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MORT DE PAPE DIOUF : «L’Obama de Marseille» n’est plus !

Pape Diouf, l’ancien président de l’Olympique de Marseille, est décédé. Agé de 68 ans, il souffrait  du coronavirus et avait été d’abord hospitalisé sous assistance respiratoire à Dakar. Il devait être rapatrié ce mardi 31 mars à Nice. Pape Diouf est le premier cas de décès lié au Covid 19 au Sénégal. Retour sur la vie d’un homme de légende.

En février 2014, nous brossions le portrait d’un homme passionné qui revendiquait sa double culture comme une richesse.

Du Sénégal à l’Olympique de Marseille, le parcours d’une légende du football

Qui l’aurait destiné à devenir président d’un grand club de football ? Le seul Noir qui ait jamais occupé ce poste en France, et en Europe ? Celui que l’on surnomme l’ « Obama français » ne cache pas son bonheur d’avoir fait tomber une barrière : « Beaucoup ne songeaient pas que quelqu’un comme moi soit capable d’assumer ce poste. Avec mes cinq ans à la présidence du club, cette ignorance-là est tombée. Si demain, un autre président noir accède à la tête de l’OM, plus personne ne se posera de question. »

Il a déjà été le premier président d’origine africaine d’un grand club, et son élection à la mairie, selon lui, s’inscrirait dans la continuité : « montrer à la majorité que si on ne s’arrête à la surface, alors, oui, chacun, selon ses dispositions, peut occuper une place où on ne le voit pas ou qu’on lui refuse. » S’il évoque avec naturel son oeuvre de pionnier, l’indignation, bientôt, l’emporte avec une certaine brutalité : « Dans un pays fermé comme la France, il n’y a pas un seul Noir ou Arabe à la tête d’une entreprise du CAC 40 ou d’un ministère régalien, à Taubira près. Si je peux démystifier les clichés et montrer que les Noirs ne sont ni meilleurs, ni pires que les autres, alors je serai heureux. »
 

« A Marseille, tout est prioritaire »


S’il admet aujourd’hui qu’il pourrait peut-être prendre la direction d’un autre club que l’OM, il ne pourrait pas, assure-t-il, se présenter à une autre mairie que celle de Marseille – par sagesse et dégoût de la médiocrité.

« La médiocrité, c’est faire semblant de pouvoir et de connaître, sans pouvoir ni connaître. Je ne pourrai pas me présenter ailleurs, où j’ignore les codes, les gens, les insuffisances. » Après quarante-quatre ans de vie dans la cité phocéenne, il en connaît tous les rouages, tous les manques et les manquements. Et les problèmes de la ville sont tels que tout est prioritaire.

Alors par quoi commencer ? « Tout d’abord rassembler un maximum de gens et rencenser ensemble les priorités : fracture sociale, transports, système éducatif…  » annonce-t-il de son ton autoritaire de meneur d’équipe. Et pourtant, peu après avoir annoncé sa candidature, il déclarait au journal Libération qu’il ne ferait « pas de promesses » et que « les programmes et les projets sont l’affaire des hommes politiques. »

De fait, il ne se conçoit pas comme un homme politique, mais un comme un homme d’action publique. « Le seul vrai projet qui a bénéficié à Marseille n’était au programme d’aucun homme politique, explique-t-il. C’était la réalisation du stade vélodrome. Un projet, cela peut être simplement réparer un lampadaire défectueux, du moment qu’il améliore la vie de l’habitant. » Il refuse de faire semblant de tout connaître et de se barder de fiches. « Il y a bien sûr des domaines dont je connais l’importance et les répercussions, mais dont j’ignore tous les ressorts. Je verrai avec l’équipe de spécialistes compétents, de professionnels chacun dans son secteur, qui m’entourera. »

Toute la richesse de la double culture


« Quand elle faisait à manger, ma mère préparait toujours deux ou trois parts de plus que nécessaire pour les personnes présentes, dans l’esprit que d’autres pourraient se joindre à nous, se souvient Pape Diouf. L’autre, même s’il n’était pas attendu, même si on ne savait pas qui il était, était d’emblée intégré à la tablée commune, où tout le monde mangeait autour d’une même grande assiette. » Ainsi, associer les autres à ses démarches est pour lui une évidence, un réflexe acquis dans le giron familial. Alors pour Pape Diouf, une certaine ambition, familiale, amicale ou sportive, n’a de sens que collective. Le collectif est pour lui une seconde nature, qui va bien au-delà de l’esprit d’équipe pour cet habile meneur de sportifs professionnels.

Très tôt, « Mababa » Diouf se rêve enseignant. Avec ses frères et ses cousins, il joue à faire l’école et se bombarde directeur de l’établissement. Collégien, il ouvre une « classe » factice dans son quartier, où se rassemblent tous les gosses du coin pendant les vacances, évoque-t-il avec une pointe d’accent acquis en quarante-quatre ans de vie à Marseille. Né au Tchad, Pape Diouf débarque à Marseille à 19 ans, après une jeunesse sénégalaise, pour suivre des études de sciences politiques. Pour gagner sa vie, il cumule divers petits boulots et démarre comme n’importe quel immigré, même s’il est déjà Français par son père. « Mais je me sens aussi profondément Sénégalais, insiste-t-il. La double culture, c’est deux mondes différents qui s’interpénètrent. C’est d’abord l’acceptation de l’autre, puis la compréhension et la connaissance de la meilleure partie de l’autre. A l’inverse, le rejet – et n’ayons pas peur des mots, le racisme – naît souvent de l’ignorance. J’en suis un exemple vivant. »

De rencontres en concours de circonstances, il devient journaliste sportif, puis agent de joueurs, avant de prendre la tête du club de football l’Olympique de Marseille (OM). Un rêve devenu réalité pour celui dont la première visite dans la cité phocéenne avait été celle du stade Vélodrome. « J’ai appris à lire dans les journaux sportifs, se souvient-il. Je lisais Football Magazine étalé sur mes genoux pendant que l’instituteur nous servait des « nos ancêtres les Gaulois« . C’est le sport qui m’a donné le goût de la lecture. »

Ce dont Bernard Tapie avait rêvé, Pape Diouf réussira-t-il à le faire ? Malgré l’immense popularité dont il jouit dans la cité phocéenne, l’ancien président de l’OM peine encore à décoller dans les sondages face au maire sortant Jean-Claude Gaudin. Qu’importe, puisque l’essentiel, pour lui, reste de faire ce qu’il estime être le mieux possible au moment il doit le faire, et de le faire bien : « C’est ainsi que je suis fait. Je n’avance pas en me projetant. Je suis davantage guidé par la réussite que par les acquis qu’elle apporte. »

TV5

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