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Le Sénégal ou une démocratie en chute libre

Par Mamoudoudia Diaboula, Doctorant en philosophie

« Aux questions particulières, il faut des réponses particulières ; si la série de crises dans laquelle nous vivons depuis le début du siècle peut nous enseigner quelque chose, c’est, je crois, le simple fait qu’il n’existe pas de normes générales pour déterminer infailliblement nos jugements, ni de règles générales sous lesquelles subsumer les cas particuliers avec un degré de certitude ». Dans la pensée politique communément appelée philosophie politique, voilà ce que Hannah Arendt distingue comme la problématique fondamentale caractéristique de la pensée et de l’action, de la philosophie et de la politique ou encore de la théorie et de la pratique. Mieux, ce passage interroge les jugements (la pensée) et la responsabilité des hommes ordinaires qui dans un temps de crise doivent discuter dans la profondeur de leurs âmes mais aussi collectivement sur ce qu’il y’a lieu de faire pour surmonter une situation qui s’est extirpée des limites du raisonnable et qui est en phase de devenir incontrôlable. Qu’est ce qui pourrait expliquer une telle situation dans un pays comme le Sénégal où la démocratie a toujours été un modèle en Afrique et un peu partout dans le monde ? Le mensonge ! la cupidité voire la volonté perverse d’un gouvernement qui, de par ses machinations et ses entreprises diaboliques tend à détruire les valeurs fondamentales d’une démocratie considérée jusque-là comme modérée et paisible. Le rapport du politique au mensonge est double : il peut être utile comme pervers. Utile dans la mesure où il contribue à protéger les citoyens dans le cas où un Etat  s’engage dans un devoir moral de ne pas informer sa population sur des vérités sensibles. Mais  pervers aussi dans le sens où le mensonge sert à protéger les intérêts de quelques particuliers, celui du démagogue pour dire ainsi. Dans ce dernier cas de figure, ce mensonge est dangereux car étant délibérée et émanant de la mauvaise foi peut conduire un peuple à la violence ; c’est un mensonge qui contribue à régression de la démocratie en limitant « l’Etat de droit».

Rappelons par-là que parmi les choses qui garantissent la viabilité d’une démocratie, il y’a effectivement la liberté, la justice et l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Une démocratie qui ferait abstraction de ces principes est une dictature qui ne dit pas son nom. En effet, la démocratie devient inexistante dans un Etat à partir du moment où les citoyens ne peuvent pas affirmer en toute liberté leurs convictions qu’elles soient morales, religieuses ou politiques. Le pouvoir corrompt le libre jugement de la raison, disait Kant en réponse à la théorie « des philosophes de roi » de Platon. Mais pour que cet aveuglement ne débouche en conflit ouvert entre les membres de la communauté politique, il faut une libre confrontation des idées et des opinions. D’où la nécessité pour toute démocratie de laisser exister une opposition afin que viennent se confronter des thèses opposées et souvent contradictoires. Qu’est-ce donc une démocratie sinon qu’une « mise en commun » des hommes avec des convictions différentes. Tant que cet espace de débat reste menacé, une démocratie sérieuse ne peut aussi exister.

Le gouvernement sénégalais veut-il créer une autre version de la démocratie qui se passerait de l’existence du débat contradictoire qui est considéré comme la seule vertu de la démocratie ? L’affaire Sonko est peut-être la gouttelette de plus qui a fait déborder le vase. Les sénégalais après avoir longtemps étaient pendant longtemps des spectateurs aux atteintes et des dérives du pouvoir actuel, ont compris qu’il leur est venu le temps de replanter l’étendard de la démocratie et de réinstaurer l’Etat de droit. Notre démocratie est malade ; ou au contraire elle est en crise profonde. Depuis un certain temps, il se passe des choses banales en apparence et pourtant  très antidémocratiques dans le fond. Par exemple, quand le président de la république instruit à ses partisans ne pas se prononcer sur la question du troisième mandat. Cette décision émanant d’un président est quelque peu contradictoire avec les bonnes valeurs de la démocratie. Car, bien entendu, il s’agit là d’une tentative de limiter la liberté d’expression. La dictature commence quand un président pense que c’est à lui que revient droit de décider sur que les citoyens doivent dire et ne doivent pas dire. Dans une démocratie, la liberté de passer, de dire ce l’on pense à autant de valeur que le travail. L’’argument du travail avancé par le président afin de justifier son attitude de limiter le débat sur cette question ne serait être valable.

Face à une situation aussi exceptionnelle, la première question que tout sénégalais doit se poser est celle de savoir si la démocratie du pays est menacée et si le pouvoir en place est en phase de devenir un pouvoir totalitaire ? S’il s’avère que la réponse à cette inquiétude est l’affirmative, nous devons répondre à une seconde question qui consiste cette fois-ci à savoir ce que nous devons faire. Mieux, nous devons nous interroger sur l’attitude à prendre à partir du moment où nous reconnaissons sans équivoque que les convictions politiques auxquelles nous croyons et qui ont jusque-là constitué les fondements politiques de notre pays et façonner notre engagement politique, notre vivre ensemble sont en voie de perdition. Il est clair que si nous ne nous posons pas ces questions en vue d’entreprendre une action pour refonder l’équilibre politique de notre  Etat, nous serons tous et sans exception complices devant l’histoire, des pires choses qui peuvent émaner de cette période trouble. En politique et surtout en démocratie, ce qui fait l’élégance et aussi la beauté, c’est la possibilité qu’on donne à la masse de s’exprimer sur des question sociales et politiques de grandes envergures. Pour se situer dans la logique du grand historien Thucydide, « L’État démocratique doit s’appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l’égalité de tous devant la loi ; faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. L’harmonieux équilibre entre l’intérêt de l’État et les intérêts des individus qui le composent assure l’essor politique, économique, intellectuel et artistique de la cité, en protégeant l’État contre l’égoïsme individuel et l’individu, grâce à la Constitution, contre l’arbitraire de l’État ». Protéger les citoyens contre l’arbitraire du pouvoir ne doit être un idéal dans une société démocratique. Cette exigence doit être du concret, une réalité permanente. Si nous considérons la démocratie comme « l’emblème de la société politique contemporaine » c’est parce qu’effectivement, cette dernière est le régime le moins risqué pour les hommes, elle est celle qui procure plus de liberté. Mieux, la démocratie est facteur de progrès social et développement. Lutter pour sa cause revient à lutter pour la défense de l’humain, de sa liberté et de son intégrité.

