Inversion de la réalité sociale
Par Papa Diomaye Ngom
Nous tenons, tout d’abord, à souligner que l’objectif n’est pas de critiquer les mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19, car il est impératif de les respecter, pour non seulement ne pas « laisser nos vies » entre les mains du covid, mais aussi, ne pas lui permettre de se propager, c’est un combat à mort et l’ennemi doit ployer les genoux. C’est « un corps à corps, et, dans un corps à corps, qu’importe que l’adversaire soit du même rang, noble ou intéressant ; l’importance c’est de le toucher »[1] dixit Marx. Par contre, l’objectif est de repenser « l’inversion de la réalité sociale » actuelle par rapport aux normes, aux mœurs, aux coutumes et lois qui régissent une société bien déterminée. Le but de ce texte est aussi de repenser la capacité qu’a l’homme à convertir l’anormal en normal face à un danger qui crée chez lui une émotion négative sous forme d’affres, de peur menaçant son instinct de survie.
Aristote, dans la politique, avait déjà parlé de « zoon-politikon » d’animal politique, d’homme de « polis », bref de l’homme comme un être purement social qui vit et ne peut vivre qu’en société. C’est la société qui constitue l’apanage de la vie humaine. L’essence de l’homme peut-elle se manifester en dehors des normes sociales ? Est-ce que l’homme, isolé, à lui seul, serait-il capable de survivre sans ses semblables, sans les autres ? Autrui fait-il le bonheur ou le malheur ? Est-il un danger ou un allié nécessaire ? Autant de questions qui méritent analyse et ratiocination, mais pour ne pas faire long, nous irons directement à l’essentiel.
La société est définie dans le dictionnaire comme un « assemblage d’hommes qui sont unis par la nature ou par des lois. (C’est le) commerce, que les hommes réuni, ont naturellement les uns avec les autres », elle est aussi définie, comme « (la) réunion de plusieurs personnes associées ». D’une manière succincte, ces définitions montrent tout simplement la dimension de l’union, du groupe, la dimension du commun et de l’assemblage entre les hommes au sein d’un milieu social. L’union fait la quiddité de la société. Parler de société nous pousse aussi à parler de groupe d’hommes d’ailleurs le mot société est maintenant de plus en plus remplacé par l’expression groupe social. En psychologie, on a eu à apprendre que le groupe est différent de l’agrégat et qu’il n y a groupe que quand on a, au moins, deux personnes qui ont des relations mutuelles.
Les nouvelles règles édictées par l’OMS sont, certes, bonnes pour barrer la route au covid-19, mais il faut aussi souligner que ce sont des mesures antisociales mises en place pour sauver le social : paradoxale n’est-ce pas ?
Le « rester chez soi » est anti groupal, car si chacun reste chez lui, le partage qui donne l’occasion à une vie de groupe disparait progressivement, « la distanciation sociale » est anti-groupale car elle creuse davantage le fossé qui existe entre le moi et l’autre, elle prend aussi le contre pieds de cette belle expression de l’autre qui disait que « autrui est la médiation nécessaire entre moi et moi-même ». Les consignes comme « éviter de serrer la main » et « éviter les rassemblements » sont aussi insociables. Marx nous dit que l’histoire est «l’histoire de la production sociale » il n’a pas dit la production individuelle mais sociale donc groupale c’est la production issue des rapports sociaux, du commerce et de l’échange concret entre humains qui permet de faire une histoire. « Cette conception de l’histoire a donc pour base le développement du procès réel de la production, et cela en partant de la production matérielle de la vie immédiate ; elle conçoit la forme des relations humaines liée à ce mode de production et engendrée par elle-même ».[2] L’individualisme et le solipsisme prônés par ces nouvelles règles sont-ils un arrêt de l’histoire pour Marx ? On sait tous que, avec ces mesures, l’échange entre humains, le commerce qui permettent de parler de production sociale sont vraiment réduits. Et « le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l’on doit aujourd’hui encore comme il y’a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie »[3]. Donc il faut qu’il ait échange interhumain pour avoir une vie sociale.
Aujourd’hui, face à l’expérience du covid-19 on assiste à « une inversion de la réalité sociale ». Ainsi, le normal (rassemblement, regroupement, serrer la main…) devient l’anormal, cela qui faisait l’essence de la société c’est-à-dire (l’union et le vivre ensemble dans le groupe) devient dangereux et donc anormal. Mais ce qui est important dans tout cela, c’est de souligner que, face à ce nouveau phénomène, l’homme est capable de s’adapter et de montrer que tous les chemins sont bons pour rallier Rome, « la fin justifie les moyens » donc tous les moyens sont bons pour préserver sa vie. L’homme, dont l’instinct de survie est menacé, est capable de transformer le négatif en positif. Marx avait raison de dire que le monde avance par le mauvais côté, la dialectique va encore opérer un dépassement conservation des coutumes habituelles sociales et culturelles dont il urge de relooker pour juguler la pandémie.
Tout ceci nous montre le pouvoir du naturel sur le culturel car quand le naturel est menacé le culturel devient rapidement flexible et facile à changer. La preuve, lorsque la vie du corps naturel est menacée par un virus automatiquement les pratiques culturelles sont modifiées. Ce changement de mode de vie est capital dans la mesure où sans ce changement l’homme disparaitrait ou plutôt péricliterait, peut-être, face à ce nouveau covid-19 qui ne cesse d’avancer et de métastaser, Dieu seul sait son heure d’arrêt. Donc, changeons notre mode de vie et respectons les consignes barrières face à la pandémie. La menace est réelle, elle est grande, alors quintuplons les mesures préventives pas uniquement dans la théorie mais dans la pratique de la théorie. Il faut contrer le rush du corona car dans ce combat à mort seul l’homme doit en sortir vainqueur et maître, « l’humain vaincra par (sa force), sa science et sa raison le covid-19 ». Papa Diomaye Ngom étudiant en philosophie, niveau master II
[1] Marx Karl, philosophie, éditions Gallimard, paris 1965, p.93.
[2] Marx Engels, l’idéologie allemande, éditions sociales, paris1971, p.77.
[3] Ibid., p.59.