Banque africaine de développement: La rude bataille sans fin des candidats pour succéder à Akinwumi ADESINA. EXCLUSIF
L’actuel président de la Banque africaine de développement (BAD), Dr Akinwumi Adesina, devra passer la main à Abidjan le 29 mai 2025 à son successeur qui sera désigné parmi les cinq prétendants en compétition. Trois profils pointus ( le Sénégalais Amadou HOTT, la sud-africaine Swazi Tshabalala et le mauritanien Sidi Ould TAH) se dégagent et tiennent les cartes en main. Sur fond d’arbitrages, jeux d’influence, arrangements et tractations en coulisses, cette élection est l’une des plus convoitées par les décideurs et financiers du continent africain et des pays non régionaux. Confidentiel Afrique fait une immersion dans l’univers des principales figures en lice et livre leurs forces et faiblesses. Exclusif
Un vent nouveau soufflera sur la Banque africaine de développement (BAD), à partir de fin mai prochain, avec l’élection annoncée du successeur du nigérian, Dr Akinwumi Adesina. Le futur patron de l’institution financière, fondée en 1964 et basée à Abidjan en Côte d’Ivoire, sera connu lors de l’assemblée annuelle du Conseil des gouverneurs. Pour hériter de ce poste prestigieux, il devra passer par un processus d’élection, comme l’exigent les règles. Il est fait obligation aux candidats d’obtenir 50, 01% des voix attribuées aux 54 Etats africains membres et autant de voix pour les 28 pays membres non régionaux (Etats-Unis, France, Allemagne, Pays-Bas, Chine, Japon, Arabie Saoudite…), pour se hisser à la présidence de la BAD. Cinq challengers sont en lice, avec la prétention de vouloir conduire la banque multilatérale vers des lendemains plus prometteurs, dans l’intérêt du continent africain, confronté à des défis existentiels importants. Il s’agit du Mauritanien Sidi Ould Tah, du Sénégalais Amadou Hott, du Tchadien Mahamat Abaas Tolli, du Zambien Samuel Munzele Maimbo et de l’unique femme en compétition, la Sud-africaine Bajabulile Swazi Tshabalala. Tous nourrissent le rêve de s’adjuger le fauteuil que va céder fin mai prochain le ‘’flamboyant’’ Dr Adesina, au terme d’une décennie passée à la Tour argentée d’Abidjan. Beaucoup de hauts faits, comme des vagues agitées ont aussi rythmé la mandature du nigérian Adesina Akinwumi. L’institution, dont le capital est passé de 93 milliards de dollars en 2015 à 318 milliards de dollars, n’a-t-elle pas conservé ses «excellentes notes » de crédit AAA, gage d’une bonne solvabilité ? Sous le magistère de Dr Adesina, la BAD a impacté positivement la vie de plus de 515 millions de personnes, dont 231 millions de femmes sur le continent africain, dans divers domaines (accès aux soins de santé et à l’eau, aux TIC, à l’électricité, à des infrastructures de qualité, etc.). Les actions de l’organisation ont été a alignées sur l’Agenda 2063, le schéma et le plan directeur visant à transformer l’Afrique en puissance mondiale. L’ancien ministre nigérian de l’Agriculture et du Développement rural laisse une institution financière solide mais paralysée par plusieurs tempêtes qui vont du mauvais management dans certaines directions management aux guerres en coulisses entre les fortes têtes de l’institution. Les cinq candidats, qui mesurent pleinement les enjeux liés à cette haute fonction, ont activé leurs réseaux depuis plusieurs mois, dans l’espoir d’engranger le maximum de soutiens sur le plan diplomatique. Le soutien des pays détenant le plus de pouvoir de vote en fonction de leurs contributions financières, tels le Nigéria, les Etats-Unis, le Japon, l’Egypte, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Allemagne ou la Côte d’Ivoire, est indispensable dans une telle entreprise. Les compétences seules ne suffissent pas pour briguer le poste de président de la BAD. Il faut avoir de l’entregent et un carnet d’adresses bien fourni. Les candidats, qui en ont conscience, y vont de leurs stratégies pour gagner cette rude bataille sur fond de lobbying, de deals équilibristes parfois, d’arbitrages diplomatiques et de consensus.
