Le Show-biz et ses loups
Par Baye Modou Sall, professeur de philosophie
« Pour savoir quelque chose sur les loups, ce n’est pas à eux qu’il faut vous adresser car ils ne vous diront qu’ils aiment manger les moutons, au contraire, ce sont les moutons qui sauront répondre à cette question, car le mouton sait mieux ce que c’est le loup que le loup lui-même. Pour un mouton, la réalité d’un loup ce n’est pas ce que le loup pense être, mais c’est ce que le loup lui fait. » Ces propos du philosophe Brésilien Rubème Alves sont révélateurs car en les transposant dans l’univers du show-biz sénégalais, ils indiquent la voie à emprunter pour comprendre les réalités de ce milieu, défini comme entreprise du spectacle. Mais, puisque tout spectacle est censé accroître l’apparence et l’illusion et décroître l’être et la réalité au point que le penseur Guy Debord écrit « le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant […], il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience. »[1] Ne soyons pas donc surpris que ceux qui tirent les ficelles dans ce milieu du show-biz soient faux, d’une fausseté crasse et bien organisée. Car étant habillés d’oripeaux avec un air goguenard à l’image de cette championne du baratin, de la faribole et des bêtises qui, avec un ton dédaigneux et visiblement orgueilleux ricane en sortant de sa bouche toutes sortes d’inepties (quand on te viole, c’est que tu es consentent), ils se sentent obligés d’utiliser toutes formes de subterfuges pour faire croire à tout un peuple que leur profession est donc digne puisqu’ils cherchent à promouvoir les talents cachés et réveiller les potentiels qui sommeillent en chacun des jeunes sénégalais aux ambitions de devenir des stars. Alors qu’en réalité, tout n’est que déchéance et perversité profonde dans l’échiquier des valeurs sénégalaises. Voilà pourquoi, pour qui veut connaître ces imposteurs, magouilleurs, profiteurs et quelque peu proxénètes (les loups) doit s’adresser aux Victimes (les moutons ou du moins les vrais).
Chers tenant du show-biz, souffrez que je vous le dise, vous n’êtes pas ce que vous pensez être. Vous n’êtes pas ces formateurs, ambassadeurs et innovateurs soucieux du développement de ce pays que vous prétendez être. Tout au contraire, vous tirez officieusement le pays vers le bas car on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Pour dire que vouloir développer ce pays et pervertir sa jeunesse en même temps sont deux charges opposées qui se repoussent et comme dit l’adage : « dis-moi quelle jeunesse tu as et je te dirai quel peuple tu seras… » Rassurez-vous car il ne s’agit ici pas de déclencher contre vous un flot dévastateur encore moins un tsunami d’opprobres comme c’est le cas actuellement sur les réseaux sociaux, mais juste vous rappeler à l’ordre afin que vous puissiez changer d’attitude et reprendre votre activité en sous-œuvre puisque depuis que votre entreprise tant décriée s’est éclose, tout est devenu lumière. Cela, parce qu’il paraît, après cette histoire de Miss Sénégal que beaucoup de jeunes filles sénégalaises pleins de rêves ont été exploitées à outrance, dupées, abusées, leur carrière hypothéquée, aujourd’hui huées et marginalisées sous l’autel pourtant de votre bêtise.
Au vu et au su des différentes réactions de personnes victimes de votre showbiz, on peut dire que votre entreprise a été et reste encore un immense cimetière où viennent s’enterrer la vie et la carrière de beaucoup de jeunes filles innocentes, excepté quelques rares personnes qui doivent leur digne réussite à ce milieu quoique les langues se délient encore autour de leur succès. Cette entreprise est vraiment d’après tout ce qui se dit pouilleuse, elle est une fosse septique remplie d’assoiffés qui servent et se servent de jeunes filles ignorantes et innocentes. Que de propositions indécentes, de la promotion canapé, du chantage, du harcèlement sexuel et quelques fois des menaces, tels semblent être les maîtres mots qui règnent dans ce milieu. Le tout couronné par ce secret de polichinelle autant dire cette pratique qu’on cherche à cacher, mais qui est connue de tous et qui n’attend qu’à être nommée : le proxénétisme ou la prostitution déguisée. Une telle pratique qui expose de jeunes filles à la merci d’hommes d’affaires ou autorités titulaires de chairs fraiches et spécialistes chevronnés en dialectique libidinale par l’entremise bien sûr des pourvoyeurs et pourvoyeuses de ce milieu en contrepartie de privilèges. Voilà ce qu’est le show-biz sénégalais dans sa définition la plus haute. Mais quand on considère comme dignes de mort ces personnes mafieuses du milieu qui exploitent des jeunes filles, de quelle peine doit-on infliger à ces hommes d’affaires et autorités considérés comme des modèles et chargés de mener le pays vers le bon chemin, mais qui traitent leur personne avec une estime quasi surhumaine et battent la forteresse de leur fierté en se glorifiant d’avoir couché avec telle Miss ou telle célébrité ?
De pareils hommes constituent vraiment un danger pour la société car tout autour d’eux n’est que perversité. Nul désir de venir en aide aux jeunes, d’accompagner ou de les financer n’émane pas d’eux. Ils sont des loups à la recherche de proies, mais se cachant toujours derrière le discours creux et vide d’aide à la jeunesse. De telles personnes doivent être identifiées et traduites en justice.
Malheureusement et malgré l’avertissement par les multiples cas et exemples servis aux jeunes filles du danger qui les guette dans ce milieu, certaines parmi elles continuent d’être naïves et à jouer les pucelles outragées. Ce qui semble finalement donner raison à ceux qui disent que toutes les filles ne sont pas des victimes dans cette affaire. Que certaines filles par soif de célébrité, de succès et en voulant coûte que coûte se faire un nom dans le show-biz, se laissent délibérément tenter par le diable du milieu dans le but d’atteindre leur objectif. Voilà une façon grotesque de viser la réussite en s’offrant sans vergogne le spectacle ridicule à la foire des « sans confiance en soi », des « sans valeurs », des débiles. Ce serait alors de la pure fumisterie que de vouloir les exempter de tout reproche. Ce serait également de la pure fumisterie que vouloir exonérer les parents complices de toute responsabilité, ceux-là qui jettent leurs enfants en pâture.
Disons-le à haute voix, rien dans cette vie ne vaut pas la peine de vendre son honneur et sa dignité. Il n’y a pas de prix pour les valeurs. On ne développe pas un pays en bafouant ses valeurs. Pour nos mœurs, retournons sur nos pas, retournons alors à nos valeurs cardinales pour lire notre avenir dans notre origine.
BIBLIOGRAPHIE
DEBORD Guy, La société du spectacle, Paris, Editions Gallimard, 1992.
Baye Modou Sall
Professeur de philosophie au Lycée de Bambey Sérère
sallbayemodou@gmail.com
[1] Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Editions Gallimard, 1992, p. 10.