Réflexion autour du populisme
Par Bacary Domingo MANE
Quand le désespoir frappe aux portes du peuple, la raison choisit l’exil par la fenêtre, laissant derrière elle un cœur affaibli, incapable de creuser la distance ! Cette parabole traduit la vague du populisme qui s’abat sur l’Europe et l’Amérique et dont le mouvement, irréversible, du reste, va atteindre, sous peu, l’Afrique et l’Asie. Face à la faillite des élites politiques, les populations sont tentées, à juste titre, par le changement…mais radical. Et qui mieux que le marchand d’illusion peut leur offrir la Terre promise et la société sans classe ? La venue du messie est annoncée par les politiciens prédateurs qui donnent le dernier coup de crocs à une dépouille qui a rendu l’âme par vampirisme. L’ élection de Bolsonaro et celle de Trump, en 2016, servent de prétexte à cette réflexion sur le populisme. Comment il opère ? Quels sont ses leviers etc. ?
Si les américains ont pu nous faire le coup en 2016, en élisant un président atypique, après avoir surpris, en 2008, le monde entier … autant dire que plus rien n’arrêtera la saignée.
Les populistes ont le vent en poupe. Trump, Farage, Salvini et Bolsonaro constituent la tête de gondole d’un mouvement qui est en train d’envahir, tel un tsunami, l’Europe et l’Amérique. Les mêmes causes produisant presque les mêmes effets, et le caractère parfois irrationnel du comportement des électeurs, aidant, l’Asie et l’Afrique ne seront pas épargnées par la vague populiste, dans un avenir très proche. Comme la nature, a horreur du vide, les partis traditionnels et leurs dirigeants ayant perdu la cote auprès des populations, il est alors évident que la voie soit balisée pour les vendeurs d’illusion.
La vraie question est : pourquoi ce discours extrémiste, iconoclaste et anti-système prospère ? Pourquoi les populations se laissent embarquer ? Quel est son terreau fertile ? Quel est l’éthos de ces «violeurs» de foules ? D’où vient leur pouvoir hypnotisant ? Quel est leur modus operandi ?
L’HUMUS, LA TERRE ET LA GRAINE
Pour sûr, le populisme n’est pas tombé du ciel. Il s’enracine, plutôt, dans une réalité sociale dont les contradictions ont fait sauter le verrou d’une homogénéité de façade. Les lignes de fracture sont de plus en plus marquées, à mesure que les acteurs du jeu social se marchent sur les pieds. Même les politiques interventionnistes de l’Etat ne peuvent arrêter la déferlante des inégalités sociales. Au contraire, dans bien des cas, elles les accentuent.
A ce mal vient se greffer un autre : l’insécurité galopante qui s’abat sur les couches vulnérables et menace la quiétude des riches et la classe moyenne. Le climat de peur s’installe et génère la méfiance de l’autre, de l’étranger qui devient, par la magie du raccourci, le bouc émissaire idéal. C’est le repli identitaire d’une Europe paranoïaque et mélancolique qui se protège contre les «envahisseurs» (candidats à l’immigration) fuyant la guerre, la persécution et la misère.
Ajouter une portion d’humus à ce terreau fertile du populisme : la crise des valeurs, laquelle a encouragé la réponse individuelle qui va souffler les murs de la morale et de l’éthique, livrant la corruption endémique au caprice du vent. Et à la vraie question du marasme économique, on substitue la fausse réponse de l’austérité. Ce qui aboutit à l’occupation de la rue par une société civile de plus en plus tranchante, obligeant les pouvoirs publics à proposer des politiques à court terme, en faisant dans l’urgence. On bricole et tout est bâti sur le sable mouvant de l’improvisation. La stratégie du « faire croire » des politiciens opère, avec leur faculté à soulever la poussière là où il n’existe aucun grain de sable. Le peuple est floué un temps, mais finit toujours par se réveiller au moment où l’on s’y attendait le moins…Souvent de manière tragique !
In fine, l’on peut aussi dénombrer – parmi les causes qui expliquent le fait que le populiste soit en rupture de ban avec cet ordre social – la politique -spectacle dans sa tenue d’apparat de téléréalité. Qui fait que le citoyen ne sait plus où s’arrête la fiction et où commence la réalité. La petite phrase, parfois sortie de son contexte, a la prétention d’expliquer une réalité sociale qui se complexifie davantage. L’on s’arrête à l’écume des vagues sans prendre le risque d’explorer les profondeurs marines. Cela est symbolisé par le tweet, qui transforme les problématiques et l’argumentaire en slides, avec une simplification des choses qui frise la caricature. Tout cela s’accompagne d’un vent de fausses nouvelles (fake news) où le vraisemblable détrône la vérité. Ainsi, les formations traditionnelles commencent à perdre du terrain, et le sol démocratique se dérobe sous leurs pieds.
Quand le ciel social s’assombrit, les horizons de l’espoir bouchés pour l’écrasante majorité, alors, apparaît, dans le brouillard clair-obscur, un Messie, anarchiste qui démolit tout, mais construit dans la tête d’un peuple fatigué, lessivé, les gratte-ciels de l’illusion. Il capitalise les angoisses, les frustrations, les attentes et les rêves de ces foules qui sont embarquées à bord d’un vaisseau spatial dont l’ivresse leur fait perdre pied.
