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L’Ethique en politique

                Par Baye Modou Sall, Professeur de Philosophie

Se murer dans un silence coupable devant ce réel, à mes yeux, scandaleux de l’entrée en scène de notre pays dans ce grand jeu dangereux de politique sans éthique que certains pays, devenus aujourd’hui le terreau de toute sorte de crise des institutions ont joué dans la dernière partie de leur histoire de pays démocratique, est vraiment indigne de qui que ce soit. Notre société touchera bientôt le bas-fond de ce gouffre si la barre n’est pas très vite redressée. Parce que la politique qui est définie comme « l’art de bien gérer les affaires de la cité » et d’organiser la vie des hommes pour que ceux-ci puissent s’épanouir aisément dans la société, est réduite à une simple profession pour se faire de l’argent car étant lavée de tout son caractère éthique qui l’accompagnait et qui faisait d’alors tout son charme. Compte tenu de tout cela, repenser l’éthique en politique est plus qu’une nécessité.

D’ailleurs, c’est en pareille circonstance, il faut le rappeler parce que le rappel profite aux croyants, que le grand intellectuel, juge Kéba Mbaye avait été invité à l’université le 14 décembre 2005 pour prononcer la leçon inaugurale dont le thème était : l’Ethique, aujourd’hui. Et c’était une occasion pour lui de se rappeler et de rappeler à tous les sénégalais la dimension éthique de la politique, éthique sans laquelle toute politique est vouée à l’échec.

Nous sommes encore aujourd’hui dans la même situation de sens dessus-dessous où il y’a écart considérable autant dire abyssal entre nos dirigeants et la population, où les antivaleurs en politique semblent devenir des valeurs, où la politique devient pure démagogie, où les classes politiques manifestent un acharnement sur les biens publics, acharnement qui, n’en déplaise à ceux qui ne veulent pas l’entendre, déroute toute rationalité. Que de maccarthysme dans le pays, que de saupoudrage, que de l’esbroufe dans le ciel glacial de la politique. Pourtant, il faut le dire à haute voix afin de le rappeler à ceux qui ont tendance parfois à l’oublier, il n’y a pas, si galvaudée soit-elle, une activité beaucoup plus noble que la politique car elle est l’activité capable de nous rendre heureux puisqu’elle suppose l’organisation de la cité. Cela, d’une façon telle qu’Aristote la considère comme la science architectonique. Ainsi écrit le Stagirite : «  Or comme on peut l’imaginer, c’est l’objectif de la discipline la plus souveraine et la plus éminemment maîtresse. Et telle est la politique visiblement. En effet, c’est elle qui dispose quels sont les savoirs dont on a besoin dans les cités, quelle sorte de savoirs chaque groupe de citoyens doit acquérir et jusqu’à quel point. D’autre part, nous voyons que même les plus honorables des capacités lui sont subordonnées, comme la conduite des armées, l’économie, l’art oratoire… »[1] Malheureusement, cette science architectonique qu’est la politique est si appauvrie et estropiée aujourd’hui et accaparée par quelques brebis galeuses égarées au point que le désengagement politique surtout des jeunes, latent certes, mais très réelle devient incontestable quoique déplorable. Et le bas peuple en pâtit parce que torturé, marginalisé au moment où les décideurs politiques se réjouissent impitoyablement de notre malheur en nous faisant payer le prix de leurs scandales économique et financier. N’est-ce pas une situation d’une rare cruauté ? Des injustices de toute sorte engendrées par des abus de droit et des excès de pouvoir par-delà le mensonge, la tromperie, le bâillonnement du peuple et l’égoïsme de certains détenteurs du pouvoir qui oppressent et oppriment.

     Pourtant tout cela n’est que la conséquence d’une politique devenue sans éthique comme le pense bien Kéba Mbaye qui souligne dans son discours : « nous sommes sur le chemin d’un monde sans éthique ; d’un monde dans lequel la conduite des hommes, en dehors de toute considération éthique, est guidée par l’argent, le pouvoir, la force et la « place« . »[2]

Alors c’est quoi cette éthique tant chantée par tous ces grands intellectuels et sans laquelle tout l’échafaudage auquel on peut se livrer en politique, quelle que soit son élégance ne serait qu’une simple manipulation et corruption ?

