PENSEE DU JOUR – Le Prince, le Sage et le Pouvoir
Sentant la fin de son pouvoir très proche, le Prince rend visite au Sage pour des conseils dans le but d’apaiser sa mélancolie. Mais la lucidité du Sage, décrivant la finitude du pouvoir des hommes, l’a plongé dans une telle peur bleue que le Prince a perdu le sens des réalités. A cause, peut-être, d’une fulgurante ascension politique et sociale.
Mon Prince, la perte du pouvoir dont tu avais refoulé l’idée, est désormais de l’ordre de la réalité, à mesure que les heures, les jours, les années passent. Imparable et incontournable, la fin s’imposera à ce pouvoir que tu croyais éternel. Rien qu’à penser à cette idée, ça fait peur, n’est-ce pas ? Pas que tu ignores que le pouvoir des hommes est éphémère, mais les oripeaux et les accessoires de celui-ci t’ont conduit à mettre entre parenthèse la réalité tangible d’une fin irréversible, pour se laisser bercer par la conviction fausse d’être éternel. Une feinte exquise pour faire un croc-en-jambe à l’impensable, à l’insupportable fin de cycle.
Mon Prince, le temps de la séparation arrive à grands pas, l’inéluctable finitude sera le tombeau du corps sacré qui a entamé le processus de dégénérescence pour renaître dans un autre corps profane, celui du prochain élu. Vous n’êtes plus, mon Prince, autorisé à parler au futur.
Pour vous, mon Prince, tout s’organise désormais autour du passé et du présent. Certes, votre souhait est de voir le temps suspendre son vol «pour savourer les rapides délices [1]» des plus beaux jours de votre gouvernance. Mais tout s’arrête : escorte, gyrophare, bodyguards aux lunettes noires, garde présidentielle, griots tailleurs d’arbres généalogiques, militants de conviction et militants de circonstance, etc.
Seule la couronne[2] pouvait rendre une telle réalité possible, grâce à son caractère singulier.
C’est sur ces mots que le Prince quitte le Sage, la mine grave.
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[1] Alphonse de Lamartine, Les Méditations poétiques, 1820 ;
«Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! » (Tiré du poème Le Lac)
[2] Jacques Séguéla et Thierry Saussez, La prise de l’Elysée, «La couronne est un objet singulier, son pluriel n’a pas de sens»