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Joyeux anniversaire, Aminata Sow Fall !

Le prétexte de cette publication : « La Table bien servie, Un grain de vie et d’espérance[1] » de Ousmane Sow Fall, enseignant (er) à la Fastef  /  Ucad, est l’anniversaire d’une grande personnalité du monde littéraire, Aminata Sow Fall, venue au monde un 27 avril 1941.  Mondeafrik.com se fait le plaisir de la partager avec ses lecteurs. Joyeux anniversaire !

La Table bien servie

Un grain de vie et d’espérance[1]

pour saluer Aminata Sow Fall

Ce qui appartient à Ndar, c’est cette douceur de vivre  qui y ramène les retraités et qui y retient les femmes : nulle part au Sénégal celles-ci ne sont aussi sûres d’elles-mêmes, et nulle part les mères ne sont autant aimées. C’est cette civilité qui est probablement le fruit du modus vivendi imposé par la rencontre d’hommes et de femmes d’origines sociales et ethniques aussi diverses.

Fadel Dia

I – Hors d’œuvres

1 – Parce qu’on m’identifie comme son frère (Sow Fall) et que j’ai reçu des messages de félicitations à l’occasion du « baptême de son lycée »,

2  – Ensuite parce que ma rencontre avec Saint-Louis – il y a bien longtemps – débuta par une métaphore cuisinière truculente : Mame Fat’ Diop, – c’est la grand-mère de Ibra Mbaye Thioune -, quoique mariée à Louga, était restée saint-louisienne jusqu’aux bouts des Tiawalis et des lèvres : la superposition subtile de ses pagnes, ses boubous de baxa et de brodés, le khôl de ses yeux, le henné permanent des pieds et des mains, l’indigo de ses sourires…

Et quelle ne fut ma surprise, lors de ma toute première visite à Ndar, de l’entendre maugréer contre sa bru, qui ne voulait entendre mais (mets ?) :

« Point ne bouillonne la marmite : elle a le derrière au feu

Et qui a le derrière au feu  ne peut manquer de trépigner… »

Curieusement, je me délectais de ces échanges chauds, servis dans ce parler suave de Saint-Louis, au point que les croustillantes réparties semblaient des plateaux de … rollmops.

Déjà, dans le car qui nous transportait, deux dames de la cité tricentenaire, croquaient plaisamment un couple de leurs connaissances et nous enseignaient une nouvelle expression du français : « Ces deux – là (en wolof) : « même pipe, même tabac ! » commentaient –elles pour finir (en français)…

II – En guise d’entrées

Je voudrais, par conséquent, saluer Aminata Sow Fall, à la mode du pays :

Thiébou djeune Penda Mbaye et Bassi salté, sans oublier les corothies, marée du matin

1 – Car le  bon écrivain est toujours un excellent restaurateur : Flaubert, Zola en sont des exemples ; mais Césaire qui fit de la saga du maître queux haïtien devenu Général, La tragédie du Roi Christophe. La présidence de la République, que lui proposait le Parlement des Mulâtres, était pour lui « un pouvoir sans croûte ni mie, une rognure, une raclure de pouvoir « . Aussi, ne mâcha-t-il pas ses mots …

 Ainsi, on mange bien souvent dans les romans d’Aminata Sow Fall. Rappelez – vous : Le Revenant, La grève des bàttu, L’appel des arènes, Douceurs du bercail, etc. : agapes, noces, festins funéraires, Tour, repas sur le pouce, écuelles de reliefs, produits du cru et nourriture bio, le phalanstère reconstitué…

2 – Mais Aminata Sow Fall nous apprend, ailleurs, que la cuisine est un roman, et comme tous ses romans : un grain de vie et d’espérance. Tel est, en effet, le titre de la commande reçue, comme il sied chez les traiteurs étoilés, et  qu’elle livra, en son restaurant œcuménique, en 33 services d’exquises saveurs…

3 – Certes, ce n’est pas le livre d’Aminata Sow Fall le plus connu chez nous : mais quelle cuisine  que ce fromage[1] de ramages, ce grain de vie et d’espérance…

4 – Pour vous en mettre plein les yeux et l’eau à la bouche, et avec  les senteurs virtuelles de l’imaginaire sans frontières, je me ferai simple passeur des plats tels qu’en leurs caléfactions originales ; j’endosserai la tenue du serveur pour vous apporter, à vos tables respectives, la carte ou le menu de cette cuisine romancée, de ce roman cuisiné, rendez-vous convivial au Banquet de l’Universel…

