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EDITO – Diomaye piégé par le «SYSTEME»

Par Bacary Domingo MANE

Les mots créent la réalité. C’est le pouvoir performatif du langage dont  parle John Langshaw Austin[1], à travers «l’acte perlocutoire» qui fait exister ce qu’il nomme. Les gens du «Système», en assimilant la gestion du pouvoir à un «partage du gâteau », sont en train d’imposer leur perception de la chose. Le plus curieux, c’est que les nouveaux tenants du pouvoir semblent tomber dans le panneau, en reprenant les mêmes éléments de langage. Ce qui expliquerait, peut-être,  leur hésitation à se débarrasser des éléments du «Système» encore en poste. Les remplacer par des «Patriotes» reviendrait à un «partage du gâteau». C’est le piège de la mauvaise conscience tendu au Président Diomaye. Pour s’en défaire, il suffit de nommer autrement la réalité du pouvoir : Le Sénégal n’est pas un gâteau à partager mais un pays à construire et reconstruire, à coup de sacrifices et de sacerdoce.


Ce sont les hommes et les femmes qui font le «Projet» et non le contraire. Le comprendre, c’est intégrer la dimension de la volonté et de l’engagement dans n’importe quelle entreprise humaine. Cette réalité s’observe plus dans le champ politique. Et ceux qui tentent de le nier, en se cachant derrière le citoyen neutre ou lambda, disons, «le Sénégalais », perdent de vue l’importance du personnel politique[2]. Ce dernier est constitué  d’hommes et de femmes qui croient à un idéal et affichent la volonté de le réaliser, allant, parfois, jusqu’au sacrifice suprême.

Face à la machine répressive et tueuse de Macky Sall, des «patriotes[3]» ont résisté. Malheureusement, certains ont perdu la vie (ces jeunes lâchement tués), d’autres sont blessés, (parfois amputés d’un membre). Et parmi eux, des milliers de «patriotes» embastillés dans des conditions inhumaines. Sans oublier tous ceux qui ont perdu leurs biens, honnêtement acquis. Que dire des nuits blanches meublées de prières pour faire des crocs-en-jambe aux démons du palais chauffés à blanc par une armée de charlatans ; des débats houleux, mais où les représentants de «l’Anti-Système » ont toujours tenu la dragée haute aux gens du «Système» qui se signalaient, parfois, par leur arrogance etc.

Une communauté de croyants…

La résistance était multiforme, enveloppée dans un bel élan au-dessus de la raison  et de la foi. Pour parler comme Gilles Achache, les «patriotes» étaient dans une forme théologique du politique[4. La dictature de Macky Sall à su, ainsi, transformer une communauté politique en communauté de croyants. Ils n’envisageaient pas le «Projet » comme une réalité extérieure à leur être et dont on prendrait conscience à travers une forme de dédoublement ou de mise à distance, mais comme quelque chose vécue de l’intérieur. Le «Projet » s’est fait chair ! C’est cette réalité que Sonko a voulu traduire lorsqu’il s’adresse aux jeunes patriotes en ces termes: «Vous êtes le Projet ! ». La ligne de démarcation disparaît, laissant la place à une osmose parfaite entre le «Je » et le «Il ». C’est cette même logique qui est à l’œuvre chez Diomaye et Sonko qui, par la magie du verbe, ne forment qu’un (Sonko moy Diomaye ; Diomaye moy Sonko[5])

Ces hommes et ces femmes n’étaient pas mus par le pouvoir envisagé comme but[6] mais comme moyen[7] d’instaurer ou de restaurer la société originelle, le paradis perdu. Un idéal de vie en société dans le respect de l’autre et du bien commun.

C’est pourquoi, quand j’entends les gens du «Système» accuser les «Patriotes» de «partage du gâteau», cela fait sourire. Mais, il n’y a rien d’étonnant puisqu’ils ont toujours assimilé le pouvoir à un gâteau à déguster sans modération : d’où les scandales fonciers, la corruption, les passe-droits, les marchés de gré à gré, le clientélisme etc. Dans la galaxie des gens du «Système», la tentation est très forte de devenir, ad vitam aeternam, un politicien professionnel. Ils ont même inventé le principe de «l’immobilisme en mouvement» pour ne pas nommer l’argent acquis sans transpirer. Leur âme est tellement corrompue par les espèces sonnantes et trébuchantes qu’ils voient derrière chaque nomination du nouveau régime un moyen de s’enrichir. Avec ces accusations à la bouche : «il cherche à se caser, c’est pourquoi il défend le «Projet ». Il faut voir, au-delà de la légèreté du propos, une certaine mélancolie à perdre des privilèges indus tolérés par un «Système» prédateur.