La plupart des candidats à la présidence de la BAD sont des ‘’éminences’’ très avisées aux profils pointus et grands ‘’habitués’’ à la gestion des questions sur la finance mondiale. Mais que pèsent ces candidats sur le plan diplomatique et quelles sont leurs faiblesses ?
OUATTARA sponsorise Sidi Ould TAH soutenu par les fonds souverains arabes
Titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Nice Sophia Antipolis en France, le Mauritanien, Sidi Ould Tah, 60 ans, peut se targuer d’avoir plusieurs soutiens. Selon certaines indiscrétions, il a la confiance de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe, membres de la BAD, de plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire et le Bénin et de certains États européens qui n’ont pas indiqué la direction du vent. La candidature de l’ancien ministre des Finances mauritanien est quasiment portée par le président ivoirien, Alassane Ouattara, dont le carnet d’adresses dans le système financier international est impressionnant. Le président ADO est-il entendu par les dirigeants de la finance mondiale. Les temps ont changé et son écrin de leadership en a beaucoup pâti. Sidi Ould Tah a récemment reçu un autre appui de taille, celui de l’ancienne vice-présidente de la BAD, la tanzanienne Frannie Leautier, dont la sphère géographique, l’Afrique australe, a pourtant un candidat consensuel en lice. Une bataille rude par procuration constitue la lame de fond de cette élection. Alassane Ouattara joue des coudes. À quelles marges, les soutiens annoncés en faveur du mauritanien pourraient-ils influencer le vote ? Seul candidat de l’Afrique du Nord, qui envisage faire de la BAD, un levier plus efficace et plus proche des réalités africaines et mieux préparé ergote- t-on aux défis du futur.
Toutefois, beaucoup estiment que Sidi Ould TAH fait beaucoup de tapage autour de sa candidature, croyant même avoir remporté la bataille avant le grand soir. Il est pourtant encore loin du compte et devra manœuvrer fort pour obtenir les faveurs des poids lourds de l’institution comme le Nigeria et les Etats-Unis et du bloc anglophone incarné par l’Afrique australe, dans un contexte où la diplomatie mauritanienne est mise à mal sur le continent. Les récentes expulsions de migrants du territoire mauritanien a mis à mal les relations entre le pays du président Ould El Ghazouani et les Etats amis et voisins, à qui Nouakchott a dû fournir des explications. Cet antécédent pourrait nuire à l’image de Sidi Ould Tah glissent des sources autorisées.
En Afrique de l’Ouest, c’est l’ex-envoyé spécial du président de la BAD, chargé de l’Alliance pour l’Infrastructure verte en Afrique, le Sénégalais Amadou Hott, 52 ans, qui est dans la course. Nanti d’un DEA en Finance de marché et gestion bancaire, cet ancien ministre de l’Economie apparait comme le protégé du président sortant de la BAD. Si Amadou Hott a le profil de l’emploi, pour avoir occupé plusieurs fonctions à la BAD, sa candidature bute sur certaines réalités. Sa proximité avec Dr Adesina pourrait le desservir. Il est perçu, par certaines observateurs, comme le candidat de la continuité et non de la rupture. Pourtant sa trajectoire de banquier international respecté qui a travaillé dans le select milieu d’affaires anglophone, lui donne des béquilles solides. Cette familiarité d’avec le Président sortant pourrait aussi lui porter préjudice sur le plan diplomatique. Certains actionnaires non africains, qui n’ont pas eu une collaboration facile avec Adesina Akinwumi, ne vont certainement pas le porter en estime. Même s’il est soutenu par des milliardaires comme Aliko Dangote et Tony Elumelu, la candidature d’Amadou Hott, censée susciter de l’enthousiasme en Afrique de l’Ouest, semble ne pas emballer les Etats. Aucun signe ne montre qu’il a l’assentiment de certains pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Benin. Même son pays, le Sénégal, ne donne pas l’impression de soutenir sa candidature à bout de bras. Autre facteur de nature à défavoriser Amadou Hott : la rotation tacite du poste de Vice-Président prônée par les candidats d’Afrique centrale et australe. Ce principe pourrait bien prendre le dessus, surtout que le président sortant est issu de l’Afrique de l’Ouest. Dans l’histoire de la BAD, deux présidents issus de la même zone géographique ne se sont jamais succédé. A l’exception du scénario des années 70-80, où un Zambien avait remplacé un intérimaire malawite. S’il parvenait à s’adjuger tout de même le poste tant convoité, Amadou Hott ambitionne de replacer la BAD comme un acteur incontournable dans la réalisation des infrastructures sur le continent africain. Aussi veut-il renforcer le rôle de l’institution auprès du secteur privé.
