‘‘Barça ou Barzakh’’ : Quand l’émergence et le développement ne font plus rêver
Pr Aliou LAM
Les événements que nous vivons en ce moment, avec la ruée vers l’atlantique, sont récurrents et rappellent la déception qui s’est emparée de la jeunesse sénégalaise qui attendait en vain aux lendemains de la première alternance, de pouvoir ‘‘travailler, encore travailler et toujours travailler’’. Les autorités d’alors, parmi lesquelles ceux qui nous gouvernent aujourd’hui avaient déclenché une avalanche de mesures qui n’avait apporté aucun résultat tangible. Le candidat Sall en 2012, fort de ce constat, en contrepartie, égrènera un chapelet de promesses qui ont suscité beaucoup d’espoirs contribuant ainsi à son accession au pouvoir. Après un premier septennat très poussif et un début de deuxième mandat dans la continuité, rien dans les faits et perspectives ne présage d’un futur clair et reluisant pour le Sénégal dont la jeunesse désorientée, plus que déçue, se sentant même trahie ne sait plus sur quel bout tenir la vie pour ne pas sombrer. La pandémie de Covid 19 n’a certes rien facilitée. Toutefois elle ne pourra servir d’aucun prétexte. Le mal était déjà très profond. Mais comme un malheur ne venant jamais seul, on pouvait difficilement s’imaginer que c’est l’émigration irrégulière qui allait constituer le binôme d’un couple du mal qui malgré tout n’a fait que révéler les faiblesses de nos systèmes de gouvernance aussi bien politique, économique, sociale qu’environnementale. Alors que l’épidémie de Covid 19 perd du terrain laissant officiellement sur le tapis en 8 mois plus de 325 morts dont la moitié était évitable, ‘’Barça wala Barzakh ‘’slogan des migrants par voie maritime, en quelques semaines, a bien marqué les esprits non seulement par la violence des décès et l’ampleur de l’hécatombe, mais surtout par la banalisation et la quasi indifférence des autorités, plutôt occupées depuis un mois par l’avenir que leur réserve un remaniement longtemps annoncé. Leur grande responsabilité dans ces drames et au-delà est entière du fait d’insuffisances, de calculs de positionnement, de règlements de compte politiques sources des échecs constatés sur tous les plans.
Parmi les causes réelles ou supposées de l’émigration irrégulière, le sentiment d’échec social parait le plus partagé. Néanmoins il ne saurait justifier les risques inconsidérés et la mort atroce qui guettent dans ces embarcations inadaptées, les milliers de jeunes dont le souhait de réussir dans la vie passe légitimement avant tout. Le pari entre la vie et la réussite d’une part (Barça), et l’échec déjà assimilé au trépas d’autre part (Barzakh), repose sur la symbolique que revêt à leurs yeux la mort considérée finalement comme une résolution, un soulagement et donc quelque part une forme de réussite même si ce n’est pas celle qui est recherchée. Cela n’est point un suicide car contrairement à ce dernier il y a toujours deux issues possibles et non une seule. Pour ces radicalisés sociaux mourir et ne plus vivre d’échec ne dérange que peu même si vivre et réussir reste le principal objectif de l’exode. C’est là où l’émigration irrégulière par la mer, cri de détresse si lourdement exprimé devient triste et pathétique, appelant à une action appropriée l’état et toute la société. Car il s’avère extrêmement urgent d’arrêter cette procession vers l’Europe via l’Espagne et surtout de régler de manière durable le problème de l’emploi et du travail qui est pointé du doigt.
N’en déplaisent à ceux qui pensent autrement, le chômage est un fléau au Sénégal. Dire que la vie est aussi dure dans ce pays est un pléonasme. Mais malheureusement font légion, les institutions inutiles comme disait l’autre, budgétivores, destinées à recycler, à caser ou entretenir selon le cas, des centaines d’hommes et de femmes du système au nom d’une stabilité qui n’a jamais été menacée. A la fois regrettables et déplorables, ces deux formes d’existence aux antipodes du concept d’équité, de transparence, de progrès et de justice sociale prôné au Sénégal, sont la cause essentielle et le catalyseur de l’émigration irrégulière.
