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LE SÉNÉGAL DEVANT LE SYNDROME DE LUCIUS SEPTIMIUS !

Par  Sergei Van, Professeur de Philosophie

L’historien et homme politique romain Lucius Cassius Dio est formel dans son ouvrage Historiae Romanae : l’empereur romain Lucius Septimius connu sous le nom de Caracalla qui régna de 211 à 217 fit éliminer, froidement, tout ce qui lui semblasse être un obstacle contre son désir de s’éterniser au pouvoir. Amis, intellectuels, en passant par les opposants jusqu’à son frère Geta, cohéritier du trône, il élimina tout ce qui se présenta, à ses yeux, comme possible frein contre sa soif de pouvoir. Il se lança dans un véritable projet de nettoyage et ce dans le seul but de s’assurer un pouvoir et un règne sans partage. En quoi une histoire, celle d’un homme, qui date du IIIe siècle est-elle pertinente pour entamer notre propos ? En guise de réponse, il suffira de rappeler la belle formule de Michel GODET : « Si l’histoire ne se répète pas, les comportements humains se reproduisent ». Nous en avons la preuve.

En effet, un soir de Mars 2012, les caprices du hasard ont voulu que la personne qu’il ne fallait pas accède à la plus haute magistrature du pays. L’histoire, dans toute sa subtilité, venait de faire au Sénégal une « blague de très mauvais goût ». Depuis ce fameux soir, rien dans la marche de notre cher pays ne pouvait empêcher que l’on constatât des ressemblances entre le règne de l’empereur Lucius et la gouvernance de l’actuel président de la République. Celui-ci, président d’une République démocratique et non régent d’un empire, il faut le lui rappeler, se plaît pourtant à imiter jusqu’aux traits les plus vils de celui-là.

Ayant, selon ses dires, contribué à la lutte contre les dérives de fin de mandat de son ancien mentor, Me Abdoulaye WADE, il s’est pourtant construit une véritable dynastie :  frère, beau-frère, et autres proches… De plus, toutes les tares reprochées à son prédécesseur sont réapparues, depuis son accession au pouvoir, avec une force et une persistance presque insolentes : népotisme, gabegie, vol et détournements de deniers publics, violation des libertés, tentative de liquidation des adversaires politiques. Le comportement crapuleux de certains de ses ministres, députés et autres amis dans la gestion des choses qui leur ont été confiées m’autorise à passer directement à l’actualité qui fait écho d’une autre infirmité de ce régime. Avant de passer, soulignons juste que l’attitude disgracieuse, observée tous les jours, de certains de ses ministres et députés, suffira comme preuve aux hommes doués de bon sens pour que nous ne nous attardions pas sur un rappel de ces dérives.  « Je  suis  député  de Macky » ? Mot d’un/une arriviste qui n’a pas encore assimilé les règles de base de l’usage de la raison. De quelle autre infirmité parlions-nous? Une nouvelle tentative de liquidation d’un adversaire politique, sachant toutes les conséquences désastreuses que cela peut avoir pour une démocratie.

Quand celui qui n’eut aucune gêne pour dire que nous sommes amis des Français parce que nos braves tirailleurs avaient droit à des desserts affirme fièrement qu’il réduira « l’opposition à sa plus simple expression », en principe, il ne faudrait pas être étonné. D’ailleurs, nous ne l’avons pas été car ayant, depuis longtemps, pris mesure de la maladresse de l’homme. Pas étonné, mais offusqué, j’ai été, au plus haut point, de voir la chose en train, petit à petit, de se matérialiser. Les amis, le Sénégal est une démocratie. Que l’on soit obligé de le rappeler témoigne de l’agonie de notre démocratie. Comment le « Premier » citoyen de ce pays peut-il se permettre de vociférer des propos aussi « démocraticides » ? Si vous voulez tuer une démocratie, supprimer l’opposition.