III –  La Carte et le Menu

La cène est une scène, selon A. Sow Fall, un véritable  théâtre de la vie, où l’inventivité langagière, la pause des corps et la pose des décors, accompagnent, au sens culinaire, l’alchimie des repas : « l’art culinaire ne saurait se passer de la mise en scène » (p.51)

1 – Le roman e(s)t la cuisine, « c’est créer à partir de rien »… Comme pour une bonne soupe, le roman, c’est l’art du délayage et de l’assaisonnement. Et ce livre en réalise agréablement les recettes en bouchées délicieuses, constituées de plateaux de récits merveilleux, ingrédients de premier choix, par la composition poétique de ce menu de palais royal.

2 – Ce roman, comme la cuisine, participe de tous les arts. Contes et légendes, mythes, anecdotes croustillantes ou surréelles, soties salées, faits divers de la vie ordinaire sont apprêtés  à travers des personnages hauts en couleurs culinaires comme les cordons bleus Nogaye, Siré et Mame Yandé et Dolli, la bien nommée ; ou tragiques dans  l’Anankè de Dianka, Belle Bichette qui oublia d’apprendre à cuisiner pour son malheur (p.34) ; ou comiques comme l’impromptu de Djiby de Sanar, le vieux Peulh qu’une crevette croquée faillit édenter (p. 35) ; ou sympathiques comme le mafé du maçon polygame, (p. 69) alors que la brique (non cuite) du Marabout « soufflait un air de béatitude» (p. 46) sur Ndar, la cité de Fève Diop, que cette légumineuse rebaptisa officiellement ainsi, aux temps du rationnement, de fameuse mémoire (p.75)….


[1] Littéralement, en latin populaire : fait dans une forme (selon le Larousse) !

3 – Chez Aminata Sow Fall  la poétesse, les recettes sont chansons 

« L’imagination, le talent et le rêve font la loi », (p. 69) en cuisine comme en poésie,  qui autorisent à créer des pièces montées … comme à son insu, prose poétique et vers libres, incognito :

3.1Dème farci et Tiof à la mode Ndar

Poisson sorti tout droit du fleuve qui, juste en face, traîne sa robe d’organdi bleu, p. 35

A la fin, un tableau magnifique, saisissant, majestueux

Dans une assiette blanche, sur fond pourpre : le poisson

Déguster un bijou en filigrane sur un plateau de délices aux effluves délirants

Dème bountou beul, l’embouchure du fleuve

Reine de la saison

Bienvenue mon bonheur, p. 67

Voler haut et loin

Jusqu’à la mer pour remonter aux sources du Tiof

Qui exhibe sa chair de velours blanche sur un parterre de tentations

Sentir le sable se dérober

Sous mes pieds alors qu’une vague se retire et qu’une autre arrive

Description : C:\Users\Administrator\Desktop\Camera 261\20201215_071516.jpgRemous et murmures

Se délecter du spectacle : les pirogues qui accostent avec leurs couleurs de gaieté        

Sur leurs flancs bariolés, des signes, des croquis, des lettres

Pour chanter la mère, la femme aimée, le guide spirituel, p.65                                         

3.2Symphonie en saveurs ou morceaux de roi choisis. Exécution :

Mouvement 1 : Tiébou dieune Penda Mbaye

Une bonne épaisseur de riz couvre la surface de l’assiette.

Un plateau de minuscules graines de rubis qui émet une douce chanson d’amour

Au milieu, un kaléidoscope de beaux cadeaux offerts par la Terre à l’œil et au palais :

Rouge du piment, blanc du manioc, violet de l’aubergine, jaune du khoulougné, […]

Vert du chou, de l’oseille et du gombo ; orange vif de la citrouille

Le tiébou dieune s’affiche dans toute sa splendeur, p. 29

Un vrai riz qui chante, p.17

Tiébou dieune de rêve : un plat qui chante et qui danse, p.35

Mouvement 2 : Bassi salté

Plutôt une débauche de viandes, légumes, sauces et autres onctuosités

Gisant sur un canapé épais de couscous de mil, semé de haricots blancs

Et de petites boulettes de viande, de raisins secs et diverses fantaisies ». p.12

Pour couronner le tout … du bon lait frais … une rivière de lait coulera à tes pieds

Pour arroser le Bassi salté, comme il se doit, à la dernière phase de la dégustation.