De la cacophonie inefficace en Afrique australe, NDjaména éculée
Qu’en est-il du candidat de l’Afrique centrale, le Tchadien Mahamat Abbas Tolli, 46 ans, le deuxième postulant tchadien, après Kordje Bedoumra en 2015, justement face au nigérian Adesina Akinwumi à montrer de l’intérêt pour le poste de président de la BAD ? Une grosse artillerie en espèces sonnant et trébuchant avait été déployée par Feu le Maréchal Idriss DEBY ITNO pour soutenir la candidature de Kordjé Bedoumra. Sans succès. Le prétendant de l’Afrique centrale, seule partie du continent à n’avoir jamais dirigé l’organisation, croit que son étoile brillera. La vision de Mahamat Abbas Tolli est d’inscrire la BAD dans une dynamique davantage proactive dans le financement du développement. Il rêve par ailleurs de moderniser les instruments financiers de l’organisation, en développant des financements hybrides et en élargissant les sources de capitaux, s’il arrivait aux commandes.
Mais la tâche ne s’annonce pas si évidente pour l’ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, qui a pourtant des compétences avérées. Ce diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris n’est pas au cœur d’une diplomatie influente. Il n’apparait pas vraiment comme un favori, selon les confidences, dans la mesure où les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) ne comptent pas parmi les grands actionnaires de la BAD. La machine diplomatique de NDjaména est aphone, impuissante, éculée à quelques semaines seulement du vote. Malgré ses ambitions pour l’Afrique et le soutien du chef de l’Etat tchadien, Mahamat Abbas Tolli, aura du mal à rallier grand-monde à sa cause, dans un environnement financier où l’on ne badine pas avec les intérêts.
En Afrique australe, deux candidats se sont positionnés, alors qu’on s’attendait à ce que cette partie du continent parle d’une seule voix comme les autres. Il y a le candidat de l’influente Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Zambien Samuel Munzele Maimbo, 52 ans, jusque-là Vice-Président du budget, de l’examen des performances et de la planification stratégique de la Banque mondiale et l’ex- vice-présidente principale de la BAD, la Sud-africaine Bajabulile Swazi Tshabalala, 58 ans. Candidat officiel de toute une région, le Zambien Maimbo est présenté comme le grand favori. Son combat est de faire de la BAD, le catalytique du développement de l’Afrique, dans tous les domaines.
Il jouit de soutiens importants au-delà de la zone SADC. Il serait le préféré des pays comme les Etats-Unis, 2e actionnaire de la BAD et du Royaume-Uni. Au-delà du soutien de ces deux puissances, la règle tacite de présidence tournante, qui devrait logiquement profiter à l’Afrique centrale ou australe, le met sérieusement sur orbite. Mais la candidature pour la moins déconcertante de la Sud-africaine Bajabulile Swazi Tshabalala compromet un peu ses ambitions. Cette ancienne haut cadre de la BAD, dont le projet de briguer la présidence de l’institution n’est pas apprécié, va-t-elle désister à la dernière minute au profit du Zambien ? Bajabulile Swazi Tshabalala prétend vouloir prendre les rênes de la BAD, dans l’intention de la consolider avec des financements innovants pour révéler les défis multiples de l’Afrique.
Au fur et à mesure que l’échéance de l’élection s’approche, les tractations s’intensifient dans les coulisses, dans la quête de ralliements qui feront la différence dans la marche des candidats vers la présidence de la BAD.
A la lecture des forces en présence et des implications des différentes candidatures, tout pourrait se jouer entre Sidi Ould Tah, Amadou Hott et Samuel Munzele Maimbo dans les urnes. Toutefois, à défaut que le futur président de l’institution ne sorte de la région australe, cette dernière devrait être en principe le grand arbitre du jeu au finish. Cette élection pour remettre les clés à son 10e président sonne comme une rude bataille par procuration, inédite dans les annales de l’institution.
A PARAITRE DANS LE NUMÉRO SPÉCIAL HORS-SÉRIE BAD DE CONFIDENTIEL AFRIQUE DU 10 MAI 2025
Par Ismael AÏDARA (Confidentiel Afrique)