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Les « pires élections » en Centrafrique?

Le scrutin présidentiel centrafricain, dont les résultats ne devraient pas être connus avant le 4 janvier, replace le pays dans d’anciennes dynamiques qui semblaient révolues avec l’élection de Faustin-Archange Touadéra en 2014, selon les analystes.

Bangui est calme depuis le scrutin du 27 décembre dernier même si une vaste coupure d’électricité plonge la capitale centrafricaine dans le noir total.

Plusieurs dispositifs sécuritaires sont visibles dans la capitale centrafricaine, avec des patrouilles militaires dans les principales artères.

Ailleurs dans le pays, les troupes rebelles continuent d’attaquer les positions de l’armée centrafricaine. Elles ont notamment repris la ville de Baboua à la frontière entre la Centrafrique et le Cameroun. Des combats ont également lieu dans les villes de Grimari ou de Getwa.

Une ambiance particulière pour marquer la fin d’une année 2020 qui restera dans les annales.

Mais pas un scénario inconnu pour les Centrafricains.

« Cette élection souligne à quel point la situation n’a guère progressé en Centrafrique malgré une implication massive de la communauté internationale. Les élections ont toujours été un moment de violence dans l’histoire du pays, les coalitions se forment de manière extrêmement ponctuelle à la faveur des élections de manière à changer l’équilibre des forces, les chef d’Etat s’appuient toujours sur des forces étrangères qui jouent le rôle de garant militaires du pouvoir pour plutôt que d’essayer de gagner l’appui de la majorité de la population », observe Marie-Joëlle Zahar, professeure de Sciences Politiques à l’Université de Montréal.

Une coalition d’une dizaine de candidats de l’opposition, la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), a demandé l’annulation des élections présidentielles, affirmant qu’elles ont été sabordées par l’insécurité et truffées de fraudes.

Elle a notamment cité les attaques perpétrées dans plusieurs villes du pays au moment du scrutin. Par exemple, les villes de Bouar dans l’ouest, où des tirs ont été entendus toute la matinée le jour du scrutin, ou encore la ville de Boali, fief du Premier ministre, où le vote n’a pas pu avoir lieu.

Selon Nicolas Tiangaye, porte-parole de l’opposition et candidat à la présidentielle, un tiers des électeurs n’ont pu participer au scrutin ce qui rendrait l’élection « non inclusive ».

La coalition des candidats de l’opposition a qualifié le vote de mascarade et a appelé à la tenue de nouveaux scrutins. Ils affirment que le vote n’a pas eu lieu dans plus de 2100 bureaux de vote, ce qui représente plus de 621 000 électeurs ou un tiers de l’électorat.

Et dans les régions où le gouvernement et les Nations unies affirment que le vote a eu lieu, l’opposition soutient que seuls quelques isoloirs ont été ouverts et qu’un taux de participation plutôt faible a été enregistré.

Ils prétendent également que là où les conditions de sécurité ont permis un vote efficace, notamment à Bangui, des incidents massifs de fraude électorale ont été enregistrés, qui ont tous jeté une ombre sur la légitimité du scrutin.

Selon le ministre de l’administration territoriale, Augustin Yangana-Yahote, sur un total de 71 sous-préfectures, 29 n’ont pas voté. Six autres sous-préfectures n’ont réussi qu’un vote partiel, a déclaré à l’AFP Theophile Momokoama, le rapporteur général de l’Autorité électorale nationale (ANE).

A cela s’ajoute la situation d’en partie de la la diaspora centrafricaine.

« Une majorité de la communauté musulmane de Centrafrique est toujours réfugiée à l’extérieur et n’a pas pu participer à ce vote, alors que depuis 2014, on parle de la nécessité pour ces centrafricains de pouvoir exprimer leurs voix », explique le Pr. Zahar.

Des critiques balayées par le gouvernement.

Le porte-parole du gouvernement, Ange Maxime Kazagui, a déclaré que les élections étaient « crédibles, engagées et populaires » et que les Centrafricains avaient défié la violence et montraient leur « ferme volonté d’aller voter ».

Un proche du président Touadéra, joint par notre correspondant, a qualifié les appels de l’opposition à annuler le scrutin de « ridicules ». Selon lui, cette position « révèle un aveu de faiblesse de la part de la COD 2020 ».

