LA SAVEUR DE LA MORT
L’océan atlantique engloutit dans ses profondeurs abyssales des tombeaux de candidats à l’immigration. Des jeunes qui ont perdu toute espérance dans leur pays, le Sénégal, prennent des embarcations de fortune avec son lot de morts. Ils fuient la misère et le regard persécuteur d’une société de plus en plus individualiste et qui compte ses élus. Ces candidats à l’immigration qui ont goûté au bonheur du désespoir, étreignent, au quotidien, avec une chaleur inexprimable, la mort au parfum de paradis.
Quoique l’on fasse – même si le ciel venait à embrasser la terre – ils ne bouderont, pour rien au monde, le plaisir de chérir la mort. Comme le funambule marchant sur une corde raide tendue au-dessus de l’abîme, les candidats à l’immigration clandestine titilleront la faucheuse. Ces filles et ces garçons qui n’espèrent plus rien de leur pays, font un pied de nez à l’irréparable. Car ce qui les fait bouger est hors du temps. Le désespoir qu’ils portent en bandoulière ou traînent comme un boulet, est synonyme d’absence totale de toute espérance. Les candidats à l’immigration ont mis une croix sur le passé avec son lot de remords et de regrets, de même que sur le futur, miroir d’illusion et d’anxiété. Ils n’ont d’autres solutions que de s’accrocher au présent comme à une bouée de sauvetage.
Ces jeunes avaient rêvé, en 2012, avec le candidat Macky Sall, après le temps de désillusion du «Pape» du Sopi faisant écho, en 2006, au ballet d’embarcations de fortune sur l’océan atlantique mettant le cap sur les îles Canaries. Les morts de Macky se sont ajoutés à ceux de wade.
La faute au président
Mais aujourd’hui, tout s’est évaporé, desséché sous les rayons d’un soleil de promesses non tenues de 500 mille emplois pour les jeunes durant le septennat du leader de l’Alliance pour la République (APR). Ce dernier a affiché la même «ambition», lors de la campagne pour la présidentielle de février 2019, en promettant aux jeunes la création de centres de formation techniques dans les 45 départements. Sans oublier la promesse de financement des start up par la Délégation entreprenariat rapide (Der). Rien ou presque…
Pris entre deux feux, celui de la misère semant la graine d’une mort lente et de la guerre mettant brutalement fin à la vie, le goût du danger devient alors le seul horizon des jeunes africains. Ils sont alors décidés à répondre à l’appel des sirènes. Sur le voile du large, il est écrit en lettres d’or : Réussite. Les charmes du mirage !
Nos jeunes Sénégalais y croient dur comme fer. Barça ou barsakh ! Barcelone ou la mort ! Sauf que pour ces jeunes, l’irréparable a la senteur du paradis. C’est pourquoi ils désignent, par le mot de «jihad», cette aventure périlleuse dont la finalité est de rendre heureuse une famille restée au pays.
«Mbeuk-mi» ou le coup de tête
Plus épicuriens que ces jeunes, tu meurs ! Dans le désespoir, ils vivent une existence divine, comme des dieux, sans se soucier du temps, sans que le temps apporte quelque ombrage à leur bonheur. Car la mort est l’antithèse du temps. C’est là tout le sens des embarcations de fortune que les candidats à l’immigration clandestine désignent par le mot wolof (langue locale) de «Mbeuk-mi», qui fait penser au coup de tête. Les yeux fermés, ils foncent sur les îles Canaries.
De la mer agitée, les candidats à l’immigration ne retiennent que les décibels s’échappant des vagues et chantant le bonheur de Barça. Dans ces embarcations bondées d’âmes, l’ambiance est parfois coincée entre les cris d’insouciance et le silence de la vacuité. Comme s’ils étaient en train de célébrer la mort.
Viva la muerte !
Ce qui fait penser au cri de guerre de la légion espagnole dont le Général José Millan-Astray était la figure de proue : «Viva la muerte» (vive la mort). Un paradoxe, certes incongrue, mais qui en dit long sur le mental de fer des jeunes candidats à l’immigration. Ce sont les mutilés du système de gouvernance de notre pays.
Ces jeunes veulent, à l’instar des adultes, cultiver leur champ (door war, expression en langue wolof qui signifie travailler et jouir des fruits de son labeur). C’est la seule manière de se faire une place au soleil ou d’exister.
Aucune mesure dissuasive ne saurait entamer l’ardeur de ceux qui célèbrent la mort. Pas même l’arsenal de la première armée du monde. C’est pourquoi l’idée saugrenue de criminaliser le convoyage d’immigrés clandestins fait sourire, car ces jeunes sont prêts à regagner les côtes espagnoles à la nage.
La cloche du désaveu
Le désir de répondre, à tout prix, à l’appel des sirènes, sonne comme un désaveu des pouvoirs publics, incapables d’assurer le minimum à une jeunesse qui ne demande qu’à servir son pays.
Des mécanismes ont été mis en place comme le Plan REVA, l’Anpej, la Der etc. pour fixer les jeunes. Mais la logique partisane et le népotisme font que la majorité des jeunes qui ne sont pas dans les partis politiques, surtout celui qui gouverne, est sacrifiée. Certes, il y a des hommes et des femmes dans ces institutions qui essaient de transcender les intérêts partisans et mettent tous les jeunes sur un pied d’égalité. Cependant, le système est fait de telle manière que les jeunes pensent à tort ou à raison, qu’ils ne peuvent être parmi les heureux élus sans le coup de pouce du marabout, du ministre, du directeur, du camarade de parti, etc.
Bardés de diplômes, ils cherchent, parfois, en vain, un stage. Ceux qui ont quitté très tôt les bancs, soit, victimes du système scolaire qui fait peu de place au savoir-faire, soit, sacrifiés par la pauvreté des parents, se retrouvent sans métier.
L’illusion des discours de campagne
Souvent ces jeunes sont confrontés à un déficit d’informations de la part des pouvoirs publics. Certains échouent parce qu’ils ne savent où mettre les pieds. Le système, non plus, ne leur a pas appris à entreprendre. Ils voient souvent en l’Etat un pourvoyeur d’emplois. Et ce n’est pas de leur faute, puisque le discours des campagnes électorales crée cette illusion.
Ces jeunes sont, enfin, victimes de l’injustice sociale. Ils ont l’impression de vivre dans un Sénégal à deux têtes : celle des gouvernants et de leurs familles, de leurs acolytes, des lobbyings, des voleurs de la République (dont le butin peut assurer l’avenir des fils et petits-fils) et leurs complices, des laudateurs ; et celle des pauvres condamnés à mener une vie de misère.
La richesse des riches appauvrit davantage les pauvres. Et le paradoxe veut que dans ce pays, des fonctionnaires, responsables politiques, soient des milliardaires ou millionnaires et non les industriels.
Les damnés des mauvaises politiques
C’est contre toutes ces pratiques que ces jeunes se révoltent. Victimes de l’irresponsabilité des pouvoirs publics, ils ont refusé de se résigner. C’est pourquoi, non satisfaits de leur présent, ils n’ont d’autre solution que d’agir en prenant le large. C’est l’autre sens des embarcations de fortune que prennent les jeunes pour fuir la misère de leur pays.
Ils sont nés pour mourir…Ce sont les damnés des mauvaises politiques !
Bacary Domingo MANE