LA PHILOSOPHIE : Un remède à nos maux
Par Boucar Faye
Toutes les civilisations que l’homme a créées jusqu’ici ont péri les unes après les autres. Jusqu’en 1914, la nôtre ne doutait pas qu’elle ne fût fondée sur des bases solides. La première guerre mondiale lui fit prendre conscience de sa fragilité. La deuxième guerre mondiale est venue confirmer cette fragilité. Il en est résulté un profond désarroi suscitant cette belle et tragique phrase de Paul Valéry :« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ; nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles, avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques ». Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. L’homme s’est mis à la marche du monde à inventer des machines qui font de lui le superpuissant ou l’omnipotent. Depuis qu’il a entrevu que sa science et son industrie pourraient le rendre « maître et possesseur de la nature », il a cru que la clef de son bonheur était dans son pouvoir d’inventer des techniques, et il s’est fié à ce pouvoir sans le soumettre à aucun contrôle. Pour assurer ce contrôle, pour que ces techniques soient accompagnées de morale adéquate, Bergson réclamait un « supplément d’âme », et Langevin un « supplément de raison ». Du moins tous les deux voyaient de même le fond du problème avec lequel est confrontée la civilisation moderne : préserver l’homme des dangers que lui fait courir le développement anarchique des inventions techniques. On n’a pas fini de montrer les griefs que l’on peut faire aux progrès techniques et voilà que surgit, et contre toute attente, le Corona qui a déclenché la troisième guerre mondiale. Je me plais à dire qu’il était plus facile de trouver la solution aux deux premières guerres mondiales car l’ennemi était identifié et il fallait juste sceller des alliances pour l’abattre ou même discuter autour d’une table afin de trouver une solution comme ce fut souvent le cas lorsqu’il s’agit d’un problème intra humain. Cette fois-ci, le problème est autre, il n’est pas un problème entre les hommes, c’est un problème entre l’homme et un virus. L’humanité a déjà connu des combats épidémiques mais pas une guerre comme celle-ci qui n’a pas encore livré tous ses secrets et qui ravage tout sur son passage. En face, un ennemi inconnu, invisible dont son arme principale est cette facilité à se propager de façon extraordinaire. Tout n’est pas perdu, mais ça ne sent pas non plus la rose. Un frisson extraordinaire frappe le monde : il a touché la Chine avec sa puissance technologique, l’Europe jusqu’à sa moelle épinière avec sa sagesse, l’Amérique avec sa puissance militaire et l’Afrique avec sa foi n’a jamais autant prié et si profondément. La planète tremble, l’humanité a senti par tous ses noyaux pensants sa fragilité et qu’elle allait perdre conscience, une conscience riche d’expériences séculaires. Personne ne peut dire ce que demain sera et je me refuse, comme disait Roger-Pol Droit, « à prophétiser quoi que ce soit ». L’espoir, certes, demeure mais l’espoir, selon Paul Valéry, « n’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions précises de son esprit. Il suggère que toute conclusion défavorable à l’être doit être une erreur de son esprit ». Les faits pourtant sont manifestes et impitoyables : il y a des milliards d’hommes confinés, des milliers atteints et des milliers qui sont déjà morts en attendant d’autres. Tout cela sous le regard impuissant de la science avec ses ambitions démesurées, de l’idéalisme avec ses rêves et ses illusions perdues, du réalisme profondément déçu et accablé par cette nouvelle réalité. Le Covid-19 après avoir brisé, comme un coup de marteau, l’illusion d’une culture mondiale, dessine un nouvel ordre mondial en définissant les règles du jeu et surtout remet l’homme à sa place lui rappelant qu’il est un microcosme dans un macrocosme. Devant nous, un obstacle à surmonter, que nous allons sûrement gravir, portés par les forces de libération auxquelles nous sommes en proie. Pour faire face aux conditions actuelles et pour s’avancer vers l’avenir avec assurance, il faudrait, bien loin de rejeter l’héritage du passé comme inutile, chercher dans ces vérités permanentes le solide appui qu’elles peuvent nous donner. Mais tout retour en arrière est impossible. C’est en avant qu’il faut chercher les solutions. Il faut que l’homme coure jusqu’au bout la grande aventure dans laquelle il est engagé. Mais pour que cette aventure ne tourne pas en dérision ou à la catastrophe, la condition indispensable est que l’homme élève sa sagesse au niveau de sa puissance par un plein emploi de sa RAISON. Et pour y arriver, un clin d’œil à la philosophie comme l’avait prédit Platon : « Quand on a épuisé tous les chemins, il faut recourir à la philosophie ». L’urgence d’une réflexion philosophique à l’échelle universelle est si cruciale et péremptoire que c’est toute la conscience planétaire qui est interpelée.
M. FAYE Boucar, Enseignant-chercheur