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Défaite d’Amadou BA, lecture territoriale

Par Dr Ousseynou TOURE, Expert Développement territorial

Ouf, c’est plié, au premier tour. Et le peuple sénégalais en sort grandi. Son image écornée retrouve sa superbe. Quelle fierté et exception sénégalaise. Diereudieuf Sénégal…Mon parti-pris dans cette contribution est d’essence territoriale.

Cette victoire de « Diomaye Président » ressemble, à bien des égards, à une raclée territoriale. Ce qui était, jadis, considéré comme une force de la « coalition au Pouvoir » s’est transformé en une faiblesse territoriale. Tel un amplificateur, l’onde de choc a résonné bruyamment, dans plusieurs collectivités territoriales, d’habitude si promptes à avaler des couleuvres. Ma grille de lecture s’analyse à l’aune de l’option étatique dans l’animation de sa politique de décentralisation voire de développement territorial.

Les hérésies de politique territoriale 

Très tôt, en 2013, l’État sénégalais, avec la deuxième alternance, a posé les bases d’une refondation majeure de sa politique de décentralisation, à travers une réforme dénommée « Acte III de la décentralisation ». Dans sa perspective de développement, « l’Acte III de la décentralisation » devrait incarner une rupture pour le renforcement de la décentralisation et le renouveau de la politique d’aménagement du territoire. Ce qui n’a, hélas, jamais, été le cas. Conçu comme une volonté réparatrice des inégalités et incohérences territoriales de l’écosystème territorial depuis les indépendances, cet « acte III de la décentralisation » a enfanté une tare congénitale. L’une des premières erreurs politiques est de vouloir homogénéiser la nature des échelons territoriaux (urbain ou rural), dans un contexte sénégalais où le rural a son sens. La deuxième erreur, c’est de prôner un déclassement de l’architecture territoriale et administrative de la région au profit des 46 départements. La troisième erreur, c’est l’installation d’un vide territorial au niveau régional, avec la non-érection de pôles de développement territorial, pour atomiser les inégalités économiques, infrastructurelles, sociales que les régions n’ont pas su effacer. Enfin, la quatrième erreur, c’est la cristallisation d’une confusion de genre entre territorialisation des politiques publiques et politiques publiques territorialisées. Ces hérésies en matière de politique territoriale ont été alignées sur les politiques publiques, créant un désordre territorial et une lisibilité limitée des options étatiques en matière de développement territorial.

Une « urgenciation » des politiques publiques 

D’un autre côté, très tôt, l’État opte pour une « urgenciation » dans la déclinaison des politiques publiques au sein des territoires. Pêle-mèle, des instruments frappés du sceau de l’urgence prennent place. Ils bousculent tout sur leur passage, avec des résultats mitigés. Si les réalisations sont au rendez-vous (bravo), les outils de politique territoriale en ont pris un sacré coup. D’une planification territoriale réduite à sa plus simple expression, en passant par l’anéantissement de l’ingénierie des actions de renforcement de capacités et l’adoubement des cadres de concertation, annihilant le cinquième principe de la décentralisation (participation citoyenne), tout a concouru au prima du physique au détriment du soft-développement. Ainsi, la gouvernance des investissements physiques n’a pas trouvé un écho favorable auprés des communautés. Les comités de gestion et d’entretien sont délaissés aux communautés peu ou prou préparés à l’avènement de la gouvernance des investissements. C’est tout un pan de développement qui a été rétrécit, confinant les instruments de « l’urgenciation » à du génie civil bétonné. Certes, les besoins infrastructurels exprimés dans les documents de planification sont excessifs, renseignant sur l’urgence d’améliorer l’accès à une plateforme minimale d’infrastructures de base, mais, d’autres besoins qualitatifs relatifs à la gouvernance des collectivités territoriales sont validés et méritent d’être pris en charge. Or, rares sont les instruments de « l’urgenciation » qui prennent très au sérieux les aspects liés à la gouvernance territoriale.

Une atrophie des instruments classiques 

A contrario, des instruments classiques de développement territorial sont laissés en rade. Réduits à des transferts irréguliers et fluctuants, ces instruments classiques peinent à avoir une prévisibilité de leurs investissements. Tous les instruments classiques ont connu, dans le cadre de leur déploiement, un sens inverse des instruments de l’urgenciation. Comme qui dirait « déshabiller Jean pour habiller Paul ». Or, ces instruments classiques, dans leur déploiement assure une bonification des outils de travail des collectivités territorial, à savoir la planification, les cadres de concertations, le renforcement des capacités, l’appui à la maîtrise d’ouvrage, l’auto-évaluation participatif et la performance technique et fudiciaire…La rareté et l’évanescence du financement des instruments classiques ont créé un boulevard d’incertitudes aussi bien au niveau des collectivités territoriales surtout rurales que les transferts de l’Etat peinent à combler. Avec des retards fréquents de salaires, des grèves successives au niveau de la fonction publique locale, des départs fréquents de personnels…Conséquemment, une léthargie de développement avec des disparités s’amplifiant donnant l’impression des collectivités territoriales « utiles » à côté des collectivités territoriales « non utiles ». Ce qui a engendré une gêne institutionnelle trop forte au niveau des territoires face à des populations particulièrement jeunes, de plus en plus exigeants.

