CES JEUNES FERONT LA RÉVOLUTION
Dans un pays de 15 millions d’habitants où les jeunes représentent 54 % de la population, il est alors inutile d’indiquer l’enjeu que ces derniers constituent pour la présidentielle du 24 février 2019. L’histoire récente (2000 à 2012) a montré, chaque fois que les jeunes s’impliquent dans la campagne, ils parviennent facilement à faire pencher la balance dans le sens souhaité.
Mais cette jeunesse numériquement plus importante que toutes autres couches de la population sénégalaise, est-elle réellement consciente du poids qu’elle représente ? Se mêle-t-elle de ce qui le regarde, à savoir la politique ? Les régimes qui se sont succédé ont-ils façonné le citoyen de demain, prenant la juste mesure de ses responsabilités dans la construction d’un Etat démocratique ? Observe-t-on les mêmes comportements chez la jeunesse politique et citoyenne ? Y’ a-t-il des signes avant-coureurs qui présagent d’un réveil salutaire de cette jeunesse qui doit prendre le pouvoir ?
Ce questionnement démontre, à suffisance, de la complexité du sujet, même si le constat nous amène à admettre que cette jeunesse, dans son écrasante majorité, est dans une posture passive qui pense à tort, que la chose politique est l’affaire des aînés, des papis et des grands-parents.
– De jeunes candidats pas comme les autres –
La prochaine campagne électorale, alignera certainement des candidats jeunes, en dessous de la barre des 50 ans (42, 44 ans). Et ce n’est pas une nouveauté, puisque les précédentes présidentielles (de 20O7 à 2012) ont aussi enregistré des candidatures jeunes, parfois de la société civile. Mais leurs messages avaient moins de résonnance face à ceux des vétérans qui ont blanchi sous le harnais d’une politique populiste privilégiant le folklore au discours programmatique, avec une vision clairement définie. Ce sont de jeunes candidats qui, pour la plupart, sont issus des partis politiques ou des flancs de formations politiques.
Le rendez-vous du 24 février 2019, dresse un profil intéressant de jeunes cadres, issus de la société civile (qui se sont réalisés en dehors de la politique) et dont le discours antisystème est très marqué. Ce sont des jeunes décomplexés qui affichent leur préférence nationale en matière de développement et leur panafricanisme, avec cette volonté de «brûler» le dernier symbole d’une colonisation opportuniste et cancérigène : le franc Cfa. Leurs discours parlent aux populations, dans un wolof châtié, grâce à une communication maîtrisée qui intègre dans son message les préoccupations de l’écrasante majorité. Le marketing politique, qui vise l’efficacité, nous enseigne que pour qu’un discours pénètre les masses, celui ou celle qui le prononce doit réfléchir en intellectuel et parler en homme du peuple.
– Ils veulent redonner au Sénégal sa grandeur –
Ces jeunes candidats servent un discours de rupture, avec comme finalité un Sénégal qui retrouve sa grandeur maintenant (greatness now). Mais est-ce que cela (le discours) emballe les nombreux jeunes en âge de voter ? Les rêves de ces derniers sont-ils pris en compte ? Comment faire entendre raison à ces jeunes qui pensent à tort, que leur Eldorado à un nom : l’Europe, l’Amérique et l’Asie ?
Peut-être que le fameux « Gueum sa bopp » (avoir confiance en soi) va, enfin, titiller leur orgueil. Mais une fois que cela est dit, qu’elle vision mettre en œuvre pour créer les conditions d’un sursaut permettant une éclosion d’un esprit entrepreneurial chez cette jeunesse pleine de créativité ? Ce déficit de vision claire pour la prise en charge de cette jeunesse a caractérisé tous les régimes, de Senghor à Macky Sall.
La réponse servie par l’actuel président, aux fins de faire face à cette question de l’employabilité des jeunes, ne semble pas pertinente, en dépit des agences mises en place, pour la prise en charge de leurs préoccupations. Non seulement l’offre n’est pas adaptée à la demande – nous ne sommes pas sûrs que des enquêtes ont été menées auprès des jeunes pour détecter leurs vraies préoccupations – puisque les politiques ont réfléchi à leur place. De plus, l’initiative de création de ces agences a souffert du péché mignon des hommes politiques qui, une fois au pouvoir, songent d’abord et avant tout à récompenser les militants et les parents proches. Du coup, l’écrasante majorité des jeunes est larguée et laissée à son sort. Sa dernière trouvaille – pour ne pas dire sa DER (Délégation à l’emploi rapide) – confirme la règle et renseigne sur l’échec des politiques des emplois au Sénégal, de l’indépendance à nos jours. Rien de solide ne se construit dans l’urgence, à moins d’avoir des visées politiciennes.
