Coalitions oppositions : Vous êtes qui pour nous choisir des alliés ?
Par Alassane Kitane, professeur de philosophie
Alors que les forces de l’opposition sont en train, dans un univers particulièrement hostile à leur travail, de s’organiser en coalitions, on constate qu’il y a des individus qui font de la diversité de ces coalitions leur gagne-pain. Deux catégories de personnes se sont effrontément proposées en boussole qui doivent indiquer aux uns et aux autres la direction à suivre. Il suffit de lire leur argumentaire pour tout de suite déceler des raisons occultes, inavouées et non avouables en démocratie.
Monsieur X est un chasseur de serpents : appelé pour dénicher et attraper les serpents qui grouillent dans la maison et qui troublent le sommeil des locataires, le charmeur de serpent s’attarde à nous énumérer le nombre de serpents qu’il a attrapés, à nous montrer leur lieux de sépulture et à nous demander de creuser pour découvrir les squelettes de serpents ! C’est quoi cette affaire ? Soit le monsieur est complice des serpents qui menacent présentement la vie des locataires de la maison soit il cache dans son sac un serpent dont il n’a pas envie qu’on parle ! Dans les deux cas, il est louche.
Monsieur Y dit que les membres de la nouvelles coalition (il est étonné qu’elle n’ait encore ni un nom ni des couleurs !) sont des menteurs parce qu’ils se sont dit des insanités à la suite de conflits aujourd’hui dépassés. Or regardons la mauvaise foi éclatante qu’il y a derrière cette accusation. D’abord dans toutes les coalitions de l’opposition comme du pouvoir on a le même scenario : qui pouvait imaginer qu’un Barthélémy Diaz s’assiérait à la même table qu’un Me Diop ancien Dg de DDD ? Aïda Mbodji qui a fait le PS et le PDS est aujourd’hui dans YAW, mais ça ne l’intéresse pas. Le PS et l’AFP avaient combattu farouchement le gouvernement de Macky Sall, et pourtant ça ne les empêchera pas de gouverner ensemble depuis 2012. Ensuite dans l’entendement de monsieur (qui, faut-il le rappeler a été expulsé du Sénégal en 2004 pour des raisons qu’il n’avouera pas ?) des personnes qui ont un différend politique sont logiquement incapables de le solder et de se retrouver autour de quelque chose qu’ils ont en commun.
D’ailleurs cher monsieur excellentissime Y, cher lugubre et lumineux analyste, si vous pouvez aujourd’hui vous retourner contre Karim Wade et son parti après leur avoir rendu de bons et loyaux services, pourquoi d’autres n’auraient pas le droit de faire le chemin inverse ? Plus on avance davantage on saura qui travaille pour Macky Sall.
Apparemment le problème, c’est le PDS ! Mais alors qu’on nous apporte des raisons politiques ou démocratiques qui font que le PDS devrait être banni par tous les partis politiques. Que ceux qui arguent que le PDS n’est pas un allié digne, nous disent d’abord quelle est leur dignité à eux ? Qui sont-ils ? D’où viennent ? Le PDS a géré ce pays d’une manière qui n’a pas plu à la majorité des Sénégalais, on l’a sanctionné et alors ? Est-ce le PDS doit cesser d’exister en tant que parti capable de se bonifier, de se rajeunir, de s’amender et de reconquérir le pouvoir ? Est-ce parce que Adam a violé l’interdit qu’aucun de ses fils n’entrera au paradis ? Si nous sommes sur terre, c’est bien parce que notre vie terrestre est le lieu de séjour pour racheter notre salut. Au nom de quoi donc de simples êtres humains devraient se prévaloir de dire que tel ou tel parti ne doit pas revenir au pouvoir ? C’est quoi finalement l’affaire ? Voici donc un lutteur qui bat son adversaire et qui après le verdict de l’arbitre se permet d’aller trouver son adversaire déchu et continuer à le rouer des coups ! Ce champion n’est pas un lutteur, c’est un assassin.