Mais pour les observateurs le scrutin présidentiel centrafricain est loin d’avoir été exmplaire.

« Ces élections ont été les pires de l’histoire de la République centrafricaine en termes à la fois d’absence d’inclusivité, puisqu’une très grande partie de la population centrafricaine n’a pas pu participer et une très large portion du territoire a été laissée pour compte. Dans ce contexte là, on pouvait s’attendre à ce qu’il y ait des contestations, ce n’est que d’ailleurs que le début », déclare le Pr. XXXXXX, constitutionnaliste.

« Lorsque je regarde ces élections, ce que je vois c’est un pays qui revient à toutes ses mauvaises habitudes. Cela prouve à quel point il est difficile de transformer un système dans lequel différents groupes utilisent la violence et les urnes pour avancer leurs propres intérêts plutôt qu’un bien collectif », analyse le Pr. Zahar.

Fallait-il reporter le scrutin ?

Compte tenu du contexte sécuritaire tendu, certains candidats de l’opposition avaient appelé au report du scrutin. Un scénario difficilement envisageable pour le Pr. Zahar.

« On ne reporte pas les élections en général parce que la préparation d’un scrutin est très compliquée et très couteuse, tant pour l’Etat centrafricain qui n’a pas des moyens énormes que pour la communauté internationale qui s’était investie. Il était donc important que ce scrutin ait lieu et un report voudrait dire que certaines des préparations auraient été à fonds perdus. »

Mais le maintien du vote pose maintenant d’autres questions.

« Il faut analyser où sont situés les bureaux de vote qui n’ont pas pu voter. Est-ce sur l’ensemble du territoire ou dans certaines régions, qui sont les champions politiques dans les régions où les bureaux de vote auraient été fermés, était-ce des endroits où on pouvait anticiper une victoire du candidat de l’opposition ? Tout cela va être important pour la suite des choses », déclare le Pr. Zahar.

La question la plus pressante est celle de la légitimité du vainqueur d’une élection qui n’a pu se tenir que sur une fraction du territoire.

« Qui que ce soit le vainqueur des urnes, dans ces conditions il verra sa légitimité régulièrement mise en cause », estime le Pr. Jean-François Akandji-Kombé.

 

Peut-on annuler l’élection ?

La coalition de l’opposition a demandé l’annulation du vote et la réorganisation de nouveaux bureaux de vote.

« Ce qui est prévu par la Constitution et le Code électoral c’est l’existence d’une période de contentieux électoral entre les deux tours. D’ailleurs, les résultats ne seront publiés par la Cour constitutionnelle qu’après avoir vidé le contentieux. Donc les arguments qui sont en train d’être développés par l’opposition, y compris les arguments en faveur de l’annulation, seront présentés à la Cour constitutionnelle », explique le Pr. Akandji Kombé.

Les exemples d’autres pays en conflit comme l’Afghanistan, penche non pas pour une annulation pure et simple des élections mais l’organisation de scrutins partiels dans les régions où le vote n’a pu se tenir normalement, pointe le Pr. Zahar.

« Dans plusieurs autre pays, mais la Centrafrique n’a peut être pas le moyen de le faire, on permet que le vote ait lieu à nouveau dans les bureaux dans lesquels il y avait eu des problèmes pour permettre aux citoyens d’exprimer leurs voix », dit-elle.

Quel avenir pour la Centrafrique?

« La question est de savoir si le cycle de violence va être doublé par une profonde crise politique », déclare Marie-Joëlle Zahar.

« Comme on le voit depuis 2014, chaque crise fait l’objet de tractations entre des élites qui au lieu de régler les problèmes de fond comme la question de l’identité centrafricaine ou le contrat social, finissent par opérer une répartition des postes de pouvoir entre les différents leaders qui se mettent à la table et comme il y a toujours des mécontents, ceux-ci initient le prochain cycle de violence », décortique l’analyste.

Les résultats définitifs des élections sont attendus pour le 19 janvier. S’il n’y a pas de vainqueur incontestable au premier tour, un second tour aura lieu le 14 février.

Le président sortant, Faustin-Archange Touadéra, 63 ans, est fortement favori pour remporter un second mandat. bbc

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