écoute du moindre souffle qui lui fait prendre conscience de ce qu’il est réellement. C’est donc dans et à travers le mouvement que le Balante se réalise. Pour lui, vivre et vivre pleinement sa vie, c’est aller à la rencontre de l’autre, dans une sorte d’élévation, synonyme de renoncement mutuel aux contingences.
La présence-absence du «Tu» ou du «Il » détermine son action-réaction, faisant, du coup, écho au système de l’univers conçu, par le Créateur, sous le mode de l’interaction. Les êtres qui y habitent ne vivent pas de façon isolée. La cohésion et la communion constituent les deux logiques du vivre-ensemble.
La première (la cohésion) fait appel à l’harmonie qui sous-tend le rapport de chaque être à son environnement, parce que le Balante sait que sa survie dans cet univers, en apparence hostile, dépend, en grande partie, du respect par chaque atome de la loi de la nature. Ce qui fait du Balante un écologiste dans l’âme.
La seconde (la communion) elle, convoque l’essence qui fait converger chaque être vers le point culminant de la nature qui affranchit du superflu. C’est ce qui explique le fait que chez le Balante, l’Autre soit toujours le «Frère», le compagnon d’infortune quels que soient son nom, prénom, religion ou croyances. C’est la communion qui laisse entrevoir le caractère infini de l’Autre, Celui qui n’est pas «Moi» est «En Moi» parce qu’il constitue la centralité des êtres et des choses.
Le Balante vit donc dans une société fraternelle où chacun est au service de son prochain, dans un élan de générosité dépouillée de tout calcul égoïste et inhibant. Il sait que le pouvoir vient des autres, de la nature, et est conscient que son «Moi» n’entamera son ascèse que dans une interaction altruiste et fécondante.
Le Balante n’est pas cartésien – au sens où Descartes défend le solipsisme – puisque l’individu ne se révèle pas à lui-même par le seul fait de son existence, de sa conscience, de son acte de penser. Il y a changement de paradigme.
Le «Cogito ergo sum» (je pense, donc je suis) de Descartes est remplacé chez le Balante par «Ego existo, quia alter existit» (j’existe parce que l’autre existe). Le modèle d’identification et de prise en charge de sa conscience change radicalement. Il y a une sorte de jeu de miroir qui explique le caractère simultané de la reconnaissance de l’individu par l’autre.
Pour le Balante, l’individu social est au cœur d’une interaction qui repousse tout isolement. Il exclut toute ontologie détachée du groupe.
Bacary Domingo Mané (Mondeafrik.com)
