REGARD PHILOSOPHIQUE

« Une nouvelle dialectique du maître et de l’esclave »

Par Moctarou Baldé

‘’Un infini petit plus grand que les grands’’

Je n’avais pas l’intention d’opiner encore moins de faire glisser ces quelques lignes au sujet de cette redoutable pandémie. Et pour cause : D’abord, des personnalités plus averties et des experts rompus à la tâche et plus édifiés en la matière l’ont fait, et ce, de la plus belle des manières. Ensuite, l’historien de la philosophie que je suis ou du moins que je tends à être, est de prime abord moins un juge qu’un spectateur des faits. Mais, pour un profane des idées, quoi de plus inopiné que cet évènement inédit pour s’ébruiter. Je n’en vois pas trop ! – du moins au moment où se glissent ces mots. D’ailleurs, n’est-ce pas Hegel qui nous rappelait dans des sentences assez éloquentes que « Concevoir ce qui est, est la tâche de la philosophie (…) »[1]. Et présentement ce qui est, sans le moindre doute, est cette déferlante maladie à coronavirus. Alors permettez-moi de participer à cette marche de l’histoire universelle de l’humanité.

  1. La fin d’une histoire et non de l’histoire

A la fin du XXème siècle et plus précisément en 1989 dans son article intitulé, « la fin de l’histoire ? » puis dans son ouvrage à la fois étrange et foisonnant[2] titré, la fin de l’histoire et le dernier homme, l’intellectuel américain Francis FUKUYAMA, semblait professer d’une façon plus ou moins avouée la fin de l’histoire. Tout comme Hegel, ce penseur à l’époque peu connu du public français, faisait de l’histoire le fruit de la liberté. D’ailleurs pour peu qu’on lise la philosophie politique de Fukuyama, on s’aperçoit que l’histoire s’achève avec la liberté des hommes.  Pourtant, au regard de ce qui se passe aujourd’hui ne serait-ce qu’autour de nous, on se rend compte que cette liberté humaine dont se targuer Fukuyama est en passe de devenir une illusion. De même que la fin du processus historique de l’humanité que prophétisait ce philosophe-politologue fut une imprudence et non moins une hardiesse manifeste de sa part. D’ailleurs, le point d’interrogation à la fin de son article suffisait pour laisser perplexe le lecteur sur sa conviction de même sur ce qu’il trottait et vociférait. En effet, la pandémie du Covid-19  apporte aujourd’hui une réplique magistrale, mieux dit, un démenti indiscutable à toute l’humanité autrefois ancrée dans une logique de domination sans partage. La conception d’une humanité libre et maitresse dans sa demeure naturelle est plus que jamais à redéfinir. Aujourd’hui, à tout point de vue, le spectacle est tout autre. La nature symbolisée par ce fugace virus et jusque-là dominée et opprimée, semble prendre sa revanche sur l’arrogance et la stupidité humaines. C’est véritablement « le déclin des absolus »[3] humains, marquant la fin d’une histoire et non de l’histoire. C’est aussi tout simplement et tout bonnement le rapetissement de l’homme unique dominateur face au mutisme naturel. Est-ce donc une nouvelle dialectique du maître (l’HOMME) et de l’esclave (la Nature)  qui se dessine ?  Tout porte à le croire au regard de la tournure des événements.

  •  Une nature soumise face à l’humain arrogant

Sur cette planète, l’être humain occupe une position unique en raison de sa forme complexe, potentiellement très évoluée, découlant de  sa conscience qui possède une large gamme de possibilités créatrices que ne détiennent pas les autres règnes de la nature. Ainsi, logiquement la soif de connaissance scientifique associée à l’orgueil et à la domination mondaine, tuent en lui le sens de l’émerveillement spirituel face à la nature. Voilà pourquoi lors d’un entretien daté du 13 juin 2013, l’historienne et l’environnementaliste lyonnaise Valérie CHAUSIGAUD à la question : Qu’est-ce qui caractérise les rapports entre l’homme et la nature sauvage au fil du temps ?, elle répondit sans amalgame en ces termes : « c’est l’envie de dominer »[4]. Pour cette chercheuse,  mécène et adepte de la nature, il y a un grand fossé, un grand hiatus entre les paroles et les actes posés par les individus dans l’univers. D’ailleurs, ce manque de lucidité humaine en vers la nature ne date pas d’aujourd’hui. L’image du bon sauvage qu’incarne l’humain, qui vit en harmonie avec la nature, est tout à fait sujette à caution. On constate toujours une constance domination des humains à travers les époques et les cultures. L’être humain est un animal spécial, qui très vite, cherche à se définir, puis tente de dompter la nature, de la dominer, de l’opprimer ; bref de la malmener. Il me semble que c’est ce Descartes insinuait de manière fracassante lorsqu’il avait compris que les sciences permettaient à l’homme de se « rendre maitre et possesseur de la nature » (Discours de la méthode VIème partie, p.168). On conçoit alors aisément que l’extension de la techno-sphère engendrée par les activités de productions humaines mette en péril l’existence de la biosphère dont l’homme est primitivement issu. La crise environnementale que nous connaissons trouve ici l’un de ses fondements. On se rappelle des cris de cœur un peu partout dans le monde notamment avec l’adolescente suédoise  de 15 ans, Greta Thunberg. Est-ce que son cri de cœur a été entendu ? Certainement. Cependant, qu’est-ce qui a été fait ?  Rien de significatif pour l’heure ! En effet, si certains gouvernants se baignent dans un mutisme et complicité stupides, d’autres tournent par contre le dos à la planète et à la réalité du réchauffement climatique. Les Etats-Unis figurent dans ce dernier lot car, le 1er Juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait isolé de son pays des Accords de Paris sur le climat.  Il est pourtant indéniable que l’activité de l’homme doublée d’une vanité et d’un refus salvateur, stimulent de nombreuses destructions dans la nature. L’illimitation du développement technique et la surexploitation peuvent donner crédit à l’hypothèse de son anéantissement complet.

