Où va le Sénégal de Macky ?
A Dakar c’est le parti avant la patrie alors que moi je dois me rendre au bois sacré du village – Mon grand frère, Souleymane, a déjà préparé le vin, le lait caillé et le coq blanc qui sera sacrifié au pied du fromager.
Monsieur le Président,
Je me suis levé, aujourd’hui, Son Excellence, Monsieur le Président de la République, avec quelques courbatures, après des centaines de kilomètres parcourus à bord d’un taxi brousse, pour regagner le Sénégal des profondeurs, mon village dénommé Simbandi Balante. Situé dans le département de Goudomp, en pays balante. Nom de mon ethnie donné par les Mandingues, comme marqueur de « l’homme de refus » de toute compromission coupable.
Le chant des oiseaux a bercé mes précieuses heures matinales, avec au bout du voyage nocturne, un sommeil réparateur qui m’a cloué au lit. Loin, très loin de Dakar, une ville en délire permanent où les populations, au lieu de marcher, courent, au lieu de courir volent. Ils ont engagé une course folle contre leur ombre, avec le stress en bandoulière.
Entouré de ma famille, je compte profiter du temps clément, le passer à flâner et à m’abandonner au spectacle déroutant que m’offre une nature qui ne porte pas encore, Dieu merci, les stigmates d’une société de consommation dont les folies agressent, chaque instant, notre couche d’ozone.
Cependant mon village est loin d’être un ilot au beau milieu d’une mer en furie qui déverse les flots en courroux sur la berge. J’ai vu des jeunes passer le plus clair de leur temps autour de la théière ou du jus d’anacarde fermenté qui a détrôné le vin blanc dont les récolteurs se font de plus en plus rares, faute de palmier à tailler ; des femmes, bébé sur le dos, chercher du bois mort et puiser de l’eau dans des puits qui se caractérisent par leur profondeur, parce que la nappe phréatique se retire petit à petit ; des familles se contenter d’un seul repas où le poisson a déserté les sauces ; des chômeurs emprunter des embarcations de fortune parce qu’ils ont goûté au bonheur du désespoir…
Inutile de vous dire que la pauvreté a pris ses quartiers sur des terres jadis humides, où l’humus faisait pousser des graines épanouies. Et les fruits tenaient la promesse des fleurs, pour paraphraser le poète François Malherbe.
Les oiseaux de mauvais augure
Son Excellence, si j’ai pris la plume, ce n’est pas pour vous parler de mon village qui ressemble à tant d’autres, comme Ndouloumadji Founébé, mais partager une préoccupation au sujet de la trajectoire que notre cher Sénégal est en train de prendre.
N’écoutez pas les oiseaux de mauvais augure qui taxent «d’adversaire politique » toute personne qui refuse de suivre le troupeau, parce qu’elle a appris à passer toute chose à travers les trois tamis de Socrate : celui de la vérité, de la bonté et de l’utilité. Ces lobbies, religieux, politiques, ethniques et médiatiques qui, depuis toujours, mangent dans le ventre de la République, sont au service de leurs intérêts. Et tout discours, qu’ils formuleront n’aura d’autre résonnance que personnelle et intéressée. Ils ont une démarche d’exclusion là où, son Excellence, vous incarnez la République, la nation, l’unité de tous les citoyens. Ce sont des hommes de pouvoir qui chemineront avec n’importe quel régime.
Ne vous laissez pas alors divertir par ce qu’ils disent, mais traquez plutôt dans le blanc de leurs discours, les hésitations, les silences assourdissants qui en disent plus sur leurs vraies intentions et motivations ; car ils sont l’antithèse de ces Grecs qui sont superficiels par profondeur(la marque des esprits libres qui prennent le réel pour ce qu’il est (Nietzsche)
Ma part de dépression masquée
Je voudrais, si vous me le permettez, vous parler du Sénégal, en vous faisant part de mes craintes, sans laisser apparaître ma dépression masquée, à force de voir et d’entendre certaines choses qui donnent le tournis. Vous êtes le Président de la République, c’est-à-dire le seul Sénégalais perché au sommet de la pyramide, titillant le ciel étoilé et dont le pouvoir n’a d’égale que les limites fixées par la Constitution. C’est le prix que les humains ont payé, depuis la nuit des temps, pour échapper à la loi de la jungle de l’état de la nature, en confiant leur destinée au Léviathan, le dieu aux pieds d’argile. Et dont le Président de la République n’est que la figure moderne, disons républicaine.
C’est le peuple qui vous a choisi et cette vérité doit s’imposer à tout citoyen. L’institution que vous incarnez est une réalité et mérite respect. Sa force qui crève l’œil, ne serait-ce qu’à travers certains symboles, n’a point besoin d’autres manifestations pour rappeler aux nihilistes l’évidence. Surtout dans une confrontation inutile où tous les spécialistes en communication politique s’accordent sur le fait que l’image du président de la République est sans réplique.