Ceux qui pensent qu’il n’y a pas de problème d’emplois au Sénégal mais un problème d’employabilité ont une mauvaise lecture de la situation et de l’état de décrépitude du tissu économique et social de ce pays. On se demande même pourquoi ils veulent ignorer l’évidence. Qui ose dire aujourd’hui qu’il y a assez de travail au Sénégal quand dans nos villes plus de la moitié des hommes et femmes en état d’activité sont sans occupation ou ne peuvent pas subvenir, à partir d’une activité économique, au minimum de leur besoins. En milieu rural le sous-emploi général est endémique. Et la moitié de ceux qui sont occupés ne le sont qu’à mi-temps. Pendant l’autre moitié de l’année l’exode rural vide les campagnes de leurs bras valides dont une bonne partie restera définitivement en ville.
Les promesses n’ayant jamais été respectées, certaines même oubliées, on peut affirmer sans hésiter devant tant d’objectifs ratés, que la gouvernance du président Sall n’a pas connu les succès vraiment attendus. Ceci n’est guère étonnant pour ceux qui ont l’habitude d’observer la vie politique au Sénégal. On ne peut pas faire un habit neuf avec du vieux tissu comme on ne peut pas reconstruire un pays avec les vieilles recettes qui l’ont jusqu’ici perdu. Ces métaphores renvoient aux idées du renouveau et de l’émergence servies par le Président Sall qui s’entête à gouverner ce pays avec le même type d’hommes, ou groupes politicards présents dans tous les gouvernements qui n’ont pas su développer le Sénégal depuis un demi-siècle pour ne pas dire depuis les indépendances, si on veut prendre en compte les quelques premières années d’espoirs post indépendances trahis par des programmes socio-économiques qui ont profondément déstructuré les bases de notre développement. Cette conception de la politique et de la gestion de la chose publique impacte négativement notre mutation en société autorégulée par le souci de la préservation du bien commun, de la rigueur constructive et de la solidarité agissante. Ces influences négatives des élus et surtout des hommes politiques menteurs qui gouvernent sans jamais rendre compte, continuent de prospérer au Sénégal. Elles menacent notre mode vie, notre culture et notre économie en modulant notre école de la vie et de l’apprenant dont le produit inadapté génère de plus en plus de chômeurs, d’incapables pressés de réussir et de politiciens sans aucune expérience professionnelle bombardés à tous les postes stratégiques de gouvernance pour se servir au lieu de servir d’exemples. Etant entendu que l’exemple ne peut être qu’un modèle de droiture, d’humilité, de compétence et d’abnégation au service de la nation. Il s’avère dès lors important de soigner nos ambitions et de réformer notre système éducatif et politique pour maîtriser notre futur proche et lointain qui n’est pas du tout rassurant.