     Pour légitime et nécessaire qu’elle soit, une telle question n’en soulève pas moins de plein saut une difficulté, pour l’essentiel, semble-t-il, insurmontable. Cela compte tenu des conceptions nombreuses et souvent différentes quant à ce qu’elle est. Mais si on interroge l’histoire on se rend compte que de l’Antiquité à nos jours, toutes les conceptions de l’éthique si différentes soient-elles ont ceci de commun : l’éthique n’est pas une simple théorie, elle n’est pas non plus une simple leçon de la vie, c’est la bonne vie elle-même, elle est une conduite et un comportement qui découlent d’une parfaite connaissance des choses. Cette définition suivante d’André Comte-Sponville est à ce point d’une inexorable vérité : « Une éthique répond à la question « Comment vivre ? ». Elle est toujours particulière à un individu ou à un groupe. C’est un art de vivre : elle tend le plus souvent vers le bonheur et culmine dans la sagesse. »[3] Et plus loin, poursuit toujours l’auteur « l’éthique est un travail, un processus, un cheminement : c’est le chemin réfléchi de vivre, en tant qu’il tend vers la vie bonne, comme disaient les Grecs, ou la moins mauvaise possible, et c’est la seule sagesse en vérité. »[4] La question de l’éthique met donc en jeu l’individu dans son rapport à soi et dans son rapport aux autres. L’Ethique c’est quand la conduite traduit une rectitude morale, c’est quand les actes et les propos valorisent conjointement le sens de la vie. L’éthique est un comportement, non pas celui d’un jour, mais un comportement de tous les jours, elle est une manière d’être et la meilleure qui soit. Partant de là, on voit combien elle se résume à la bonne vie, à la rectitude, à la droiture, à la justice, bref à la vie heureuse car sans tout ce qu’on vient de dire, toute société si travailleuse soit-elle ne pourrait pas humecter le parfum du bonheur, elle est vouée à l’échec. Donc l’importance de l’éthique dans la politique n’est plus à démontrer car s’il est vrai que la politique c’est l’art de bien gérer les affaires de la cité, on est alors en bon droit de se demander comment on peut bien gérer les affaires de la cité si tous ces impératifs de l’éthique ne se trouvent pas en nous ? La réponse n’est rien moins que simple : ce sera une « société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus »[5] pour emboiter le pas à Kéba Mbaye. Et il me semble que notre société est atteinte de cette maladie grave qui, à bien des égards, sonne le glas d’un pays démocratique. Donc il est devenu plus qu’une urgence de prendre comme arc-boutant l’éthique dans toutes nos actions politiques comme le pense encore le sage Kéba Mbaye pour qui  « L’éthique devrait être adoptée par notre pays comme la mesure de toute chose car, accompagnant le travail, elle est la condition sine qua non de la paix sociale, de l’harmonie nationale, de la solidarité et du développement »[6]. Cela doit commencer aujourd’hui, d’abord par la « déprofessionnalisation » de la politique parce qu’elle n’est pas une profession, elle est l’affaire de tous et cela va sans dire. Il faut qu’on supprime cette politique-fonctionnaire habituelle et décevante pour qu’elle laisse place à une politique appropriée et adaptée à nos réalités sociales, déclinée en des objectifs précis sur la base d’une prise en charge des compétences de chacun. C’est la seule solution pour sortir le pays de la léthargie. Et cela doit commencer par un changement de ce système pourri de particratie qui donne le privilège au parti au pouvoir de s’arroger le droit discrétionnaire de décider seul en accaparant tous les pouvoirs du pays et faisant croire à certains hommes politiques lunatiques qu’adhérer au parti au pouvoir est le seul moyen pour participer au développement et obligeant ainsi ces énergumènes qui n’ont aucune croyance en leurs idéaux politiques à courber l’échine signe d’un béni-oui-oui. Pour ensuite justifier leur diantre décision par une pure et simple phraséologie. N’est-ce pas une véritable pantalonnade ?

BIBLIOGRAPHIE

ARISTOTE, Œuvres complètes, Ethique à Nicomaque, I, 1094a25-1094b-5, trad., Pierre Pellegrin (sous la dir.), Paris, Flammarion, 2014.

COMTE-SPONVILLE André, Dictionnaire philosophique, Paris, PUF, 2013.

MBAYE Kéba, Leçon inaugurale, Sénégal, UCAD, 14 Décembre 2005. 

Baye Modou Sall

Professeur de philosophie au lycée de Bambey Sérère


[1] Aristote, Œuvres complètes, Ethique à Nicomaque, I, 1094a25-1094b-5, trad., Pierre Pellegrin (sous la dir.), Paris, Flammarion, 2014, p. 1778.

[2] Kéba Mbaye, Leçon inaugurale, Sénégal, UCAD, 14 Décembre 2005, p. 5. 

[3] André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris, PUF, 2013, p. 466.

[4] André Comte-Sponville, op cit., p. 467.

[5] Kéba Mbaye, op cit., p. 15.

[6] Ibid., p. 4.

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