INDIGNITÉ ET POUVOIR
Par Alassane KITANE, Professeur de philosophie
Autrefois c’est la grandeur qui prédestinait au pouvoir. Rois, aristocrates, prophètes, fondateurs des républiques modernes, révolutionnaires, etc. étaient des modèles de vertu ou alors de virtus. Ces grands hommes ne pouvaient pas se permettre la plus petite souillure en matière de compromission. Ils étaient plus rigoureux avec eux-mêmes qu’avec les autres. La virtus est la qualité essentielle de l’homme d’Etat : rester viril même dans les pires situations, s’abstenir de frauder et de trafiquer parce qu’on est certain d’être un modèle pour tout un peuple.
Aujourd’hui la virtus et la vertu sont toutes les deux absentes de la politique. Ceux qui ont pleuré sous la menace de la détresse, ceux qui ont fraudé toute leur carrière politique, ceux qui, pour le pouvoir, ont souillé la patrie sont présentés comme des héros. Quand j’ai vu Sarkozy à la télé, il y a quelque jours, parader et se faire applaudir par quelques militants, je me suis tout de suite dit : voilà un homme politique qui est foncièrement incapable de mener une vie normale en dehors de la politique. Les plus grands criminels voient dans la politique un stratagème pour absoudre leurs péchés dans les vagues aveugles des passions du peuple. Plus ils s’agitent et affichent une feinte d’arrogance, plus il faut soupçonner leur culpabilité.
En France un Président déchu parle d’acharnement de la justice et de la république des juges. Au Sénégal, on parle d’une justice borgne puisqu’elle ne regarde que du côté des opposants. Dans les deux pays, il y a un problème de dignité. Sans la dignité on peut être riche, avoir des diplômes, se marier avec les plus belles femmes du monde, aller à la Mecque ou à Rome : bref l’indignité mène à tout. Les hommes politiques développent parfois une morale de cafard (décidément ils ont beaucoup d’affinités avec ces derniers) : plus c’est sale, plus on s’y meut à l’aise.
En France un président déchu s’accroche aux méandres de la justice pour échapper à une peine de prison ; en Afrique les présidents s’accrochent au pouvoir pour échapper à la prison. Ils sont tous pareils, mais la différence est manifeste ici : la justice là-bas est libre tandis que chez nous elle est instrumentalisée.
Ministre de l’intérieur, Sarkozy se voyait déjà Président : comment cet homme pouvait-il travailler correctement pour la République ? Premier ministre et directeur de campagne en 2007, « le plus grand président d’Afrique » selon un de ses courtisans, l’homme aux deux mandats consécutifs aurait avoué à un journaliste que nous appellerons Monsieur Impunité Seck, qu’il va prendre le pouvoir « dina jël yëfi ». Ce Premier ministre n’a-t-il pas mis la république au service de ses ambitions présidentielles ?
Il nous faut renouer avec l’ère des héros et ça passe par une révolution pour le curetage de la politique.
Alassane K. KITANE