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« UBUNTU »…JUSQU’AU BOUT

PHILOSOPHER EN ZULU

Nelson Mandela a appliqué à la lettre la philosophie Zulu du «Ubuntu». Celle qui affirme que le pouvoir vient des autres, et que le moi s’améliore dans une interaction non égoïste avec autrui. En d’autres termes, un homme n’est ce qu’il est que grâce (à sa rencontre avec l’autre) aux autres. C’est cette vision du monde qui lui a permis de réconcilier le peuple sud-africain, d’éviter la rancœur post apartheid, et surtout de bâtir une nation arc-en-ciel. La pensée a toujours éclairé son action. Madiba était un philosophe méconnu ou caché.

De l’action de Madiba, dont le soubassement est politique, se dégage une sorte de philosophie de vie, une vision du monde, une Weltanschauung, pour parler comme les Allemands. Dans mon rapport au monde, la présence de l’Autre ou groupe détermine mon action. Mandela ne vit que pour les autres. C’est le reflet du miroir qui donne sens à la vie, pourrait-on dire. «Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté ».

« L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité», déclare Madiba. Il y a, incontestablement du Emmanuel Lévinas dans cette façon d’appréhender la question de l’altérité. Pour Mandela, une société fraternelle, où chacun est au service de son prochain,  n’est possible que si chaque citoyen prend conscience de l’infinité de l’Autre. Sa réaction mesurée, devant le conflit ouvert qui se profilait entre les Noirs et les Blancs à la fin de l’apartheid, doit alors se lire à la lumière de cette philosophie salvatrice, grâce à laquelle l’Afrique du Sud n’a pas sombré dans la guerre civile.

C’est Madiba qui sort de sa bouche ces mots pleins de sens : «Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autre recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur ». Le philosophe Madiba scrute les profondeurs de l’humain pour en saisir sa complexité.  Il a fini par appréhender que les humains sont des créatures complexes qui obéissent à des milliers de motivations.

Et du fond de sa cellule, il a compris qu’on a imposé du «dehors » à ses geôliers et bourreaux, leur inhumanité, alors qu’ils n’étaient pas dépourvus d’humanité. Cette  complexité de la nature humaine et l’importance de l’autre dans le  rapport au monde révèlent aussi toute la force morale du dirigeant, du meneur d’homme :  «Un bon chef n’impose pas plus son opinion qu’il n’exige des autres qu’ils le suivent. Il écoute, il propose une synthèse, puis il s’efforce de façonner les idées et d’orienter les gens vers une action, un peu comme le jeune berger mène son troupeau depuis l’arrière. » Madiba sait que le pouvoir vient des autres, et que le moi s’améliore dans une interaction non égoïste avec autrui. En somme qu’un homme n’est ce qu’il est que grâce aux autres.

Nous voilà donc au cœur du Ubuntu, la philosophie Zulu qui se résume en ces termes : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes ». «Umuntu ngumuntu ngabantu », dans la langue Zulu signifie : «une personne est ce qu’elle est à travers les autres, par les autres ». Et  c’est Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix sud-africain,  qui en explique le sens : «Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi -qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand- et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou oppressés

En effet, jusque-là, certains philosophes dont Descartes ont toujours montré que l’individu se révèle à lui-même par le seul fait de son existence, de sa conscience, de son acte de penser. C’est le fameux «cogito ergo sum, je pense donc je suis » du philosophe français.  Mais avec  la philosophie Ubuntu, il y a changement de perspective.  Dire que «je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » change totalement le modèle d’identification et de prise en charge de sa conscience. Il s’agit d’une reconnaissance simultanée de l’individu par l’autre.

L’individu social est placé au cœur d’une inter relation qui exclut tout isolement, voire tout solipsisme.  Il n’y a plus une ontologie détachée du groupe.  C’est cette philosophie Ubuntu qui a fait que Mandela a réussi cette difficile thérapie collective grâce au travail de la Commission Vérité et Réconciliation dont la mission était de panser les plaies ouvertes  par le système de l’apartheid. Il a très tôt compris que les communautés sont interdépendantes et que la solution pour un avenir constructif passe par l’intégration de tous les Sud-Africains, y compris les Afrikaners, à un projet national commun, avec la participation de tous à la gestion du pouvoir.

In fine, ce concept d’Ubuntu peut servir de modèle de respect mutuel, de compassion, une philosophie politique qui transcende les communautés. Elle va produire des institutions  inclusives, avec la recherche effrénée de consensus, de dialogue comme soubassement. Madiba qui appartient à une ethnie majoritaire, les Xhosas,  a toujours refusé de penser en termes de noirs contre blancs ou d’ethnies, mais d’égalité et de futur ( en partage) commun.

Bacary Domingo MANE

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