            La crainte d’une destruction de la nature est donc à la fois réelle et étayée sur un réseau d’arguments solides et justifiés qui, sont soit de faits soit de principes : En effet, sur le plan des faits, chacun peut constater que la disparition massive d’espèces animales et végétales liée à la colonisation croissante et non intelligente de l’espace physique par les activités humaines. Il est tout aussi remarquable que sur le plan des principes, tous les éléments de la nature sont considérés comme des moyens au service des fin humaines ; un animal, une forêt et même un cours d’eau n’existent pas en tant que tels mais comme des facteurs à l’intérieur d’un calcul visant à contrôler ou exploiter méthodiquement  et/ ou anarchiquement la nature au profit de l’homme. L’homme dans une folie de rapsodie se donne le plein droit de traiter la nature et ses composantes en servantes et il tente dans la même foulée de les asservir pour ses besoins à courte vue. L’extrait ci-dessus est assez édifiant et laisse moins de doute à ce sujet : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, sur tous les reptiles qui rampent sur la terre et sur tout animal qui se meut sur la terre. »[5]

            Jusque-là, le souhait cartésien semble se réaliser sans résistance. L’homme  continue de poser ses questions et la nature se contente de répondre sans trop en retour gagner l’estime humaine.  C’est véritablement un règne sans partage de l’homme dans un univers dont il est pourtant largement tributaire.  Est-ce légitime cette domination des ‘’khalifes’’ de Dieu sur terre ? Oui ! Au regard du droit que leur accorde la majorité des textes sacrés des diverses religions. Est-ce pour autant un argument suffisant pour asservir la nature et mettre les bâtons dans les roues des autres créatures ? Evidemment non ! Car, ici le mot domination ne renvoie guère à une prédation sur la nature encore moins sur les autres créatures, mais plutôt exprimer une sage gérance dans l’intérêt de la planète toute entière.  L’homme ne l’aura pas compris ou du moins il aurait été emporté par la ruse de son intelligence, puisque, les actes qu’il pose sont tout à fait l’antonyme de ce que la nature aurait souhaité.

  • Le Covid-19 : La nature prend sa revanche

Mais comme dans une lutte de reconnaissance, la nature jusque-là passive et soumise  telle une femme en mariage au temps des prophètes[6], cherchera à se dévoiler.

            En effet, a beau de se gausser et pavoiser, l’homme ne sera que temporairement opposé à la nature. Parce que celle-ci relevant plus d’une essence divine que du hasard – et donc logiquement invincible, reprend tôt ou tard ses droits. Ainsi, moins il s’oppose à elle, plus il gagne en tranquillité. Toutefois, plus il s’oppose à elle, plus il se détruit lui-même. Et les messages qui lui sont envoyés sont entre autres les catastrophes naturelles, le dérèglement climatique et peut-être le fameux et le sensationnel Covid-19.  C’est la nature qui prend sans doute sa revanche sur l’humain quelquefois ingrat.

            Une fiction ou une réalité ? On n’en savait pas trop au 31 Décembre 2019, marquant l’avènement de cette déferlante maladie à coronavirus. Mais aujourd’hui, en tout cas au moment où sont ébauchées ces lignes, on en sait plus. Il s’agit d’une réalité. Depuis, un infini petit invisible par la taille et grand par ses dégâts, sème le chaos et perturbe le monde et tous ses coins et recoins. Il affecte toutes les bonnes comme mauvaises consciences. Ce fugace virus attire l’attention de tous les doués d’intelligence. Là où il passe, personne ne se fera raconter, car une gaieté sans peine ni remord y cède la place à l’obscurité absolue. Toutes les formes de rêves se  déciment. C’est tout simplement un réveillon cauchemardesque dans un autre monde plus incertain que rassurant. C’est l’humanité toute entière qui est azimutée et pris d’assaut. La nature semble contourner cette fois-ci les pièges de l’homme. Pire, ce sont les animaux que nous avons longtemps rabaissés au plus bas de l’échelle qui désormais semblent mener la danse. On se rappelle en effet que bien avant la propagation entre humains, la transmission s’est faite de l’animal à l’humain. On observe alors sans difficultés un retournement spectaculaire de situation. La nature et les animaux ne sont plus spectateurs encore moins esclaves de l’homme arrogant. Il me semble qu’il y ait une nouvelle dialectique du maitre et de l’esclave. Notre bien-être dépend en grande partie de l’espoir et du miracle que nous attendons de la nature. Puisque jusque-là en tout cas au moment où se dessinent ces mots aucun remède ne semble faire l’unanimité.  De l’hydroxychloroquine du Professeur Didier RAOULT aux Essais cliniques de plusieurs autres chercheurs sans oublier la théorie fantaisiste ‘’du cheveu-remède’’ des sénégalais fanatiques, rien de rassurant. Pour l’instant, le monde souffre et l’humanité tousse telle une vieille chèvre enrhumée.  Et aucun secteur, aucun pays, aucun peuple, aucune couleur, ni bourgeois ni pauvre, personne pour l’heure n’est épargné.