La puissance du verbe et le piège de la mauvaise conscience

Il faut donc faire beaucoup attention au pouvoir performatif du langage. Cette expression «partage du gâteau» traduit leur perception de la gestion du pouvoir.  Ce sont ces œillères qu’ils veulent faire porter au Président Diomaye qui nomme aux emplois civils et militaires. Et en reprenant les éléments de langage des gens du «Système», les «patriotes» sont tombés, sans le savoir,  dans le piège de la manipulation[8]. La finalité, c’est d’amener le Chef de l’Etat, à croire que la nomination d’un «patriote » à un poste de responsabilité équivaut à un «partage du gâteau». Le procédé fonctionne comme mauvaise conscience.

Il est alors temps de se ressaisir, car les futures batailles électorales (législatures) se gagneront forcément avec l’apport du personnel politique. C’est ce que nous appelons, dans le jargon de la communication politique, le segment proche. Il ne s’agit nullement de penser à la prochaine élection présidentielle, il est plutôt question de se donner les moyens de bien conduire le mandat en cours. Se montrer alors indifférent envers son personnel politique (alliés, Pastéfiens, patriotes non partisans etc), c’est travailler, sans le savoir, au renforcement d’une opposition qui n’a, peut-être, pas dit son dernier mot. Pour gouverner, il faut avoir tous les leviers entre ses mains. Les Présidents Senghor, Diouf, Wade et Macky Sall l’ont très tôt compris, eux qui se sont toujours appuyés sur leur personnel politique pour opérer des choix de gouvernance. «Nous gagnerons et gouvernerons ensemble !», avait l’habitude de lancer Macky Sall à son personnel politique.

Leur projet funeste est de faire capoter  le «Projet »…

Celui qui vous fera croire le contraire ne connaît rien à la politique ou est de mauvaise foi. Il y a, comme qui dirait, un brin de naïveté à penser que ceux qui se sont battus pour le maintien du «Système» incarné par Macky Sall, vont, comme par enchantement, commettre le parricide, en se mettant au service d’un «Projet» qu’ils ont combattu. La logique voudrait qu’ils fassent tout, pour que le «Projet » échoue. Bien sûr, ils vont jouer au plus rusé, en faisant croire qu’ils ne sont qu’au service de la République incolore et inodore. Ils vont surjouer l’engagement et la détermination à faire bouger les lignes. En réalité, leur projet funeste est de faire capoter  le «Projet ».

A compétence égale …

Quoi de plus normal alors, de gouverner avec celles et ceux qui ont cru à l’idéal d’une société complètement transformée. A compétence égale, il est plus indiqué de porter son choix sur un «patriote» (allié, Pastéfien, citoyen lambda qui s’est battu pour le «Projet), qui n’a plus rien à prouver en termes d’engagement et de sacrifices.

La conduite du «Projet» va nécessiter beaucoup de don de soi. Pour le faire aboutir, il faut une armée de «Patriotes» qui ont une haute idée du pouvoir (comme sacerdoce, moyen de servir son pays sans rien attendre en retour) et qui doivent servir de béquilles à cette marche forcée vers une réelle transformation de la société. Ce ne sont pas les éléments du «Système», encore nombreux dans l’appareil étatique (directions nationales et autres…), qui s’échineront à faire aboutir le «Projet». Seuls les «Patriotes» sont prêts à accomplir cette mission.

Le Président Diomaye ne doit pas perdre de vue l’enjeu : faire triompher le «Projet». Cela se fera forcément avec les «Patriotes» qui y ont toujours cru et prêts à consentir à tous les sacrifices pour servir leur pays.  Pour eux, le Sénégal n’est pas un «gâteau à partager» mais un pays à reconstruire.

Bacary Domingo MANE


[1]  John Langshaw Austin, « Quand dire, c’est faire », Seuil Paris, 1991
sudonline.sn

[2] C’est l’une des contributions majeures du marketing politique au marketing Mix, en ajoutant aux quatre «P»  du Mix (Produit, prix, promotion et place),  le «P» du personnel politique et le «P » du packaging (emballage). Sans ce personnel politique, aucun acteur politique ne peut accéder au pouvoir. Son engagement, son abnégation et ses sacrifices donnent au leader la force d’avancer.

[3] Ce mot ne renvoie pas forcément aux  militants de Pastel, mais à tout citoyen qui aime sont pays et prêt à combattre l’injustice pour une société démocratique et égalitaire.

[4]  Achache, Gilles, Le marketing politique, in La communication politique, Les essentiels d’Hermès, Ed CNRS, P117-132

[5] Sonko est Diomaye ; Diomaye est Sonko. Une formule qui signifie que les deux hommes sont interchangeables parce que chacun incarne le «Projet» de transformation en profondeur du Sénégal.

[6] Cela renvoie au pouvoir comme moyen de jouissance, comme Epithumia. C’est cette conception que les gens du »Système» ont du pouvoir.

[7] Le pouvoir comme moyen renvoie à un idéal de gestion privilégiant la justice sociale et la transparence.  Se priver, et se mettre au service de son pays. Ici le pouvoir devient un moyen pour faire le Bien et non de s’enrichir.

[8] Breton, Philippe, La parole manipulée, ed La découverte poche, Paris, 2000, P.20 : « La manipulation consiste à entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction (…) La manipulation doit toute son efficacité à sa dissimulation

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