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Réfléchir et penser: pour une nuance conceptuelle.

Penser n’est pas réfléchir. Tous les hommes réfléchissent ; en revanche, seul le philosophe pense. Le terme réflexion, avant de glisser en philosophie, appartient tout d’abord à la science et plus précisément à la physique optique. Si nous considérons une source de lumière telle que le soleil ou une lampe torche, si nous projetons un rayon lumineux qui emprunte une certaine direction, et si nous plaçons un objet tel qu’un miroir, alors il y aura sur ce miroir un point à partir duquel un autre rayon prend sa source. Ainsi, nous aurons deux rayons : le rayon dit incident et celui là-même dit réfléchi. Le rayon incident est le rayon qui est parti de la source lumineuse ; le rayon réfléchi est celui qui est parti du miroir. Par conséquent, la réflexion se conçoit comme le  » mouvement de retour de la lumière sur elle-même « .

C’est là que la philosophie va emprunter l’expérience de la réflexion à la science.

La  » réflexion « , en philosophie, traduit le mouvement de retour de l’esprit sur lui-même, du moi sur lui-même pour appréhender les choses. Pour illustration : je me place devant un arbre, je redresse la tête et je l’observe. Mon nerf optique entre en liaison avec l’arbre et le photographie. C’est cette image qui va être transmise à l’entendement. Mon moi entre en contact avec le monde extérieur et ramène certaines de ses images qu’il confie à l’entendement saisi comme faculté humaine d’analyse. C’est ce mouvement de retour du moi vers lui-même qui est dit la réflexion. La réflexion est le retour du moi sur lui-même pour étudier les phénomènes. Des lors, nous notons que la réflexion a besoin du monde extérieur, de la matérialité des choses.  De ce point de vue et techniquement,  c’est la science qui réfléchit. C’est ce qu’a compris Martin Heidegger lorsqu’il affirmait déjà,  dans son fameux ouvrage intitulé : Qu’appelle-t-on penser?: La science ne pense pas et ne peut pas penser. »

Ce n’est pas un manque de respect ou une dévalorisation ou encore une critique négative. En réalité, dans la pensée, il n’y a pas une consistance objective garantie par les faits ou phénomènes,  donc  l’expérience. La science est inconcevable sans l’observation. Or, la pensée transcende cette observation.

Heidegger est allé jusqu’à refuser la pensée à Thales: Thales ne pensait pas encore. Pourquoi ? Parce que justement,  il a fait de l’eau le principe premier. Or, l’eau est phénomène.

Penser, c’est dépasser la matérialité du monde. Penser, c’est dépouiller les choses de leur phénoménalité, de leurs accidents. Lorsque l’on pense, alors on vise déjà l’être au-delà de l’étant, l’immuable dans le tumultueux,  ce qui est et non ce qui s’offre immédiatement à nous dans ce rapport direct avec le monde. La philosophie est toujours une rupture, rupture avec le concret, l’immédiat,  le déjà-là. Dans l’expérience, l’esprit glisse hors du monde sensible ou matériel et aspire à l’Intelligible. Voilà pourquoi, penser c’est voyager vers l’Intelligible. C’est dans ce sens que chez Deleuze la pensée est l’apanage du philosophe dans la mesure où penser consiste à produire des concepts. Philosopher, c’est penser; penser, c’est produire des concepts. Le concept, du latin concipere ( contenir dans l’esprit) offre une connaissance du général en exhumant les choses dans leur réalité profonde. C’est cela qui rappelle l’ Idée chez Platon et  l’ Essence, la Substance, le Principe, la Cause, l’Etre chez Aristote ou encore le Noumène chez Kant. La connaissance philosophique dépasse en dignité et en profondeur la connaissance qu’offre la réflexion.

Il n’est pas dit que les philosophes ne réfléchissent pas. Il convient plutôt de comprendre que la quête philosophique coïncide avec l’acte même de penser. Le philosophe peut partir du monde matériel,  mais c’est juste un prétexte pour interroger l’être des choses, le principe des réalités ou la cause de toute chose.

De ce point de vue, penser n’est pas réfléchir. Tous ceux qui pensent réfléchissent. Mais, tous ceux qui réfléchissent ne pensent pas forcément. A chaque homme son talent, à chaque homme son métier. Le philosophe a fait de la pensée son métier. La métaphore hégélienne du soulier le rappelle.

C’est ça le génie de Socrate. On l’appelle  » le père fondateur de la philosophie « . Et ceci n’est pas exact. Socrate n’est pas le père fondateur de la philosophie. L’humanité a connu la philosophie deux siècles avant la naissance de Socrate: deux siècles séparent Thales de Socrate. Donc, dire que Socrate est le père fondateur de la philosophie est une myopie de l’histoire. En réalité, il est le « Re-fondateur de la philosophie ». Il n’a pas fondé la philosophie. Il l’a ré-fondée en la faisant descendre du ciel sur la terre (l’anecdote que raconte Platon dans le Théétète sur la servante de Trace aide à mieux comprendre). Socrate est  le père re-fondateur de la philosophie ou Socrate est le  père fondateur dune nouvelle philosophie celle-là même dite  « la philosophie morale. »

C’est pourquoi l’aube de la pensée,  c’est avec Thales; mais, Socrate est le midi de la pensée: la première pensée des grecs est la pensée qui ne pensait pas encore; car, on était dans l’aube de la pensée, dans la proximité aveuglante de la réalité avec  la fameuse rosée matinale, l’humidité de l’aube d’où Thales tire l’arché de toute chose. Mais,  à midi, le soleil se lève dissipant la rosée matinale et faisant voir clairement et autrement le spectacle de la vie.

Ainsi, il convient de noter que la pensée est une expérience réservée au philosophe qui en a fait son métier. Ceux qui se rapprochent de cette expérience sont l’ Artiste et le Mystique religieux. L’artiste s’inscrit dans l’imaginer; et imaginer,  c’est glisser hors du réel pour conquérir les possibles. Le Mystique religieux dans la prière comme dans le zikr ouvre son enveloppe charnelle et son âme s’envole pour regagner le divin pour sa dose de nourriture spirituelle. On réfléchit depuis le concret; on pense lorsque l’on rompt avec ce concret. Et on comprend mieux, avec Cournot, pourquoi, à côté de la science, la philosophie «est le produit d’une autre faculté de l’intelligence qui, dans la sphère de son activité,  s’exerce et selon un mode qui est propre » . La science et la philosophie sont rationnelles. C’est acquis! Mais, sous deux aspects clairement distincts: la science épouse la rationalité expérimentale ; la philosophie épouse la rationalité spéculative.

 Tous les hommes réfléchissent ; mais, seul le philosophe pense.

                                                     ##Minh@JOB##/01/25_J.S./I.A.T.

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