            Le coronavirus impose son lot de malheur même dans les pays les plus puissants. Les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Italie, la France, l’Espagne, entre autres, tous sont accablés et malmenés. La France justement en moins de quatre semaines, afficha une économie à terre.  Pour preuve la Bourse de Paris a connu le 12 Mars dernier la plus forte chute de son histoire, clôturant à -12,28%. L’Italie orpheline de ses compairs européens et dépassée par le cours des événements, est plus que jamais fragilisée en dépit de l’aide inattendue de la Chine et du Cuba. L’Espagne de son côté, tremble et danse au rhume infernal de cet imprévu Covid-19. Que dire de l’Amérique de Trump si ce n’est qu’elle a battu le triste record de personnes infectées. Même un pays comme le Canada ne déroge pas à la règle. En témoigne son premier ministre, Justin Trudeau fortement affecté et apparemment impuissant devant la danse macabre du virus, ne s’empêche pas d’inonder son pays de ses larmes.

            C’est pour dire que ce virus infiniment petit, ce minuscule composant d’une nature revanchard sans missiles visibles mais apparemment plus armé qu’une superpuissance, continue de faire des ravages et poursuit son bonhomme de chemin sans rencontrer trop de résistance.  Puisque nous humains, plongés dans une hébétude profonde, souhaitons tout sauf croiser sa route. On se  méfie de lui, on le fuit, et on l’évite au point que le mot d’ordre le plus partagé s’articule autour de : Restez chez vous traduit par un confinement partiel ou généralisé chez les uns et d’un couvre-feu, d’un Etat d’urgence, d’un port de masque, d’une prise de distance sécuritaire, d’une fermeture des frontière et non moins d’une mise en quarantaine chez les autres. Nous sommes véritablement mal barrés et sans solution confortable. Il est donc remarquable de constater qu’il a fallu d’un petit remaniement de la nature pour que nous somnolions et perdions de vue. Ce virus a enfin mis à nu et démystifiait toute sorte de pouvoirs. Car si le pouvoir politique est presque sans force pour faire face, le pouvoir économique lui ressemble plus à  un songe. On se demande même s’il y a véritablement un pouvoir religieux d’autant plus que, la Mecque et Rome ne reçoivent plus de fidèles. Conséquences, Imams, Muezzins, Talibés, Prêtres ou Abbés,… sont tous envoyés au chômage partiel. Bref, c’est toute l’humanité qui découvre sa fragilité. Le fossoyeur Covid-19 aura appris au monde entier que les humains ne sont que des supporters et les acteurs sur le terrain (la nature) sont à chercher en dehors de nous. Cette pandémie nous aura aussi appris que l’humanité est aussi vulnérable que la nature. Mieux, on doit se rappeler sans cesse que la nature est une princesse que l’homme doit préserver sans relâche.

Bibliographie

  • Bernard Vitrac, Notice aux Elément, PUF, Paris, 1990.
  • Descartes, Discours de la méthode, VIème Partie, Bibliothèque de la Pléaide, Ed, Gallimard Paris, 1996.
  • Entretien de Valérie Chansigaud avec La Croix, Recueilli par Emmanuel Réju, le 13/06/2013.
  •  Lynn White, « The Historical Roots of Ours Ecological Crisis » in Science 1,1967.
  • Francis Fukuyama, la fin de l’histoire et le dernier homme, trad. D. Canal, Flammarion

Paris, 1992.



[1] Hegel,  la philosophie du droit, Trad. A. Kaan, Gallimard, Paris, 1940, p.43.

[2] C’est David Schreiber qui donne ce qualificatif à ce livre de Fukuyama.

[3] George Bouligand, cité par Bernard Vitrac, Notice aux Elément, PUF, Paris, 1990, p. 188.

[4] Entretien de Valérie Chansigaud avec La Croix, Recueilli par Emmanuel Reju, le 13/06/2013.

[5] Lynn White, « The Historical Roots of Ours Ecological Crisis » in Science 1,1967 en ligne.

[6] Je précise la période, car à mon avis la soumission des femmes de mon temps reste à désirer.

Par BALDE Moctarou, Doctorant au département de philosophie.

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