Le diwu gnor bien sûr, cette crème fouettée si particulière.

Bien sûr : son parfum doux

Comme le tapis doré des prairies à l’heure où les troupeaux cassent l’herbe sous leurs pattes.

Sans lui, le bassé salté n’en est pas un ! p. 20

Bassi salté : l’art culinaire de l’antiphrase […] pour désigner le plus prestigieux des plats, p.12

Mouvement 3 : Soupou kandia

Comme un festival où se côtoient poissons, viande, crustacés, gombos,

Bouquets d’oignons verts et de piment, condiments forts 

Mille saveurs, un goût unique, une floraison de couleurs sur fond écarlate

L’huile de palme comme soleil de midi sur une prairie de fin d’hivernage

C’est du Soupou kandia : cela ne ressemble à rien d’autre, p. 88

Mouvement 4 : Lakhou soow

L’huile de palme dans le lakh 

J’admire la tache rouge vermeil au milieu

Du lac tout blanc dans une calebasse teint doré d’épi de maïs,

Sous l’épaisse couche de mil fumant

Comme pleine lune dans un ciel radieux, p. 5

Envoi : Bissap et gingembre, à profusion

Le scintillement du gingembre ou l’éclat vermeil du « bissap » … 

Quand d’immenses faitouts pleins de ces délicieuses  boissons parfumées

Arrosent abondamment baptême, mariage et autres fêtes p 55

3.3 – Complainte contre Nogaye, à la sauce ¨ Gniam diodo :

Les femmes mauvaises, mauvaises.

Qui à leur mari, mauvaises, mauvaises.

Font manger mauvaises, mauvaises

Du gniam diodo, mauvaises, mauvaises.

Jusqu’à la tombe, mauvaises, mauvaises.

Elles iront en enfer, mauvaises, mauvaises. p.60

3.4 – Ode à Eros, Haïku

« Appétit.

L’eau qui jaillit d’une source cachée.

Euphorie. » p. 80

En vérité, et ce faisant, Aminata Sow Fall applique un procédé culinaire approuvé : « La ‘’dissimulation’’ peut faire partie d’une stratégie de relance de l’appétit des convives en créant la surprise. La cuisinière « cache », sous la partie visible du paysage, des ingrédients (des épices le plus souvent) qui font « fort » pour stimuler l’appétit et les sens. C’est la pratique du sou-oule. Ce verbe signifie  « enfouir », p. 58

4 – Aminata Sow Fall est un peintre,  maître de la lumière.

Eclairages de plateaux. Tableaux :

La lumière déclenche la rêverie : « les reflets argentés du dème et les fines dorures sur ses nageoires convoquent toujours une foule de souvenirs », p. 66

L’aliment apprêté, décoré, posé délicieusement sur un lit somptueux de merveilles appétissantes est déjà consommé par qui l’admire et le désire, avant d’être mangé réellement, p.44

Le tableau d’un plat qui étale ses couleurs sonne le point d’orgue d’une ballade magnifique dans un vaste champ de bonheur, p. 52

Il est harmonie, accord parfait des composantes qui, loin de mourir les unes dans les autres, convergent sur le point sublime de nos attentes.

Couleurs d’amour et de lumière sur un grain de vie et d’espérance, p. 53, tous les bonheurs […] se dégustent in fine dans le plat, p. 62

Jusqu’aux fiançailles crépusculaires de Nogaye, tout s’éclaire par l’alimentation de la lumière :

Description : C:\Users\Administrator\Desktop\20201213_121153.jpg« Ce jour-là, elle vendait du lait. Le crépuscule voilait déjà sa silhouette quand sa voix, au coin d’une rue, frappa au bon endroit dans les sens du jeune homme. L’échange eut lieu sans marchandage sous un lampadaire : le pot de lait contre tout ce que la poche d’Amar contenait en billets de banque. Plus quelques mots taquins et élégants, une lumière fascinante sur un visage en sourire. p. 66

On n’est pas loin de l’Ikebana, l’art floral japonais, natures revivifiées pour délacer les rêves. Synesthésies…

