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Racisme, colonies, génocide…

L’historienne Hélène Dumas, la romancière Léonora Miano et l’ex-footballeur Lilian Thuram publient de nouveaux ouvrages, tandis que des livres d’Ali Benmakhlouf et de Felwine Sarr sont réédités.

Plusieurs essais de la rentrée littéraire reviennent sur la question raciale telle qu’elle s’exprime actuellement en Europe de l’Ouest, notamment dans les anciennes puissances impériales que sont la France et le Royaume-Uni. Tout en revenant sur la difficulté de ces pays à se confronter à leur passé colonial, Paul Gilroy, Léonora Miano ou encore Lilian Thuram appellent à poser les fondements de sociétés multiculturelles apaisées. A côté de ces textes ancrés dans les débats contemporains, on trouve également en librairie quelques rééditions d’ouvrages épuisés et un livre fort pour le témoignage qu’il offre sur le génocide des Tutsi à travers les yeux des orphelins rescapés.

LE GÉNOCIDE DES TUTSI À HAUTEUR D’ENFANT

L’histoire donne souvent la parole aux hommes, parfois aux femmes, presque jamais aux enfants. Les mots de ces derniers manqueraient de fiabilité. Mais c’est tout le contraire que révèle le précieux travail d’Hélène Dumas, spécialiste du génocide des Tutsi au Rwanda. Sans ciel ni terre est bâti sur les témoignages écrits de 105 orphelins – la plupart âgés de 8 à 12 ans quand leurs familles ont été décimées –, que l’historienne française replace savamment dans le contexte de l’époque et commente avec la plus grande délicatesse. On y découvre d’inestimables récits sur la vie et l’atmosphère précédant les massacres, le déroulement du génocide et les stratégies mise en place pour y échapper et survivre. S’y dessinent également d’impossibles lendemains qui brisent la fable de la résilience des plus jeunes.Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), d’Hélène Dumas, éd. La Découverte, 320 pages, 19 euros, numérique 11,99 euros. QUE FAIRE DE LA QUESTION RACIALE ?

Léonora Miano insiste : « Je ne suis pas une Afropéenne. » Pourtant, l’autrice a largement contribué à répandre à travers ces premiers écrits ce terme qui désigne « toute personne d’ascendance subsaharienne, née ou élevée en Europe ». Dans Afropea, elle revient sur la situation de celles et ceux qui n’ont jamais vécu autrement qu’en situation de minorité dans leur pays, la France. Cet essai dense, complexe et sans concession ne se contente pas de dénoncer le racisme et de décrire les replis identitaires des uns et des autres. En analysant ce qui sous-tend l’« Afropea », la romancière camerounaise montre en quoi ce concept offre la possibilité de les dépasser et de poser les bases d’une société post-raciste et post-raciale, restauratrice de dignité.Afropea. Utopie post-occidentale et post-racistede Léonora Miano, éd. Grasset, 224 pages, 18,50 euros, numérique 12,99 euros. Dans un essai passionnant, écrit en 2004 et traduit pour la première fois en français, Paul Gilroy évoque les « symptômes des problèmes non résolus laissés en suspens par des sociétés postimpériales qui ont largement refoulé l’exigence douloureuse mais nécessaire d’affronter leur passé ». Le sociologue britannique se demande comment refonder une société multiculturelle qui aura fait de la convivialité et de la tolérance de nouvelles manières d’habiter le monde. Une société multiculturelle qui jusqu’à présent a été mise à mal par « la destruction de l’Etat-providence et l’escamotage du bien public, les privatisations et la marchandisation ». Mélancolie postcoloniale, de Paul Gilroy, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, éd. B42, 208 pages, 23 euros. L’hebdomadaire Le Point avait publié en 2009 un hors-série intitulé La Pensée noire. Aurait-on eu l’idée d’en faire de même avec « la pensée blanche » ? Pas sûr. Relevant ce paradoxe, Lilian Thuram remarque que si l’on parle aisément de Noirs, c’est donc qu’il y a des non-Noirs, des Blancs. Or ces derniers peinent – ou se refusent – à se penser comme tels. L’ancien footballeur s’interroge sur l’origine et les conséquences de ces non-dits dans un ouvrage extrêmement documenté, à la fois exigeant et didactique. La Pensée blanche permet de comprendre comment s’est construit le discours racial en France, pour devenir un système et un mode de réflexion dont on n’a pas nécessairement conscience. La Pensée blanche, de Lilian Thuram, éd. Philippe Rey, 320 pages, 20 euros, numérique 11,99 euros. TROIS RÉÉDITIONS ESSENTIELLES

Publié en 2015 et épuisé, Pourquoi lire les philosophes arabes est enfin réédité en format poche. Dans cet ouvrage essentiel, le philosophe marocain Ali Benmakhlouf revient sur l’importance de la pensée médiévale en langue arabe et de l’islam dans la formation de la pensée européenne. Il démonte certains préjugés en rappelant que la philosophie arabe s’est « constituée de façon explicite comme une philosophie héritière de la tradition païenne grecque, mais a cherché sa justification dans ce qu’il est convenu d’appeler la loi divine, charia »« Le mot sage”, rappelle l’auteur, fait partie des 99 noms de Dieu dans le Coran. »Pourquoi lire les philosophes arabes. L’héritage oublié, d’Ali Benmakhlouf, éd. Albin Michel, 256 pages, 8,90 euros. Appelant à parler de la colonie du point de vue de celles et ceux qui ont eu à en pâtir, Seloua Luste Boulbina entreprend dans Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie de penser d’un point de vue philosophique une situation d’ordinaire analysée par les historiens. La chercheuse franco-algérienne s’appuie, entre autres, sur trois nouvelles que Franz Kafka a consacrées à la question – des textes peu connus des penseurs postcoloniaux. Elle s’interroge sur les conséquences contemporaines du processus de négation du sujet colonisé et son interdiction à faire humanité avec les autres. La colonie, précise-t-elle, est une projection culturelle de l’Europe. Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie, de Seloua Luste Boulbina, éd. Les Presses du réel, 224 pages, 15 euros. Renouant avec une pratique de la philosophie comme manière de vivre et non comme discours théorique, l’écrivain sénégalais Felwine Sarr livre ses Méditations africaines à partir d’expériences du quotidien. Ecrit sous forme d’anecdotes ou d’aphorismes, cet ouvrage a été publié une première fois en 2012, avant Afrotopia (éd. Philippe Rey, 2016) qui l’a fait connaître. Sa réédition permet de redécouvrir un texte intemporel, empli de sagesse, à l’écriture ciselée et poétique. Méditations africaines, de Felwine Sarr, éd. Mémoire d’encrier, 140 pages, 20 euros, numérique 8,99 euros. Le Monde.fr

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