- L’erreur à ne pas commettre –
Ces jeunes candidats ne doivent pas commettre l’erreur des vétérans qui se sont substitués à la jeunesse, en décidant à sa place de ce qui est bon pour elle, sans même avoir la modestie de lui donner la parole. Pour une communication politique efficace, il faut inverser la perspective : imprimer l’offre du candidat sur la demande de cette jeunesse qui saura, mieux qu’un politicien prétentieux, exprimer ses maux et donner les clés de solutions.
La jeunesse apolitique constitue l’écrasante majorité des jeunes en âge de vote, c’est pourquoi tout candidat qui veut être élu au soir du 24 février 2019, doit forcément trouver un message qui leur parle. Mais elle souffre d’un déficit de citoyenneté et l’on se demande quel est le contenu de l’éducation civique enseigné dans nos écoles. Forme-t-on des citoyens de demain ayant une claire conscience de leurs devoirs envers la République ? Le manque de vision de nos gouvernants, en la matière, n’est-elle pas volontaire, pour ne pas avoir en face des citoyens défenseurs de la République et de ses valeurs ?
Les choses sont en train de changer sans en avoir l’air. Le mouvement du 23 juin 2011 a démontré que chaque fois que cette jeunesse se réveille, elle sait trouver les ressources nécessaires pour combattre l’injustice sociale. Les réseaux sociaux sont en train de tisser la toile de l’indignation et de la contestation, en dépit des stratégies de contre-feu allumées par les spin doctors pour contenir la déferlante. Ajouter à cette ambiance de réveil, le discours des rappeurs dénonçant des pratiques qui sapent les fondements de la République.
– Au premier rang de la responsabilité citoyenne –
Certes, le défi de prendre le flambeau ne saurait être relevé si cette jeunesse perd de vue qu’elle a le devoir d’occuper le premier rang de la responsabilité citoyenne. Cela suppose un sens élevé du sacrifice, mettant toujours en avant les intérêts des populations. D’ailleurs, Frantz Fanon ne lui donne aucun choix, lorsqu’il affirme, avec pertinence, que chaque génération à une « mission à remplir ou à trahir ». C’est parce qu’au tribunal de l’histoire, on jugera sur pièce, que chaque génération se fera le devoir de « bâtir ses pyramides », comme le disait fort bien le professeur Joseph Ki Zerbo.
Mais cette responsabilité citoyenne a aussi ses exigences. D’abord la hauteur de vue ou d’esprit. Le regard prospectif s’affranchit toujours de l’appât du présent et du gain. Tel l’intellectuel organique d’Antonio Gramsci debout dans sa tour de contrôle, cette génération, a le devoir de jouer le rôle d’avant-garde de la société : lutter pour la justice sociale, la transparence dans la gestion des deniers publics, servir de bouclier contre tout corps étranger qui veut saper l’unité nationale…
C’est faire preuve de lâcheté, en s’installant confortablement dans l’oasis de l’insouciance au moment où le désert de l’impunité, de la corruption, de la mal gouvernance, du crime organisé, du pillage systématique des deniers publics, de l’agression des valeurs… avance inexorablement.
– Exit la jeunesse politique –
Pour créer les conditions d’un big bang générationnel, le pays ne saurait compter sur sa jeunesse politique, trop vieille pour assurer la relève. Aussi responsable du passif d’une certaine classe dont elle a intériorisé les défauts, les tares, pour ensuite les ressasser et les reproduire à la moindre occasion. Le ver est malheureusement dans le fruit d’un système verrouillé par des adultes qui en gardent jalousement le code secret.
Tout comme leurs aînés, le champ de vision de ces jeunes politiciens se réduit comme une peau de chagrin sous le soleil des désirs futiles. Ils se contentent de postes, de quelques billets de banque, de séjours à l’hôtel… et leur horizon devient ainsi le cimetière de grandes ambitions qui auraient pu transformer le monde. Comme si ces jeunes ont été formatés de manière à tuer en eux ce désir d’aller toujours de l’avant et de faire du monde un lieu où les générations montantes retrouveront enfin cette envie de vivre. Ils n’ont jamais cru au libre arbitre, préférant agir sous la dictée d’adultes aveuglés par la quête des honneurs et des privilèges.
Eux, ne feront pas la révolution …mais les autres, oui ! A moins que…
L’enfant vient de pousser un éclat de rire. Comme Zarathoustra. Il a le goût du danger dans la gorge.
BACARY DOMINGO MANE
NB: Texte publié dans l’ouvrage collectif #Enjeux 2019- 2024, Sénégal, réflexions sur les defis d’une émergence, ed l’Harmattan, 2020