En attendant que proposent les autorités devant le sous-emploi, le manque d’occupations ou de travail pour ne pas dire le chômage endémique à l’échelle nationale? On constate d’abord que ce problème qui dure depuis des décennies, s’aggravant d’années en années et remettant en cause toute possibilité de développement, n’est pas considéré comme une urgence. Ensuite les solutions envisagées n’ont guère été plus efficaces qu’un placébo. Les bourses familiales dont l’impact réel sur la lutte contre la pauvreté n’a jamais été évalué, auraient servi à mieux faire, de même que le PDUC un gouffre à sous pour peu de résultats. Le Fast-tract s’apparente quant à lui, curieusement, s’apparente plutôt à son contraire, le Slow down. L’entreprenariat rapide non organisé, peu orienté et peu encadré ne pourrait impulser significativement l’accès à l’emploi notamment des jeunes. Les pôles de développement agricole initiés depuis 7 ans, très insuffisants, en nombre, et inadaptés rappellent le plan Reva et la Goana. Comme eux ils couleront des mêmes causes: leur inadéquation et leur manque de pertinence. Les conflits fonciers en pleine Covid 19 sont comparables aux problèmes similaires notés à Mbane, dans le Fanaye et dans de nombreuses autres localités du pays depuis les années 2000. Près d’un million d’hectares au profit d’étrangers, concédés pour des broutilles sont actuellement concernés. Bref, on cherche dit-on à créer des champions dans tous les domaines et partout sur le dos des populations. Les seuls intérêts pris en compte étant d’abord ceux des promoteurs. Il faut toutefois admettre qu’il y a beaucoup de bonnes intentions de la part de l’état. Mais quand les diagnostics sont faux ou imprécis et qu’on ne note pas une ferme volonté de procéder aux réaménagements indispensables, les chances de réussite pour sortir ce pays du marasme économique et social dans lequel il est plongé s’éloignent de plus en plus. Les programmes et priorités de l’état sont très loin des préoccupations du peuple qui n’a aucune prétention de vivre comme les occidentaux mais seulement de vivre pleinement sa vie et à sa bonne manière en utilisant tout ce dont la nature l’a bien doté (terre, eau, soleil, ressources minières, jeunesse…) et qui fait courir toute la planète.
Si au 21 ème siècle le peuple Sénégalais n’arrive pas à se loger, se nourrir convenablement, assurer sa sécurité alimentaire, se soigner et s’instruire pour mieux se prendre en charge, c’est de la faute exclusive de ses dirigeants et des élites qui ont laissé faire en désertant le champ politique taxé de sale, de répugnant, permettant ainsi à des gens sans envergure ni éthique, de le gruger au lieu de le gouverner au sens noble du terme. Et tout se passe comme si les acteurs en jeu (gouvernés et gouvernants) ne s’en rendaient presque pas compte. Le Président Sall ici interpelé vient de prouver qu’il peut tout régler et mettre le pays en bonne marche s’il le veut. Le Sénégal vient de vivre depuis l’éviction de Mr Colin par le Président Diouf, la plus grosse démonstration de la force et de l’étendue des pouvoirs confiés au président de la république. Il a fallu au détour d’une réunion du conseil des ministres que tout s’arrêtât et que lui le président, fort de la légitimité du mandat que lui a confié le peuple, restât pendant 4 jours le seul à pouvoir décider et incontestablement de tout. Résultats des courses : des collaborateurs insoupçonnés sont partis et d’autres non moins attendus sont venus le rejoindre. Le pays n’a jamais été aussi calme. Il a carte blanche. Le pouvoir qui lui a permis tout cela ne l’a jamais quitté depuis qu’il a été plébiscité. Cela prouve qu’en termes de gouvernance qu’il est la seule constante et donc le seul responsable sur toute la ligne de tout ce qui relève de ses pouvoirs notamment la gestion idoine de ce pays et son développent équitable et harmonieux. Alors pourquoi ne choisit-il pas encore, sans se tromper une fois de plus, le mieux pour le Sénégal. Pourquoi continue-t-il à s’abreuver à la fontaine de la duperie, de cette grosse escroquerie à la sénégalaise avec 400 partis politiques, qui veut que ‘‘personne ne peut plus gouverner seul’’. Cette théorie archi fausse n’est que savamment entretenue à leur compte par les nains et opportunistes politiques adeptes du partage de gâteau. On ne gouverne jamais aussi bien qu’avec le soutien de son peuple fidèle et reconnaissant. Tout le reste n’est que vue de l’esprit, du conformisme bien calculé, de l’usurpation, de la tromperie par et avec lesquels, 10 mandats ne suffiraient pas pour faire émerger et encore moins développer une nation. La preuve on nous gave de chiffres d’une croissance jamais atteints dans l’histoire du Sénégal et le pays va plus mal, moins bien qu’aux premières années de l’indépendance où au moins il y avait de l’ordre du patriotisme et le respect du bien public.
