ActualitéCULTURE – SANTEECHOS D’AFRIQUE

Moi corona

M. Boucar FAYE

J’ai commis une erreur et j’en suis totalement conscient. Pourquoi ai-je commencé ma propagation en Asie avant d’aller à l’assaut de l’Europe puis de l’Amérique et enfin de l’Afrique ? Franchement, je l’ignore ! Peut-être tel est mon destin. En Asie, je reconnais avoir été vaincu par une discipline citoyenne et une médecine très avancée. En Europe, comme en Amérique, même si j’ai fait des ravages, je reconnais avoir été fortement combattu par un système sanitaire de qualité performant. Me voilà donc arrivé en Afrique, fatigué, abattu, diminué et affaibli. Depuis lors, mon seul regret est de ne pas avoir commencé ma mission en Afrique et particulièrement au Sénégal. Ce pays est vraiment particulier. Le Sénégal est le pays où je me sens le plus heureux, le plus à l’aise et le plus en sécurité de tous les pays que j’ai visités. Je me plais au pays de la Téranga[1], pays des hôtes. Seulement, ici je ne me sens pas étranger bien au contraire, je suis chez moi. Oui ! Je l’avoue ! Même si je suis d’origine chinoise, au fil du temps j’ai pu acquérir la nationalité sénégalaise tellement les réalités socio-culturelles (organisation sociale à solidarité mécanique, famille élargie, transport en commun surchargé, fréquentation quotidienne des grand-places) me conviennent largement. Désormais, je m’appelle ‘’ARONA’’ et j’habite à ‘’KHOUROUNAR’’. Ainsi, je comprends pourquoi je me suis bien adapté à ce pays et n’ai eu aucun mal à y réussir mon insertion sociale. En sillonnant le monde, je m’étais perdu, égaré, errant de continent en continent, de pays en pays et partout on m’a déclaré la guerre, combattu et caillassé. Reconnaissez-le !

  • Le Sénégal est un pays où le général, après m’avoir déclaré la guerre, reste enfermé dans son palais et confortablement assis dans son fauteuil, prétextant développer une politique de résilience, pendant que je suis en train de me propager et de contaminer ses troupes.
  • Le Sénégal est un pays où personne ne veut entendre parler de confinement tellement le seuil de pauvreté (46,7%)[2] et le règne de l’informel (96,4% des emplois)[3] ont atteint des proportions inquiétantes dû  à une mal-gouvernance politique.
  • Le Sénégal est un pays où malgré le couvre-feu décrété, des jeunes, désœuvrés et inconscients, violent la loi en organisant des courses poursuites nocturnes avec les services d’ordre, à l’image des jeunes de la Médina, alors que leur localité, m’a-t-on dit, a été créée suite aux ravages d’une épidémie.
  • Le Sénégal est un pays où malgré la fermeture des frontières, des émigrés insouciants continuent malheureusement à rallier leurs foyers clandestinement, me livrant ainsi leurs épouses, leurs enfants et leurs proches pieds et poings liés.
  • Le Sénégal est un pays où malgré l’interdiction du transport interurbain, des transporteurs véreux convoient des passagers de ville en ville, de façon clandestine, sous le regard laxiste voire complice de certains services d’ordre.
  • Le Sénégal est un pays où, à cause d’une ignorance et d’une manque de conscience citoyenne notoire, l’application des gestes barrières (port du masque, distanciation sociale…) n’est toujours pas respectée.
  • Le Sénégal est un pays où l’état d’urgence, le couvre-feu et l’appel à l’auto-confinement sont bravés : l’indiscrétion pousse chacun à sortir de chez lui pour vérifier si chacun est chez lui.
  • Le Sénégal est un pays où la plupart des malades ‘’coronisés’’ et placés sous oxygène respiratoire ou en réanimation meurent à cause de la défaillance d’un plateau technique médical archaïque.
  • Le Sénégal est un pays où des guides religieux présomptueux pensent pouvoir me vaincre par des remèdes miracles sous le regard impuissant des fidèles fanatiques.

Bref le Sénégal est un pays où aucune consigne n’est respectée à la lettre à cause de la mauvaise politique de ses gouvernants, de l’inconscience de sa jeunesse, de l’insouciance de certains de ses émigrés, du laxisme de la plupart de ses services d’ordre, de l’incivisme et de l’indiscrétion de son peuple, de la défaillance de son système sanitaire et de la présomption de certains de ses guides religieux qui prétendent avoir solution à tout.

Par conséquent, le Sénégal est un pays où je me plais énormément grâce à un climat communautaire favorable à mon épanouissement et à ma propagation. Mais, sachez-le, MOI CORONA, je vous avertis que je resterai parmi vous aussi longtemps que vous refuserez de changer de comportement et d’habitude comme pour dire avec Rousseau que « le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être »[4]. Chers compatriotes, il est donc temps de me respecter et de faire de moi une affaire sérieuse avant que je ne décime tout le monde et sans ambages. À bon entendeur salut !

M. FAYE Boucar, Enseignant-chercheur


[1] Hospitalité légendaire

[2] ANSD, Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal, FAISE, 2018.

[3] ANSD, Enquête Régional Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel, Eri-Esi, 2017.

[4] J. J. ROUSSEAU, Du contrat social, Edition Gérard Mairet, Livre 1, p. 53, 1762.

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