C’est vrai, vous pouvez être amené à rentrer dans une colère noire, quand certaines personnes s’attaquent, à tort ou à raison, à l’institution que vous incarnez. Mais la station que vous occupez vous permet de prendre de la hauteur, de relativiser certains écarts de langage. Je sais, les choses ne sont pas si simples, puisque la gestion du pouvoir est une machine redoutable à broyer les convictions les plus intimes, les certitudes les plus inébranlables. S’y ajoutent ces invités dans leur robe de conseillers dont les discours, aussi contradictoires les uns que les autres, ne facilitent toujours pas la bonne décision. Sans compter les lobbies dont le souci premier est de consolider leur position pour continuer à jouir du pouvoir.
Humain, trop humain !
Heureusement que la nuit porte conseil. La décision vous revient et elle doit être prise dans la solitude parce que vous êtes seul perché là-haut. Mais toujours dans un face à face avec le miroir que représente le peuple. C’est le paradoxe du pouvoir, parce que le peuple rappelle, à chaque instant, au président de la République, que ce n’est qu’un dieu aux pieds d’argile. On fait presque tout à sa place: le choix du menu, l’itinéraire du convoi, le fauteuil où il doit s’asseoir pendant les manifestations, jusqu’à l’ouverture de la portière de sa voiture, etc. Le Président est un homme impuissant qui souffre de la faiblesse de sa puissance, privé du libre arbitre du common man. C’est pourquoi la tentation est parfois forte de descendre de son piédestal. Humain, trop humain ! Mais cela n’enlève en rien à la grandeur du chef de l’Etat, gardien de notre démocratie.
Ce coup de dé…
Son Excellence, la loi sur le parrainage est passée à l’Assemblée le 19 avril dernier sans débats. Vous avez savouré cette «victoire», depuis la capitale française, à l’abri d’une éventuelle explosion sociale. Le pays que les Sénégalais vous ont confié était sur une corde raide. Votre sécurité et celle de votre épouse étaient, peut-être, au-dessus de tout. Mais un coup de dé salutaire a conjuré le mal. Dieu merci ! Certains de vos partisans, notamment les plus va-t-en-guerre, qui ont sabré le champagne, étaient aux anges pour avoir «remis à sa place» une opposition empêcheuse de tourner en rond.
Le Sénégal, son Excellence, a pris sur sa joue une souillure. Malheureusement, cette sombre page de notre histoire est écrite sous votre magistère. Nous avons pensé, naïvement, que la Constitution, depuis le dernier référendum, était à l’abri de révisions déconsolidantes initiées par une majorité qui ne cherche pas le consensus et procède de façon unilatérale, en restant sourde aux vives contestations de l’opposition et d’une franche importante de l’opinion.
La posture facile de la certitude
Augusto Del Noce (Popolo Nuovo, 1945), nous apprend que: «La valeur ultime à laquelle le régime démocratique est ordonné n’est pas l’avantage matériel de la nation ou de la classe, mais l’idée de la non-violence (ou de la persuasion)». Or, ce que j’ai vu ce jour-là, à l’Assemblée, c’est l’expression d’une force aveugle qui n’a laissé aucune place à l’objection.
Son Excellence, vous avez vaincu sans convaincre ! Votre camp a choisi la posture facile de la certitude à la place d’une entreprise de persuasion cherchant à démêler les choses et à mettre le doigt sur une réalité qui se complexifie à force de la soumettre à l’exigence du questionnement. Son argument massue est que le parrainage va éliminer les candidatures «fantaisistes» et permettre de faire des économies. Soit ! Mais que fait-on du droit des partis à concourir aux suffrages universels ? Qui a autorité pour qualifier certaines candidatures de «fantaisistes» dans un jeu démocratique dont le socle est l’égalité des chances ? Pourquoi priver le peuple du droit de choisir, voire de se tromper ? Le sentiment du devoir accompli (choix du vote) ne transcende-t-il ces économies grappillées qui, parfois, vont atterrir dans des comptes en banques logés dans des paradis fiscaux ? Et si cette vision «économiste» du parrainage était une critique «involontaire» adressée à une gouvernance «gaspilleuse», tape-à-l’œil et non vertueuse ? etc.
Je m’expose à l’intolérance…
Pour sûr, je m’expose ainsi à l’intolérance de certains pour avoir «osé» penser autrement, m’interroger ? Mais j’ai voulu ainsi, sans périphrases inutiles et sans ornements, partager des interrogations qui n’ont pas la prétention de révéler la vérité mais de la suggérer. Je suis fondamentalement parole, c’est pourquoi je ne saurais survivre au divorce entre celle-ci et ma conscience. J’emprunte la formule au philosophe Basque Miguel de Unamuno qui a osé se dresser contre les partisans de la guerre civile qui avait mutilé l’Espagne. Cette position courageuse lui avait valu son poste de recteur de l’université de Salamanque.