La tromperie n’a que trop duré. Redresser ce pays en urgence est ce qu’il faut et c’est bien possible. Les populations ne peuvent pas se contenter de chiffres bruts de la croissance. Elles veulent voir et palper du concret en plus d’activités pérennes pour échapper à la pauvreté. Elles s’embarrassent d’attendre la réalisation de programmes non maitrisés et ficelés sur un échéancier vague comme le TER dont la première phase aura tellement duré et coûté qu’on se demande comment il arrivera un jour à AIDB, sa principale destination. Le Sénégal baigne dans l’eau, il dispose suffisamment de terre et d’une population jeune à qui on n’apprendra pas longtemps à cultiver, élever, pêcher et vendre. Nous avons assez de perspectives et de débouchés sur tous les domaines pour développer un enseignement adapté pour que les jeunes puissent trouver continuellement des créneaux porteurs. Aucune nation qui aspire au développement ne peut se permettre de dépendre de l’extérieur pour vivre et encore moins de n’avoir aucune maîtrise sur sa monnaie. Il est tout aussi aberrant de vouloir faire du tourisme un des piliers de notre économie quand 81% de la population a moins de 50 ans. Ce secteur occupe et nourrit des familles mais il détruit plus que ce qu’il nous rapporte. Il nous faut réorienter nos politiques d’emploi, de production et de consommation afin d’inverser notre balance de payement. L’objectif est de valoriser et de rendre plus accessible nos produits dans le but de réduire le cout élevé de la vie mais aussi de fixer le maximum de devises dans nos échanges locaux. Avec 16 millions d’habitants notre population nous gratifie en 2020 d’un marché intérieur 4 à 5 fois plus important que lors des indépendances. En augmentant de façon conséquente la masse monétaire qui circule en permanence dans les échanges internes on sortirait non seulement de la pauvreté mais on se rendrait rapidement compte de l’impertinence de ne pas gérer sa propre monnaie. Qu’elle soit nationale ou régionale hors CFA s’entend. Il faut faire de sorte que chaque sénégalais à partir de ses capacités développe une activité qui vienne augmenter le PIB sans que les soi-disant champions ne viennent lui disputer son pain. Pour espérer développer le monde rural, évitons autant que possible la transformation de nos paysans, pasteurs et pêcheurs en ouvriers. La synergie gagnante est celle qui se traduira en terme simple par le développement de l’agriculture de la pêche et de l’élevage par des producteurs locaux en partenariats avec d’autres entités plus nanties afin de promouvoir l’enseignement, la recherche et l’industrie de transformation des produits générés.
Parallèlement les autres secteurs de l’économie nationale auront plus de chance de prospérer dans un climat plus détendu. Il ne faut surtout pas trop se focaliser sur les milliards du pétrole et du gaz au risque de se détourner de l’essentiel qui est le dur labeur des sénégalais. Prenons ces richesses comme un plus et restons vigilants pour mieux les gérer. Il sera difficile de s’imaginer comme la Lybie de Kadhafi (logés, nourris et blanchis par les retombées du pétrole). Cette manne profitera plus à l’état qui tiendra en plus de l’impôt une autre assiette financière pour mieux s’occuper des infrastructures de développement. Donc il faut que les sénégalais se mettent au travail, gagnent leur vie pour des lendemains meilleurs avec ou sans le gaz et le pétrole.
Rien ne pourra se substituer à notre volonté de régler nous-mêmes nos contradictions primaires, socle fondamental du développement, de la sécurité et de la stabilité. En effet il y a des choses qui ne peuvent pas attendre: facilement se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer ; avoir une formation et travailler pour s’assumer. Ces sept dispositions constituent la base de l’indépendance et du développement. On ne peut ni les déléguer, ni les acheter. Il faut que nous les réalisions nous-mêmes. A ce moment on ne parlera plus de ‘‘Barça ou Barzakh’’.
[1] Barça ou Barzakh = Débarquer à Barcelone ou mourir
Pr Aliou LAM – Dakar, Sénégal / alioulam@hotmail.com