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PHENOMENOLOGIE DE L’INSULTE

Par Alassane Kitane, Professeur de philosophie

Il paraît qu’insulter, c’est chercher à humilier autrui, à soulager une colère. Pourtant si quelqu’un pouvait faire une phénoménologie de l’insulte, il découvrirait sa vanité, il se rendrait compte qu’elle est incapable de respecter sa promesse. Traiter quelqu’un de salaud, de lâche, de traitre, de con, de pétasse, de va-nu-pieds, de fils de… Ça soulage vraiment ? Une petite réflexion suffit à prouver que plus on insulte davantage on se blesse soi-même. L’insulte que l’on profère contre quelqu’un montre toujours une vilénie se soi-même : d’abord le défaut d’éducation, ensuite le manque de solution (principalement celle discursive) et enfin le manque de retenue qui vous fait oublier qu’on n’est pas seul.

Sommes-nous assez déraisonnables pour ne pas éteindre la colère par le rire ? Le rire est parfois plus puissant que toutes les paroles blessantes. Rire permet de détendre l’atmosphère, de désarmer l’homme violent ou insolent, de vous montrer grand là il croyait vous rapetisser ou vous chosifier. Rire, c’est montrer son humanité. Rire dédramatise et offre une possibilité de convertir l’erreur et même la faute en comique (Bergson). Rire ouvre les portes là où l’insulte les ferme automatiquement.

L’injure n’est-elle pas finalement un mensonge sur la virilité ? « Saaga yakamte xeex la » disent fort justement les Wolof. Ils ont certainement raison, mais c’est plutôt là une ironie et un euphémisme. Ce que cet adage veut dire, c’est que celui qui insulte craint probablement de « se battre ». Mais se battre ne signifie pas nécessairement échanger des coups, c’est plutôt une confrontations d’arguments, d’idées, de raisons. « Defante » en wolof renvoie plutôt à l’idée de joutes (oratoires, sous forme de compétition esthétique sublimée ou en termes de charité entre des rivaux). Le wolof sait être pudique, décent ; il est capable de déférence : le « ragala xeex» devient « yakamte xeex » : c’est pour ne pas blesser le destinataire de la réprobation. Échanger des raisons, confronter des arguments, c’est faire preuve de maturité, de sagesse et d’urbanité

Les prêcheurs aiment raconter que le premier à déclarer « je suis un prophète, un envoyé de Dieu » et à s’en tenir à ça a été tout bonnement assassiné. Mais les autres qui ont proclamé leur prophétie tout en l’accompagnant de tentatives de justifications, de « raisons » ont été épargnés parce qu’ils ont donné envie d’être écoutés, ils l’ont mérité, ils ont posé les germes de la discussion. Cette anecdote renseigne sur la centralité de la communication et son rapport avec la structure rationnelle de l’homme, son identité : tout peut se régler par la communication. Insulter, c’est donc une volonté de clore ou de bloquer la discussion parce qu’on se sent démuni, dépossédé de moyens de la tenir.

Ce postulat de l’injure comme mensonge sur sa virilité peut être confirmé par ce qu’on appelle dans le vocabulaire érotique le « dirty talk ». Dans les sociétés où la publicité du sexe a amoindri la virilité, les petites injures dans le lit semblent jouer le rôle de fortifiant. Ce « dirty talk » révèle donc une panne. Il paraît que les chats font quelque chose de ce genre : peut-être une contagion par promiscuité ! Mais où sont les paroles séduisantes ? La coquetterie conjugales ? Les cajoleries ? Les chants et propos suggestifs ? Le romantisme ?

Alassane KITANE

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