Ne réveillons pas le Minotaure !
Son Excellence, autre sujet de préoccupation : le communautarisme ambiant. Certains intellectuels l’ont théorisé, en s’attaquant à la supposée hégémonie d’une autre ethnie. Son Excellence, la gestion de la République ne saurait souffrir de critères d’éligibilité à la chose publique autres que ceux du mérite. Ces politiciens, qui manipulent leur communauté pour leur propre ascension sociale, ne doivent pas saper les fondements d’une société où toutes les ethnies vivent en parfaite entente, même si chacune prétend, dans son rapport à l’autre (ethnie), être le centre du monde. Et ce comportement, que je qualifie d’ethno-egocisme, est le propre de toutes les sociétés humaines.
Ne jouons pas à réveiller le Minotaure pour juste la jouissance du pouvoir. Certes, la hauteur de votre station vous empêche parfois de voir les choses les plus proches, disons, les plus évidentes, puisqu’il y a toujours quelqu’un qui a intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Seul le fou du roi peut aider le prince à dire la vérité dans toute sa nudité sans s’encombrer de formules mielleuses qui visent à en amortir le choc.
Le pouvoir ne rend pas fou, mais révèle la folie
Certains, son Excellence, pensent à tort que le pouvoir est diabolique, qu’il corrompt toutes les âmes. Le pouvoir ne rend pas fou, mais révèle plutôt cette folie et expose la vraie nature des hommes qui ont lié leur destin à cette fausse volonté de puissance. Souvent ce sont des hommes très fragiles qui subliment cette force. La solitude, est leur compagnon.
Le parti d’abord, la patrie après
Autre interrogation : l’incantation induit-elle forcément le changement de paradigme ? Vous avez dit : «La patrie avant le parti !». Mais la gestion des affaires de la cité laisse parfois apparaître que la carte du parti est un vrai sésame et un bouclier contre les rapports des corps de contrôle qui confondent des responsables «apéristes» ou issus des rangs des alliés. Où est donc la justice sociale ? La conséquence de la suprématie du parti sur la patrie se traduit par la politisation à outrance (au sens partisan) de l’administration, avec ces directeurs de sociétés nationales et autres techniciens contraints à prendre la carte du parti pour sauver leur poste.
Quand la parole se dérobe sous la langue
Mais la question qui est à l’œuvre, son Excellence, est celle du respect de la parole donnée, de sa sacralité. Faire ce que l’on dit, est même devenu un slogan de campagne électorale pour des candidats conscients de l’aversion d’une partie de l’opinion pour le non-respect de la parole donnée.
Pourquoi, son Excellence, la parole politique se dérobe sous la langue des politiciens ? Est-elle condamnée à l’errance parce que n’ayant aucune emprise sur les choses qu’elle nomme ? Ou, la réalité politique est tellement complexe qu’elle ne se laisse emprisonner dans des formules non pensées, parce qu’à la merci d’une temporalité qui se conjugue au présent. Comme si la parole politique était victime des contingences discursives inspirées par des calculs opportunistes d’hommes et de femmes politiques en mal d’authenticité. On ne doit nullement se cacher derrière une réalité changeante pour remettre en question ce contrat de confiance qui lie le leader à son peuple, même si, l’on peut admettre, dans une certaine mesure que «gouverner, c’est décevoir» (Philippe Braud (Sociologie politique, 2008)
Mon rêve…
Son Excellence, je rêve d’un Sénégal où le sens de l’intérêt général est au-dessus des projets personnels brûlant les ailes de l’envol de notre pays vers les cimes de l’émergence. Les logiques de conservation et de conquête du pouvoir ne doivent nullement remettre en cause cet idéal qui fonde notre commun vouloir de vie commune. Je ne me laisserais distraire par la guerre de tenants du pouvoir qui pensent que le pays est définitivement sur la pente de l’émergence, et d’opposants qui peignent systématiquement en noir le tableau du quotidien des Sénégalais. Tous les deux camps ont des œillères. La seule constante est que le peuple, dans son écrasante majorité, souffre en silence et, parfois, en toute complicité. C’est cette situation confuse qui explique ma mélancolie.
Souleymane, mon grand frère…
Excellence, je voudrais, avec votre permission, prendre congé de vous, parce que d’autres obligations m’attendent. Je dois me rendre au bois sacré du village. Mon grand frère, Souleymane, a déjà préparé le vin, le lait caillé et le coq blanc qui sera sacrifié au pied du fromager. La tradition exige que les fils du village soient confiés aux dieux, le temps de leur séjour, aux fins de conjurer le mauvais sort qui pourrait s’abattre sur eux.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.