5 – La cuisine est donc une esthétique consommée

« Dès lors que le plat existe, on peut dire qu’il y a art culinaire puisqu’on suppose qu’il a été conçu, préparé, mitonné et arrangé de la manière la plus attirante pour exciter l’esprit » (p. 39)

« La cuisine est un art ; elle est donc une aventure qui tend vers le Beau, la Jouissance, la Contemplation ». p. 28. L’alchimie qui induit le rêve devient possible lorsque s’affirme le désir de recréer la Matière pour en faire une œuvre  d’art avec une double aspiration : Régaler et Eblouir…

On l’aura remarqué : dans l’imaginaire de Aminata Sow Fall, la nourriture est consubstantielle au confort domestique : lit somptueux de merveilles appétissantes, canapé épais de couscous, couche de mil fumant, tapis doré des prairies, tableau d’un plat, chair de velours blanche, parterre de tentations, déguster un bijou en filigrane, un plateau de délices aux effluves délirants …

IV – La cuisine de l’éthique

Mais cette esthétique est en réalité la garniture d’une éthique : la faim dans le monde doit être combattue pour le triomphe de la vertu qui nourrit les âmes généreuses.

1  – A. Sow Fall  définit sa cuisine en termes d’actes et de foi.

 « L’acte de manger est un beau sourire adressé à la vie ». Le raccourci saisissant de l’image est ici un hymne à la vie. En conséquence de quoi : « Manger est un acte de joie. C’est la fête, pas seulement dans le ventre mais dans l’âme.» p. 9

On comprend dès lors qu’on doit manger pour vivre. Mais, avertit la cuisinière : « Il y a mieux que manger pour vivre. Tous les animaux en font autant. Il leur manque la capacité de créer autour du manger ce langage unique à mille tonalités qui puise sa force et sa beauté dans l’intelligence, l’émotion et le désir, et qui donne son vrai sens à l’acte de manger. Qui mange se dévoile. » p. 10

Rappelez-vous Serigne Fall, le héros (mal nommé) de Birago : le pré – texte de biscuits indûment bâfrés scellera son destin de parasite indélicat…

2 – A cet égard chez A. Sow Fall, la nourriture est l’étalon par lequel se mesurent les degrés d’humanité. « De quoi nourrir le monde entier, la vie durant ? … Les pauvres n’auraient plus faim, les voleurs n’auraient plus aucune raison de dépouiller des gens paisibles… p. 19

Cette action contre la faim est l’expression radicale d’une conscience politique pour l’ataraxie universelle : « que les maîtres voleurs qui  pillent nos pays leur laissent des miettes ! Ils bouffent tout, réduisent les gens à la misère et au chômage » p. 20.

On mesure dès lors, toute la portée historique et heuristique de La grève des battù, autre roman d’A. Sow Fall, en tant que Manifeste du Parti de la Cuisine : « Affamés de tous les pays, unissez-vous ! »

Car  plus que les armes de destruction massive, somme toute de service récent, c’est l’arme alimentaire qui construit la permanence de l’aliénation : « Rappelons que la famine a toujours été dans l’histoire de l’Humanité un spectre abominable associé à l’idée d’anéantissement, de désolation morale et physique, et de déchéance. » p. 21

3 – D’ailleurs, « l’acte de manger s’inscrit au premier plan sur les tablettes du langage qui exprime la philosophie et les valeurs cardinales sur lesquelles repose notre société. » p. 26  C’est pourquoi « le galimatias en cuisine est aussi catastrophique que dans le langage puisqu’il brise la logique du rêve qui est à la base de l’art culinaire. » p. 91. En effet,  « il est devenu presque banal de mettre du Nescafé dans le riz blanc à la viande, pour faire moins pâle, dit-on’ », p. 68.  Et A. Sow Fall  de le dire plus fort, ailleurs : « Laissez au riz son goût unique. Le mariage contre-nature est une abomination. » p. 92

4 – Le moment du repas est, par conséquent, le temps par excellence de la formation civique :

« On apprend le sens de la mesure, le savoir-faire et le savoir-vivre et la discipline en mangeant. Lorsque les mains entrent dans l’assiette, les frontières ne sont pas tracées mais chacun a appris à se limiter, par décence, à sa zone. Personne n’ira pêcher un légume, un morceau de viande ou de poisson, ou un condiment quelconque au gré de ses convoitises, là où ça se trouve. » p. 27

Le comble de l’impudence s’exprime par une formule alimentaire : teggi ndawal, n’est-ce pas emporter pour soi seul la garniture du repas ?

