Le rapport ambigu entre science et éthique à l’aune du corona
Diama Badiane, Pr de philosophie
La science a comme caractéristiques fondamentales, la rationalité, l’objectivité, la possibilité détablir des lois apodictiques qui nécessitent la validation grâce à des méthodes de vérification universelles applicables partout, par tous et pour tous. Ceci présuppose qu’une loi ou découverte scientifique doit être publiée avec un protocole objectif qui n’a pas besoin d’être accompagné ou suivi par son sujet mais qui peut et doit convaincre seule pour être validée ou invalidée. Le vaccin de la covid-19 fait-il exception à la règle ?
La science semble aujourd’hui affronter un monstre, une épouvante insaisissable. A chaque fois qu’elle pense la saisir, elle s’évente ou disparaît entre ses mains. La covid-19 ne cesse de muter, de varier (anglaise, sud-africaine entre autres). Et c’est ce qui rend difficile la tâche de la science. Elle travaille d’habitude sur du fixe, sur du concret et réalise des expériences et des tests universalisables. Mais avec ces multiples mutations du virus, la science est prise au dépourvu et semble travailler sur des chimères. La mutation du virus rend la science presque impuissante. Traditionnellement, la science a toujours besoin de bien saisir son objet, de le cerner afin de produire des théories à prétention universaliste. Seulement avec la covid-19 tout se passe actuellement autrement, et la vérité se dérobe à lemprise de la méthode scientifique. Cela remet au goût du jour la relativité de la vérité scientifique. Comment bâtir du vrai sur du mouvant et mieux encore sur du vivant ?
Être médecin urgentiste me donne-t-il le droit d’homologuer un vaccin sans contre-expertise juste par ce qu’il vient de la Chine ou des États-Unis ? C’est vrai que nous sommes dans l’urgence que nous impose la crise. C’est vrai que nous devons prendre des décisions dans l’immédiat. C’est vrai que le temps nous manque. Devant la mort nous devons tenter quelque chose, parce que nous sommes comparables ici à des voyageurs égarés dans une forêt où existe tous les dangers. Nous devons prendre des décisions qui s’accompagnent de probabilités et de risques. De la même manière nous devons tester des vaccins car nous ne pouvons rester sans rien faire. Seulement, il faut tout de même tenir un langage de vérité aux populations. Qu’elles comprennent que ce phénomène est nouveau et que nous tentons scientifiquement de combattre. Les risques sont là et la mort aussi. Mais quand bien même on ne saurait rester sans rien faire, faisons ce que nous devons faire en tenant compte de l’humanité et de la dignité humaine. La préservation de l’humanité incombe surtout aux médecins aujourd’hui. Sinon après cette catastrophe (la pandémie) nous risquons d’en créer une autre.
Ces obstacles épistémologiques internes ne sont-ils pas devenus un handicap à l’applicabilité objective de la science ?
Pourquoi cette phobie vaccinale ? C’est plus quune peur. Et cela est dû à un principe de précaution. En effet, aujourd’hui l’Internet donne voix à tout le monde et beaucoup d’informations sont véhiculées sur la pandémie. On a peur surtout nous pays pauvres de se voir injecter des nanotechnologies. On a peur de se voir être forcés vers une limitation des naissances. Telles sont les pensées de la masse.
Et pour les pays riches, il y a la peur de créer des monstres. Les hommes craignent des modifications génétiques en prenant des vaccins dont on ne sait exactement pas les tenant et les aboutissants. Cette peur est en général une peur de la science ou plutôt de la technoscience. Cette peur existe car certains pensent même que ce virus provient des multiples efforts des hommes de science qui, dans les laboratoires, jouent à l’apprenti sorcier. Et c’est pourquoi la peur de la maladie s’accompagne de la peur du remède. Quel paradoxe ! Nous sommes malades et nous avons peur des médecins.
Les hommes nont-ils pas raison d’être vigilants face à un corps étranger susceptible de modifier génétiquement leur organisme et de faire pire que la covid-19 ?
Doit-on aussi rejeter le vaccin en se fondant juste sur l’opinion commune, sur des préjugés ? La peur et les préjugés ont-ils jamais été des alliés fiables ? Ne faut-il pas prendre le risque de se vacciner plutôt que de prendre le risque de ne pas se vacciner ? Toutes les options en tout cas semblent être risquées.
Au niveau où nous en sommes, il faut tout de même croire en la science. Il faut croire à l’humain. L’humanité a toujours tenu bon. La raison vaincra sûrement.
Diama Badiane professeur de philosophie