Lettre à la jeunesse de mon pays : Relèves-toi, Ousmane !
Par Bacary Domingo MANE
La jeunesse sénégalaise traverse, depuis des décennies, des moments difficiles rythmés par un chômage endémique. Une situation qui fait douter plus d’un et semble voler, à cette couche vulnérable, le droit de rêver. Le désespoir en bandoulière, elle caresse l’idée de baisser les bras, en pensant, à tort, qu’elle n’y arrivera pas. Mondeafrik a décidé d’engager une discussion franche avec Ousmane – nom de code de la jeunesse sénégalais – à travers une série de lettres, pour l’amener à prendre conscience de sa responsabilité dans le devenir de notre pays.
Je l’ai trouvé sur la plage, le regard plongé dans le vide. Le visage lisse, sans aucune ride, affiche, pourtant, une mine d’enfer. Seul face à l’océan et à lui-même, Ousmane – nom de code de la jeunesse sénégalaise – est réduit à une unité close, se parlant à elle-même, à travers une communication que l’on peut qualifier d’autiste. J’imagine le fourmillement des interrogations se bousculant dans ce cerveau de vingt-cinq lunes.
Marchant, tel un bohémien égaré, sur le sable fin et humide de cette plage de Diamalaye, mon regard distrait capture l’image de ce jeune qui a choisi l’isolement au vacarme de ses amis qui sont en train de se baigner. Ils rient et dansent. Leur joie est couverte du voile de l’insouciance. Pendant ce temps, l’horloge glisse lentement, emportant les secrets d’un océan agité.
La lueur brillante et rosée de l’aurore illumine une plage douce et immense, dans un insaisissable murmure des vagues dont le refrain d’écume caresse la berge imperturbable. La brise matinale cajole nos visages comme pour effacer l’étreinte de Morphée. Sur le sable encore frais, les empreintes éphémères de mes pas racontent l’instant, unique et sincère.
LE DETAIL QUI DILATE LA REALITE…
Il y a là quelque chose d’intriguant qui ne pouvait échapper à l’attention du regard espiègle, toujours attiré par le détail. L’intrigue nous entraine sur le terrain du détail dont l’essence est de dilater la réalité avant de la livrer aux questionnements.
Que fait-il ici à cette heure matinale ? A quoi pense-t-il ? Qu’est-ce qui le préoccupe ? Pendant qu’il est en train de s’interroger, des poissons audacieux, comme pour le narguer, sautent dans l’eau. C’est à cet instant que l’envie d’aller à sa rencontre nous traverse.
Après les salutations, j’invite le jeune homme à faire quelques pas avec moi pour admirer la beauté de la nature, avec cet océan qui s’étend à perte de vue et rappelle, à bien des égards, notre finitude.
CES DIPLOMES QUI ASSECHENT L’ESPOIR
Nous nous offrons une petite balade, le long de la place. L’envie de se confier était perceptible, après quelques questions. Ousmane m’apprend qu’il est titulaire de deux Master en Marketing/Communication et Ressources Humaines. Et qu’il cherche, depuis deux ans, en vain, du travail, après avoir trimé à avoir un stage.
Mon interlocuteur interrompt brusquement son histoire, le regard tourné vers l’océan, comme pour chercher des forces. Son silence est lourd de tristesse. Ousmane pense à son camarade de promotion qui a perdu la vie en haute mer, à bord d’une embarcation de fortune, sur le chemin de l’Espagne. Après un an de patience sans travail, il a décidé, à l’instar des milliers de jeunes sénégalais et africains, de tenter l’immigration. Malheureusement pour lui, l’aventure s’est transformée en tragédie. La liste de ses compagnons d’infortune ne s’arrête pas là. Il pense à Abou, qui s’est lancé dans un business avec ses petites économies, mais a fait fiasco au bout de quelques mois. Ses amis diplômés, Penda et Modou, s’adonnent aux petits commerces. Plus chanceux ? Sylvain est devenu un chauffeur de Jakarta et tente de survenir aux besoins de sa famille…
QU’EST-CE QUI N’A PAS FONCTIONNE ?
«Ma génération est-elle condamnée ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans ce pays, de l’indépendance à nos jours ? Pourtant nous avons beaucoup de ressources minières ?», me fait-il remarquer.
Après ces questionnements, Ousmane s’emmure, à nouveau, dans un silence éloquent. Il me regarde droit dans les yeux, puis baisse la tête, l’air mélancolique. J’ai compris que quelque chose était en train de se jouer et qui ressemble à la corde raide tendue au-dessus de l’abîme. L’irréparable peut arriver, en désespoir de cause.
COMME CES CERCLES CONCENTRIQUES …
Je lui donne un caillou et l’invite à le jeter dans l’eau et me dire ensuite ce qu’il observe. «La chute du caillou a produit des cercles concentriques», me répond-il. «Tu as raison, Ousmane. Prenons maintenant l’épicentre comme point de départ, l’on remarque que les cercles prennent du volume au fur et à mesure qu’ils s’éloignent du centre, n’est-ce pas ?». «Oui, mais où est-ce que vous voulez en venir, Monsieur ?», me demande-t-il. Je file, à présent, la métaphore : «ces cercles qui prennent du volume en s’éloignant de l’épicentre, Ousmane, représentent le mille et une possibilités s’offrant à toi, et par ricochet, à la jeunesse sénégalaise». «C’est de la philosophie, Monsieur !», me balance-t-il, après un sourire éphémère. Je le regarde, silencieux, d’un air médusé ! J’ai compris qu’il a besoin d’être rassuré. Puis, je remonte le long fleuve discursif pour le mettre en confiance :
APRES LE CREUX, L’ELEVATION !
Ousmane, tu es juste tombé, comme ces millions de jeunes, mais le temps est venu de te relever. Après le creux, c’est l’élévation ! A travers toi, la jeunesse doit se redresser avec dignité, honneur et fermeté. Elle doit apprendre de ses erreurs, ajuster ses plans et continuer à avancer. Ousmane, le succès n’est pas un chemin droit et facile ; il est plutôt semé d’embûches, et c’est ce qui le rend précieux et tentant.
Certes, vous traversez des moments difficiles, avec des obstacles en apparence insurmontables. Sans compter ces rêves brisés sur la pierre des défis économiques. Le chômage vous touche de plein fouet, et il est compréhensible que l’espoir s’amenuise.
Mais ce n’est pas une raison d’abandonner le navire aux courants marins. Vous êtes la force vive de notre nation. Le Sénégal sera ce que vous en ferez.
LE SENEGAL, UNE ŒUVRE D’ART
Ousmane, dis à tes camarades, que chaque épreuve est une opportunité pour rebondir, une chance inouïe de grandir et se surpasser. Vous n’avez pas le droit de fuir vos responsabilités. L’échec est un tremplin vers la réussite. Entre vos mains, vous jeunesse, le Sénégal doit devenir une toile que votre créativité transformera en gratte-ciels, pipelines, hôpitaux, amphithéâtres, écoles etc, bref en une cité épanouie où le vivre-ensemble est une précieuse matière première.
Il suffit de croire en vous pour déplacer des montagnes. Ousmane, cette jeunesse est capable de choses grandioses, bien plus qu’elle ne l’imagine. Qu’elle n’ait pas peur de l’échec, car il est le berceau du triomphe.
C’est sur ces mots que nous nous sommes quittés, avec la promesse ferme de continuer la discussion.
Bacary Domingo MANE