Je disais à un ami qu’il faut éviter de tomber dans la damnation éternelle des hommes et des partis. Vouloir balayer le PS, le PDS et leurs excroissances de la scène politique sous prétexte qu’on veut du sang neuf, me semble être une aventure, une arme politique rudimentaire qui ne peut tuer que les nains et les infirmes politiques. Les partis apprennent de leurs erreurs, changent de personnel et changent de vision ainsi de pratiques. La gauche et la droite en France s’allient parfois malgré des divergences profondes et de graves accusations de corruption de part et d’autre. De Gaule s’est allié avec des communistes, ça ne constitue pas un crime, c’est une nécessité (pour une période déterminée).
S’isoler c’est isoler : il faut entrer dans la psychologie d’autrui pour pouvoir espérer ou prétendre l’améliorer (on ne peut pas faire le ménage d’une chambre à partir de l’extérieur). Les gens à qui on reproche une mauvaise gestion font partie de la société : ils ont des partisans. Il ne s’agit pas d’immondices qu’on peut mettre dans une poubelle et aller jeter dans des dépôts d’ordure. Il s’agit de personnes humaines (avec leur dignité inaliénable) capables de se bonifier, de devenir meilleurs. La damnation éternelle n’existe pas en politique. Les alliances en politique sont historiquement conjoncturelles, sinon il s’agirait de fusion. L’essentiel c’est de ne jamais céder sur ses principes, de ne jamais faire de la compromission un art politique. Bref, il s’agit de la fidélité dans le mouvement : rester soi-même tout en s’adaptant au contexte. Reprocher au CRD de nouer une alliance avec le PDS, ce n’est pas seulement faire preuve de mauvaise foi, c’est en fait porter un combat politique tout en feignant d’être analyste ou je ne sais quoi encore.
Quand on fait des concessions sur l’essentiel, on ne perd pas seulement sa dignité, on perd également son identité. Cependant il est possible de faire des compromis sans se compromettre. La politique n’est pas une science exacte : il faut savoir s’adapter au contexte comme on s’adapte à la météo. Le monde n’est pas exclusivement composé que bons et de méchants : l’homme est un être fondamentalement perfectible. Les prophètes et les saints qui sont nos références ont tous, à un moment donné, fait des concessions sans jamais se laisser dévier de leur objectif. Encore que nous sommes de simples mortels, de pauvres pécheurs : nos vérités et nos valeurs peuvent être contingentes. J’ai horreur de ceux qui voient le monde en termes de noir ou blanc : toutes les exactions proviennent du manichéisme. Il faut certes savoir bien choisir ses amis, mais aussi savoir rester humain, juste un homme, car nous ne sommes pas des dieux : reconnaitre qu’en fin de compte nous pouvons tous glisser dans l’erreur et dans l’illusion. L’essentiel est d’être de bonne foi ! Nous ne serons ni dans la gaminerie de l’autoglorification morale ni dans la sénilité de l’anti-wadisme : nous sommes dans la posture de l’adulte qui comprend le sérieux et la complexité du réel.
Au CRD nous n’avons jamais posé le problème en termes de système contre antisystème. Pour nous il s’agit de combattre des pratiques et pas des personnes. Il existe au PDS des gens de valeurs comme il y en a sans doute à l’APR et à Reewmi. Au nom de quoi devrions-nous snober des jeunes comme Toussaint Manga, Tafsir Thioye, Nafi Diallo, Ngouda Dione, Docteur Seck, Dr Dieng, Bara Gueye et tous ces milliers de jeunes que nous avons vu grandir dans le PDS malgré la traversée du désert et tous les supplices qui vont avec ? Les jeunes qui font vivre présentement le PDS ne sont en rien responsables du règne de ce parti au sommet de l’Etat : tous les ministres, DG, PCA, conseillers, sont partis. Vouloir réduire l’histoire politique de Me Wade et de son parti aux douze ans de règne à la tête du pays ne me parait pas non plus être raisonnable : Wade a existé avant le pouvoir, il s’est battu pour la démocratie, et aujourd’hui beaucoup de jeunes qui font de la politique ont été inspirés de près ou de loin par sa carrière politique même s’ils l’ont combattu. C’est quoi finalement le projet ?
Alassane K. KITANE