LE FANATIQUE N’A NULLEMENT ENVIE D’ÊTRE LIBRE
Par Alassane Kane, professeur de Philosophie
Un homme politique suivi par une horde d’insulteurs et un autre par une cour de laudateurs, c’est du pareil au même. Ce dont ce pays a besoin c’est d’un homme (politique ou non) prêt à faire don de sa soi (sans démagogie aucune) à la nation : voilà toute la différence entre celui qui a pour cible le pouvoir et celui qui pense au peuple.
Le mensonge n’est pas l’ennemi de la démocratie, il lui est même consubstantiel : l’ennemi de la démocratie, c’est la peur de dénoncer le mensonge et les autres vices des hommes politiques. Les hommes politiques ont toujours pensé être des esprits supérieurs, ils ont toujours cherché à abuser ou à abrutir ceux qui les écoutent : c’est en cela que la vocation d’un intellectuel qui se respecte est infiniment plus noble. Quelle que soit sa position par rapport au pouvoir, il garde vivace sa capacité critique, son goût pour la lucidité et la tempérance.
Les fanatiques sont peut-être aussi indispensables à la démocratie que les hommes libres. Mais s’il y avait à choisir entre ces deux nécessités, le bon sens nous inclinerait à choisir la liberté. Parce qu’il n’a nullement envie d’être libre, le fanatique a une aversion naturelle virulente pour les hommes libres.
Si comme le dit Socrate dans le Protagoras, le sophiste est comparable à un négociant qui débite les denrées dont l’âme se nourrit, on peut considérer l’homme politique comme un négociant qui diffuse de façon intempérante la nourriture de l’opinion. Il s’efforce toujours à dire au peuple ce qu’il veut entendre : et puisque l’opinion a les mêmes caractères que le monde sensible (inconstance), le démagogue des temps modernes s’embourbe tôt ou tard dans ses propres contradictions.
Le démagogue est comme le détaillant dans le commerce : il s’engouffre dans les détails et les formules stéréotypées pour endiguer toute posture critique. Il vous emballera de la pire pacotille dans des colis dorés rien que pour vous fidéliser. C’est pourquoi nous devons apprendre à tenir tête aux hommes politiques ; c’est même la meilleure façon de les aider à se libérer de leur propre mythomanie et de sauver le peuple de telles fabriques de facéties.
De la Zaïrianisation de Mobutu au fameux Yoonu Yokkute, on n’a fait que surfer sur les besoins et les attentes ou espérances aveugles du peuple : Dieu sait qu’on n’a jamais eu des solutions aux problèmes réels du peuple. Il nous faut grandir enfin : arrêtons de nous nourrir de rêves puérils et soyons réalistes et exigeants envers les hommes politiques. Un discours politique fécond et porteur de projet de transformation réel n’est pas forcément mirobolant : l’homme politique doit savoir exécuter l’art du médecin qui n’hésite pas à faire souffrir pour guérir. Pour rompre ce cycle d’enfantillages démocratiques, il faut instaurer la culture du débat technique sur les différents secteurs de la vie économique et sociale. Car pérorer sur les généralités politiques n’est pas un art politique, ça ne demande aucune compétence particulière.
Alassane K. KITANE