MODUS OPERANDI
Le populiste sert à la foule, l’image d’un homme neuf, déclarant la guerre aux pratiques frauduleuses de la classe politique traditionnelle. Il dénonce la mal-gouvernance, l’insécurité et la pauvreté qui envahit les foyers par milliers. L’homme-bulldozer n’a généralement pas de programme, mais croit à la puissance des mots qui font écho aux attentes d’une population prête à tout accepter, à condition de s’en sortir. Le leader charismatique manipulera les émotions pour faire passer un message. Ce qui compte, c’est moins la vérité, que le vraisemblable ; c’est moins la parole que la force de persuasion dont celle-ci est porteuse.
Il choisit délibérément de ne pas totalement identifier la source des malheurs du peuple, aux fins de développer la thèse du complot, faisant croire à l’existence de puissantes forces tapies dans l’ombre qui travaillent à inhiber toute volonté des populations à décoller. Tout en cherchant à leur « voler » le droit au bonheur. Se posant en défenseur des victimes du système, le populiste fait appel à une thérapie de choc qui consiste à détruire le bouc émissaire pour permettre le travail de deuil, seul moyen de réparer le mal que les forces d’inertie ont fait subir aux populations.
La référence aux valeurs ancrées dans les traditions et l’histoire est, en vérité, un travail de reconstruction de l’identité perdue. Il utilise le pathos et l’effet d’anxiété pour répandre la graine de la peur. La relation qu’il établit avec le peuple est de l’ordre du sentiment.
Il ajoute au tableau de la manipulation, du viol des foules[1], l’ethos de l’authenticité qui lui permet de bénéficier de la confiance aveugle du peuple (il sert l’image d’un homme pas comme les autres), et l’ethos de la puissance, pour faire croire que toute cette débauche d’énergie sert l’intérêt général.
UN TIR, TROIS DETONATIONS
En effet, l’argumentaire du populiste tient en trois temps :
Il part, d’abord, du présent, en décrivant une situation sociale complétement délitée et en montrant, avec précision, le préjudice qu’elle cause à un citoyen innocent qui n’a pas choisi de naître dans cette société. En clair, le populiste stigmatise le mal.
Puis, il fait incursion dans le passé pour mettre le doigt sur la racine du mal et son auteur. Il choisit la voie de la dramatisation extrême, celle de l’exacerbation de la crise et de l’exaltation des valeurs, avec la mise en relief de son ethos. Le tout enveloppé dans une rhétorique agressive, et accompagné par une stratégie du clash permanent avec ses adversaires, parfois même avec son entourage. C’est comme s’il entrait dans un processus de purification, après avoir nettoyé les écuries d’Augias.
Enfin, il propose une solution, le plus souvent, pas très élaborée, mais qui a la prétention de changer le cours de l’histoire pour la population désabusée. Une sorte de transformation radicale, à la limite du miracle, comme un phénix qui renait des cendres d’une aliénation longtemps entretenue par les élites politiques.
AU ROYAUME D’EMPYREE ET D’OLYMPE
Le peuple est transporté, par le populiste, dans une sorte de tourbillon d’ivresse, d’élévation, de don de soi, d’émoi et d’offrande. D’empyrée, d’Olympe ! Il n’écoute plus, mais reçoit tout ce que le messie lui dit. Le modèle de communication utilisé ici, est la propagande. Pour parler comme Gilles Achache[2], nous sommes dans une forme théologique du politique. Comment un peuple fatigué, vidé de son sang par une élite politique qui le transforme en escalier pour assouvir ses plaisirs les plus raffinés, peut résister à un discours qui lui sert, sur un plateau d’or, la Terre promise et la société égalitaire et sans classe ?
Au royaume d’Empyrée et d’Olympe chaque parole servie est la vérité absolue. Les récits, pour reprendre l’auteur[3], « échappent par nature à l’évaluation et à la critique ». Cela relève du domaine de la foi, de la croyance et le peuple passe du stade de rassemblement de citoyens à celui de communauté de croyants. Le discours de celui qui parle (populiste) tient, alors, sa légitimité du fait qu’il est la voix des forces surnaturelles qui l’inspirent. Ce demi-dieu devient l’intercesseur qui a pour mission de réaliser le destin tracé du corps politique. Le deuil du sujet libre, parce que doté de raison, est fait aux portillons de l’Olympe, avec cette inscription au fronton : « Nul n’entre ici s’il n’est croyant !».
Ceux qui sont choqués par le choix des américains et des brésiliens pour avoir élu Trump et Bolsonaro, en comprennent maintenant la raison. Le populiste est en terrain conquis, il vient « sauver » des âmes en errance.
Bacary Domingo MANE (Mondeafrik.com)
[1] Tchakhotine, Serge, Le viol des foules par la propagande politique, Ed Broché, octobre 1992.
[2] Achache, Gilles, Le marketing politique, in La communication politique, Les essentiels d’Hermès, Ed CNRS, P117-132
[3] Achache, Gilles, op.cit.