Dans sa contribution à la philosophie politique et de la justice sociale, Amartya Sen s’est refusé de donner une définition qui serait propre à la démocratie. En lieu et place d’une analyse conceptuelle, Sen propose une réflexion qui évalue la démocratie en fonction de son importance. De ce qui en découle de son analyse, on peut y retenir que la démocratie est d’une importance capitale d’autant plus que les exigences de cette dernière sont compatibles avec les principes de justice et permet une cohabitation paisible dans une communauté politique. En effet, c’est une illusion de croire que la démocratie doit se limiter à appliquer bêtement les lois de la majorité et que le droit de citoyens se limite au seul vote. Une bonne démocratie c’est avant tout l’implication de masse aux affaires publiques. Ce qui pour ce faire, exige la valeur du pluralisme politique.

C’est pourquoi, nous sommes ici en toute légitimité de nous poser la question de savoir si le pouvoir actuel  est en phase de transformer le Sénégal en un Etat autoritaire ?  En tout cas, c’est la question que se posent beaucoup de Sénégalais. En effet, selon une importante part de l’opinion sénégalaise, Macky Sall a fini par imposer un pourvoir dictatorial au Sénégal en éliminant progressivement tous ses adversaires potentiels. L’opinion a tort ou raison, là n’est pas question. Tout compte fait, il n’en demeure pas moins qu’il y a matière à s’interroger sur le bien-fondé et la véracité de ces inquiétudes. Avant-hier, c’était Karim Wade ; hier, ce fut Khalifa Sall et aujourd’hui, est peut-être venu le temps pour Sonko de s’effacer de l’espace politique du Sénégal. Si nous nous situons au-delà de nos convictions politiques et de toute l’émotion qui entache l’affaire Sonko/Adji, une évidence s’impose à nous : le Sénégal d’après Sonko est en phase de rester pendant une démocratie sans opposition. Peut-être, le Sénégal sera le premier pays au monde qui soit une démocratie sans une véritable opposition. Mais la question à se poser est celle de savoir si nous continuerons à être une démocratie ; une bonne démocratie, c’est à dire solide et enviable.  

 L’enthousiasme a été général après l’élection de Macky Sall autour de la question de la traque des biens supposés mal acquis. Nous étions tous et momentanément content du fait que le gouvernement Sall est mu par la noble volonté de la justice et de la transparence. Mais aussitôt que cette traque a commencé et surtout la manière avec laquelle elle a commencé, notre déception a été générale. Nous avons compris, qu’en fin de compte, la supposée traque des biens mal acquis n’était en rien un combat pour la justice et la transparence. Au contraire, c’était là une manœuvre politique bien outillée pour anéantir politiquement des adversaires gênants. Cette procédure, comme nous le savons tous, n’a obéit à aucun principe d’équité. En lieu et place, c’est avec regret que nous avons constaté que la justice sénégalaise est devenue subitement l’objet de fantasme du gouvernement dans le seul but d’assouvir son besoin de ne point être contesté. Depuis cet instant jusqu’à aujourd’hui, la justice sénégalaise ne pose vraiment pas d’acte pouvant nous mettre en confiance sur son indépendance. Pour beaucoup, cette justice est l’instrument du gouvernement actuel. Et ladite affaire est une raison de plus qui vient de confirmer ces soupçons.

Par ailleurs, pour ce qui concerne l’affaire Sonko/Adji, je me récuse de tous jugement sinon que de dire que l’Etat de droit n’est pas la même chose que l’Etat de la morale. En morale Sonko est peut-être condamnable (je n’en sais rien de toute façon). S’il a agi par légèreté morale, cela n’induit en rien sa culpabilité en droit. Encore faut-il le dire nous sommes dans une affaire justice pénale et dans une telle affaire, ce qui compte c’est la conformité ou la non-conformité d’une action à la loi. Dire qu’il est coupable parce qu’il a un devoir d’exemplarité est certes une erreur grave qui creusera d’avantage le fossé  entre la vérité et nous dans cette affaire. Je ne suis pas juriste de formation et, donc par modestie, je laisse la tâche à des spécialistes plus aguerris que moi dans ce domaine pour nous éclairer avec des analyses impartiales sur ce qui serait de la culpabilité et la non-culpabilité de Sonko dans cette affaire de viol supposé. Pour ma part, je me limite à dire que ceux qui pensent ramener ce procès en un procès moral sont soit des ignorants  qui ne savent rien droit ou peut-être des personnes de mauvaise foi qui, animées de mauvaises intentions, présentent la dimension morale de l’acte pour fabriquer un coupable. Heureusement que nous avons de bons juristes qui seront avertir des ignorants dont je fais partie sur l’écart qui existe entre la morale et droit.

Le Sénégal a rendez-vous avec l’histoire de sa démocratie, à nous de vouloir avec l’aide de Dieu que les valeurs fondamentales qui soutiennent cette démocratie ne soient à jamais perdues.

Mamoudoudia Diaboula

Doctorant en philosophie morale et politique

à l’Université d’Aix-Marseille en France.

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