L’anacyclose établie par Platon au livre VIII de la République (545a sq.) nous aura appris une chose : la naissance d’une tyrannie est toujours consécutive à la mort d’une démocratie. Ce qui fait le charme d’une démocratie, tous les individus sensés le concéderont, c’est l’existence d’une opposition. Car, comme le fait remarquer FORTIN, « le duel est au principe même de la démocratie (héritage gréco-latin qui inaugure la rivalité comme principe premier de l’expression démocratique) dont il fonde en même temps la légitimité »1. En d’autres termes, quoique le multipartisme suppose, en démocratie, l’existence de plusieurs formations politiques en opposition avec le pouvoir en place, les membres de toutes ces formations partagent le statut commun d’opposants politiques. Donc, face au logos du pouvoir en place, il y a et il doit y avoir un second logos apparaissant comme sa contradiction, celui de toute l’opposition aussi nombreuse soit-elle. C’est la seule chose qui donne vie et forme, mais aussi et surtout qui préserve la démocratie. Si vous enlevez l’opposition ou que vous la réduisiez « à sa plus simple expression », pour reprendre la grossière et calamiteuse expression de l’autre, vous basculez directement dans la tyrannie.

Voilà dans quelle direction le Sénégal est aujourd’hui conduit par celui qui,  à l’origine, ne devait être qu’une note de bas de page dans notre riche histoire politique. La tyrannie !! Saviez-vous que le tyran, à l’image de Lucius Septimius, s’il veut régner, « sera donc forcé de supprimer tous ces gens-là [ceux qui se constitueront en obstacle contre son désir de pouvoir], si bien qu’il ne laissera ni chez ses amis ni chez ses ennemis, personne quiest  de la  valeur »2 ? Après  Karim,  Khalifa  mais  aussi certains désormais  anciens amis  du « Roi » dont le seul tort aura été de dire à ce dernier la vérité sur le « fameux » troisième mandat, qui va passer « à l’abattoir »? Tout le monde peut, apparemment, y passer, chers amis. La décence m’interdit, par ailleurs, de rappeler que certains anciens « supposés » opposants n’ont pas « été liquidés », mais se sont gracieusement donnés au « Roi » et ce aux dépens de leur intégrité ; à supposer qu’ils aient, une fois dans leur vie, fait montre d’une once d’intégrité. Comprenez tous ces vautours qui, ayant déguisé leur goût éhonté pour l’argent sous le masque de « travailler ensemble pour le Sénégal », se sont compromis. Mais aussi les nouveaux sycophantes de la place publique qui, comme cet avocat qui a divorcé d’avec la crédibilité et  la  vérité, ne  se déroberont à aucune forme de honte pour avoir un « merci »  du « Roi ». Leur indélicatesse notoire m’interdit d’invoquer d’autres preuves.

Je ne puis terminer sans rappeler au futur ex démocrate qui dirige ce pays que c’est au nom de la sauvegarde de la démocratie et de toutes ces valeurs que certaines personnes, beaucoup dans la repentance aujourd’hui, ont fait de lui le quatrième président de ce pays. L’un des génies des Grecs du temps de Protagoras a été, Monsieur le Président (pour le dire enfin),   de  nous  avoir  fait  présent  du  mot  « dèmokratía »  dont  la  deuxième composante, « kratein », a donné « archè » qui, ici, renvoie à « l’autorité déléguée par la cité aux magistrats »3. Autrement, s’il est un pouvoir aujourd’hui, c’est celui du peuple. Que les flatteries toutes hypocrites de certains de  vos  flagorneurs  ne  vous  fassent  pas oublier  cela.

« Réduire l’opposition à sa plus simple expression ? » La coquetterie intellectuelle ne sied pas à tout le monde, cher Président.

De Sergei Van

Enseignant-Vacataire au département de philosophie de l’UCAD et Enseignant de philosophie au CÉMAD.

1 Gwenole Fortin, « Une dérive néo-sophistique ? Les pratiques argumentatives dans les débats politiques télévisés », Communication & langages, Nec Plus, N°148, 2006, p.54.

2 Platon, République, 567b (Œuvres Complètes).

3 Claude Mossé, Périclès : l’inventeur de la démocratie, Paris, Payot, p.33.

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