Et Amar, le mari comblé, confie à qui veut l’entendre : « Tout est gâteau avec Nogaye »[1], p. 60. Sans oublier la cerise : « la nourriture est tellement surchargée de sensualité que d’aucuns (parmi les femmes aussi) croient fermement que les performances culinaires d’une femme reflètent exactement son intimité du point de vue de la saveur », p. 80

V- La cuisine de l’âme

Aminata Sow Fall est donc une moraliste. Amuse-gueules de ses Maximes, créations de son propre cru ou reprises de la formule traditionnelle :

Citationspages
L’acte de manger est un beau sourire adressé à la vie.9
Qui mange se dévoile.10
Avoir une préférence, ce n’est pas détester les autres16
On mange devant soi.27
L’acte de manger n’a de sens qu’en son rendez-vous sublime avec l’émotion.27
Quand la marmite bouillonne, l’odeur annonce la succulence du mets.30
Dans l’assiette d’un gourmand, mieux vaut être caillou pour ne pas être croqué49
Ku yag dokh yag guis (Qui vivra verra)56
Le monde « marche »62
Nit khel la (L’homme est conditionné par la tête)71
La vie n’est pas du couscous mais a besoin de laalo (liant)84
A chaque genre de tambour, sa baguette92
Ku wokh fegne (Qui parle se dévoile)93
Yalla Yalla bey sa tool (Invoquer Dieu ne dispense pas de labourer son champ)93

                   Qui mange se dévoile et Qui parle se dévoile : manger et parler ont un commun dénominateur. Et tout est dit. C’est donc la cuisinière qui aura émancipé l’Homme par la valorisation régulière de tous les « ingrédients » utiles à l’humanité…

VI – Fruits, fromages, desserts au choix

Ce livre est sans doute le roman le plus personnel et le plus sensuel d’Aminata Sow Fall, puisqu’il s’adresse aux sens par la cuisine, et qu’elle en connote les effets : « Qui dit vision suggère représentation, tableau, composition, couleurs, harmonie… le cuisinier ou la cuisinière sait que son œuvre doit séduire avant de toucher la langue. » p. 27. Les situations vécues y sont donc des repas, des tableaux de féeries, invitations aux voyages dans tous les sens, mais dans la décence. Deux exemples pour manifester le style subtil de l’esthète :

1 – Fève et manioc… bourrasques

Aux temps de la guerre, à Ndar, la fève et le manioc étaient le menu de tous les repas. On en connaît la flatulence. Ecoutez comment A. Sow Fall en rend compte, à travers l’évocation de la recette créée par la Mère pour en limiter les miasmes :

« Ce ragoût à la sauce tomate légèrement épicée fut, paraît-il, une bouffée d’oxygène dans l’univers miné  des fèves où chacun croyait percevoir dans les bruits du vent le crépitement des balles qui tonnaient outremer », p. 75  Et vous n’aurez rien senti …

2 – L’Amour, la soif

A la question posée, crûment, dans le livre : « Entre le manger et la sexualité, qu’y a-t-il de commun ? » Voici la réponse de l’auteure, en crudités :

 « Appétit.

L’eau qui jaillit d’une source cachée.

Euphorie. » p. 80

Définition épurée de l’amour – entre autres -, elle confond, dans le registre de la consommation (alimentaire), le désir imprescriptible (Appétit), flamme ardente que submerge l’inondation intime (L’eau qui jaillit d’une source cachée) pour étancher la soif intense de bien-être, de plénitude (Euphorie).

Tout est décrit et dessiné en trois étapes et quatre mots (puisque la subordonnée relative, complément de l’antécédent, équivaut à un adjectif qualificatif !)

Ce faisant, A. Sow Fall nous apprend  que la poésie est également l’exaltation de tous les signes, à travers la polymorphie des signifiés : il suffit d’emballer les formes pour découvrir les sens des formes épurées, calligrammes suggérés, à travers le Haïku, et dans l’écho sonore des assonances dosées en a et i (appétit … qui jaillit … cachée … euphorie…) 

Appétit. 
L’eau qui jaillit d’une source cachée.
Euphorie.  

