Sadio Mané : La revanche du corps réel
Il a cru devoir porter, sur ses frêles épaules, tout le poids de l’Equipe nationale, voire du Sénégal. Pour y arriver, il a fallu sortir de son corps réel pour s’introduire dans le corps sublimé (corps d’emprunt), celui de la performance. Et cela, au prix de tant de sacrifices, de renoncements et de privations.
Le corps réel (physique) est brimé, chahuté, abîmé, parfois humilié sur l’autel d’une jouissance éphémère cherchant, par tous les moyens, à mettre du baume au cœur des 17 millions de Sénégalais que le divertissement sauve, par intermittence, d’un naufrage social.
Une réjouissance à la saveur du pharmakon, acquise au prix d’une saignée individuelle d’un mortel qui se croit obligé de «soigner» et de sauver de la détresse collective les damnés du bonheur du désespoir. Ceux dont le rude quotidien dessine les contours d’un tableau sombre qui rappelle la réalité de la grisaille.
Architectes de la désillusion
C’est dans ces eaux troubles que le charlatan Kounkandé a pêché hier, en promettant de fendre la mer, et aujourd’hui, c’est un certain Karamba qui s’invite au banquet des crédules, en prenant l’engagement de ramener la Coupe du monde au Sénégal, grâce au pouvoir de ses djins. Tous brassent vent et poussière ; ce sont des architectes de la désillusion.
Les efforts, parfois surhumains du Nanthio (guerrier intrépide) fonctionnent alors comme une sorte de catharsis pour les âmes égarées ou perdues qui mettront entre parenthèse la dure et imposante réalité, le temps d’une victoire.
Adduction à la performance
Quel est le but de cette violence insensée imposée au corps réel ? Nous pensons au choc entre Sadio Mané et le gardien cap-verdien. Le pire a été frôlé. Comme si cela ne suffisait pas, Nanthio a continué à jouer, malgré la douleur. Certes, il a marqué un but aussitôt après, pour le bonheur de ses compatriotes, mais le corps réel lui, était triste ! La haine envers le corps réel peut se mesurer à l’aune de la quête perpétuelle de l’exploit du sportif de haut niveau. Sadio Mané est victime d’adduction à la performance, de l’ascension au détriment du corps réel qui se rappelle, de temps en temps (petites blessures) au bon souvenir de l’international sénégalais.
Quête d’une sensation forte, la douleur et la souffrance constituent une sorte de Pont-jetée pour arriver au bout de la performance. Le dépassement de ses propres limites, l’arrachement à soi, sont autant d’épreuves qui épuisent le corps réel dont la capacité d’encaissement est limitée dans le temps.
Le monde sportif est celui du spectacle, de la dramatisation et de la médiatisation. Il cultive l’excès dans la recherche de la performance.
Un corps soumis à la torture
Nanthio veut rester au sommet, en faisant parfois la sourde oreille aux appels du corps réel. Sa quête effrénée de la performance le place parfois dans une dimension ordalique. Le corps réel soumis à une torture inqualifiable n’en peut plus, c’est pourquoi il a imposé sa réalité au corps sublimé, au corps d’emprunt, celui de la performance.
C’est dans son lit d’hôpital, en regardant la coupe du monde à partir de la petite lucarne, que Sadio Mané mesure toute la dimension et l’importance du corps réel. Il apprendra désormais à respecter ce corps.
Bacary Domingo MANE(Mondeafrik.com)