Confusion de genre de politique publique                                                                      

Sous ce rapport, un des instruments majeurs qu’est la territorialisation dans sa vocation de mettre de l’avant l’action du territoire local par rapport aux décisions prises par le pouvoir central, apparaît comme une « réponse locale à des questions nationales » de l’avis de (Moreau & Truchet, 2000). Cette approche est très indiquée dans nos territoires sénégalais et serait contraire à cette approche soutenue par un effort de différenciation territoriale où les administrateurs « adaptent les standards, les types d’action, les niveaux d’action aux situations locales » (Castaing, 2012). Nous percevons là, toute la différence d’approche d’une politique qui se mue et transmute selon son angle d’analyse et de mise en œuvre. Or donc, c’est tout le nœud gordien. Jusqu’à date, une confusion de genre a été notée qui fait que l’on prône le contraire de ce que nous voulons faire. Ici, gît toute la problématique du développement territorial au Sénégal. Notre développement territorial devrait être, en premier lieu, un moyen privilégié par les États pour atteindre une meilleure efficience sur le plan économique et une meilleure efficacité sur le plan opérationnel, pour bâtir le Sénégal à travers la pleine valorisation des potentialités de chaque territoire, dans une démarche multi-acteurs et multi-niveaux apte à garantir la participation de tous les acteurs territoriaux.

Des propositions correctrices centrée sur le territoire

L’analyse des offres programmatiques des différents candidats n’a pas occulté cette tare congénitale de l’Acte III de la décentralisation. Soit. Partout, des propositions correctrices ont été notées en matière de développement territorial. Plusieurs d’entre elles ont préconisé le renforcement des principes immuables de la décentralisation, en termes du respect de l’unité nationale, de l’égale dignité des collectivités territoriales, de la libre administration des collectivités territoriales et la participation citoyenne, du transfert progressif de compétences, de la répartition des compétences entre les ordres de collectivité territoriale, de la compensation du transfert de compétence par le fonds de dotation et le transfert de fiscalité et du  contrôle a posteriori de légalité. A y voir de plus près, les offres programmatiques par rapport à la décentralisation se sont structurées, entre autres, autour du développement économique, social et culturel de chaque Collectivités territoriale, d’une administration proche des usagers, d’une participation des populations dans la gestion des affaires publiques locales, de l’institution des collectivités territoriales dynamiques dans le cadre d’un État unitaire.

Vulnérabilité territoriale

Ce sont donc des espaces territoriaux affaiblis, déchiquetés et humiliés institutionnellement, sans investissements lourds, qui ont reçu les candidats à la charge présidentielle. Un niveau de vie avec un cadre de vie dégradé. Un contraste saisissant entre le budget au niveau national et celui au niveau des territoires. Un tableau peu reluisant où des promesses ont été portées aux acteurs territoriaux, à l’image de :1 Milliards FCFA / Collectivité territoriale, ou 50 milliards/région, ou une Agence régionale de Développement au niveau de chaque département, ou l’érection de pôle-territoire de développement économique. Ces professions de foi rapportées à l’aune de nos collectivités territoriales, à bien des égards, les exécutifs locaux, à leur décharge, n’ont pas eu les moyens de leur politique. Ils ont été trop esseulés, ballotés par la rareté des ressources, l’imprévisibilité de leurs investissements, le pilotage à vue de leur instance exécutive pour la majorité d’entre-eux (-40% des collectivités territoriales disposent de document de planification et dont leur exécution se situe à -10%). A cette vulnérabilité territoriale, il y a forcément un dégoût des porteurs de politique publique. Tellement le message est en déphasage avec les réalités territoriales. Comme pour dire, une décentralisation textuelle au top et un développement territorial, au flop. Quel gâchis, pour des territoires riches de leur dotation factorielle et de leur capital humain. Les territoires valent mieux que les préconisations faites à eux, par les acteurs politiques, eux-mêmes moins avertis que les acteurs territoriaux. La suite, on la connait. Qui s’oppose aux territoires s’expose et s’efface.

Par Dr Ousseynou TOURE, Expert Développement territorial

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