VII – Café et thé et lait, l’été, cola et ndiar à Ndar, pour sortir de table

Je vois saliver (s’aliter) ces éternels affamés : Mbengue, Diagne, Dieng, Niang, Ndoye, Mbodj ou Gaye ou Thioune, parenté patente par plaisanterie : ils se reconnaîtront certainement. Qu’ils répondent  plutôt  à l’appel de la reine de la restauration de toutes les douceurs du bercail, en revenant sous le jujubier de la  « Matriarche »,  au Café  du CAEC, chez Khoudia. Et parole d’expert de la notion : qui y lira, y dînera, à satiété… d’un grain de vie et d’espérance, sans l’emprise d’aucun mensonge…. 

Car c’est Dior Fall, notre cousine de Louga – paix à son âme, qui en avait fait son chant de gloire, qu’elle déclamait à chacun de ses exploits :

Xaalé yéé ma sakkàn loxoJeunes gens, que ma main est généreuse !
Benup sanxalUn seul grain de semoule
Tog ci añ Tog ci reerEt je prépare le déjeuner et je prépare le dîner
Yakkal ca say goroEt je réserve la part des beaux-parents
Xaalé yéé ma sakkàn loxoJeunes gens, que ma main est généreuse !

Et, servi le « ndiar bien frais, coupé avec beaucoup d’eau, ce bon lait caillé sucré et parfumé », p. 37[2], et la nappe repliée, un dernier cachou (version taasu) ne sera pas de refus, pour l’honneur de la Dame du cœur (kër) :

Ya sakkàn loxo

Une seule livraison, et toute l’humanité restaurée

Macha Allah, Ya sakkàn loxo…

Ailleurs « roman de la pudeur », ici roman de la saveur[3], le livre d’Aminata Sow Fall, est toujours, dans la forme comme dans le fond, « l’expression de la vertu », pour reprendre l’enseignement de Cheikhil Khadim, le cordon des joyaux précieux :

« On se préserve de huit par huit :

  • du blâme  des compagnons, par la justesse dans les paroles ;
  • de l’erreur dans les déclarations, par la mûre réflexion ;
  • du mal de nuire dans les paroles, par la vertu de l’expression ;
  • de l’injustice, par la probité ;
  • du manque de civilité, par le savoir-vivre ;
  • de la haine des ennemis, par la générosité et l’amabilité ;   
  • de l’arrogance, par l’humilité ;
  • de l’outrance, par le juste milieu. » [4]

N’est-ce pas là, les recettes pratiques, les Obligations de la convivialité au Banquet de l’Universel, que propose cette Table servie[5] … comme une manne de vie et d’espérance ?

Jaraw làk, Soow Faal

Ousmane Sow Fall

Enseignant (er) à la Fastef  /  Ucad

oswfall@yahoo.fr


[1] Propos loin d’être saugrenus, si l’on considère ce Hadith : « On tient du Prophète (PSL) : ‘’que Dieu a créé les houris en quatre couleurs : blanche, jaune, verte, rouge. Il a façonné leur corps à partir de safran, de musc, d’ambre et de camphre. Leur chevelure est faite à partir d’œillet de giroflée. Si l’une d’elles  avait craché dans ce monde,  son crachat le parfumerait le plus suavement tout le temps, aucune des mers de ce monde ne resterait sans être aussi délicieuse que le miel.’’,  voir Cheikh Ahmadou Bamba, Silkul Jawahir, Le cordon des joyaux précieux, Editions Culture universelle, sl, 2003, p. 103

[2] Il faut reconnaître que dans le Baol des origines le ndiar de Lambaay était coupé avec de l’alcool de menthe… Et que le gens, agacés par l’impérialisme du riz au poisson, ont pu chanter : Céebu  jën bi sàppi na ñu / Na ñu  maafè  ndaq  mu  tànè…

[3] En son temps, Makhily Gassama appela Le revenant, (Néa), « le roman de la pudeur », voir Arts et Lettres Supplément au quotidien Le Soleil,  Dakar, 1976

[4] Cheikh A. Bamba, Le cordon des joyaux précieux, Silkul Jawahir, op cit, p. 38.

[5] Rappelons que c’est le titre de la Sourate V du Coran, Al Mai’da.

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