Pourquoi Sonko est une cible privilégiée
Le leader de Pastef les patriotes, Ousmane Sonko, est en train de recevoir une volée de bois vert, ces temps-ci, de la part des tenants du pouvoir qui ne ratent aucune occasion pour l’attaquer. Il est l’adversaire politique à abattre du fait de sa position confortable dans les sondages. Mais au-delà de sa personne, nous tenterons d’expliquer pourquoi l’image de l’adversaire politique, en général, est négative. Pourquoi ce dernier fait-il peur ? Quels sont les leviers et les limites de cette image subversive ?
La politique n’est pas un jeu d’enfant, surtout quand elle se drape dans son manteau subversif. Tout ou presque rappelle l’affrontement. Même quand les politiques se rendent la politesse, il y a, comme qui dirait, de la rouille sous le vernis, et la parole mielleuse coule sous l’effet de la salive venimeuse. Tout cela tient du paradoxe de la politique qui se veut le réceptacle de l’intérêt général, mais encourage plus le positionnement individuel, sous le mode de la négation de l’autre. Même les « camarades » de parti qui se congratulent, avec le faux sourire en bandoulière, sont dans une logique de rivalité.
Inutile de souligner qu’en politique, l’adversaire porte toujours ombrage. Ici la question de l’altérité est résolument inscrite dans une logique de compétition, parfois malsaine, où l’égo déploie ses grandes ailes de protection du territoire personnel. Ce n’est alors pas un hasard, si l’adversaire politique est mis en compote, animalisé, cannibalisé et chosifié. A dire vrai, il n’a jamais bénéficié d’une image positive, en dépit des « convenances » du « politiquement correct », marque indélébile d’une hypocrisie contagieuse.
La « fatwa » lancée par les tenants du pouvoir contre Ousmane Sonko trouve, en partie, son explication dans la représentation que l’on se fait de l’adversaire politique en général. Il a toujours été perçu sous le prisme de la menace individuelle et collective. Celui qui vient, tel un bulldozer, « souffler » ces « abris » provisoires, mais très confortables pour les hommes et les femmes du système. Lequel fonctionne sous le mode d’une société fermée, repliée sur elle-même, et ne supporte pas l’audace du regard impénitent qui veut changer le monde. Plus ses compatriotes feront de la place dans leur cœur pour l’accueillir, plus l’adversaire politique sera l’objet d’attaques à hauteur de sa cote de popularité. Parce qu’ils craignent pour leur existence, leur liberté et leurs biens, que les « liquidateurs » d’adversaires politiques, se montreront plus intolérants, plus orduriers. L’injure à la bouche, ils propagent le venin de la haine, pas pour le bien de leur mentor, encore moins, pour celui du peuple, mais pour leur propre confort.
Stratégie de la déshumanisation
La stratégie déployée contre l’adversaire politique, celle de la dévalorisation de la personne et la vilénie, montant en flèche, atteindra le pic de la déshumanisation. Et tout cela est encouragé par certains médias qui pensent, à tort, que la bataille pour l’audimat passe nécessairement par la bagarre et non le débat. Cette attitude est basée sur une fausse appréhension, une croyance « artificielle » qui insère l’altérité dans le moule de la malveillance, avec, in fine, cette vérité absolue : « C’est mon adversaire, de toute façon, il ne veut que mon malheur !». Du point de vue de la représentation, les spécialistes de la communication politique, à l’image de Jean-Paul Gourévitch, voient trois figures de l’adversaire politique.
Les trois figures de l’adversaire
L’adversaire politique est d’abord montré sous la figure du masque, c’est-à-dire quelqu’un qui n’avance pas à visage découvert, mais qui se cache plutôt derrière une image rassurante. A son sujet, on dira : «Vous vous trompez sur sa vraie nature… ». L’adversaire politique, c’est l’homme ou la femme qui avance masqué, qui cache son jeu ; c’est le renard qui utilise la ruse et l’habilité pour se tirer d’affaire.
Ensuite, il apparait sous celle (figure) du bestiaire : l’adversaire qui vous combat ou que vous combattez est une véritable bête. Le recours aux animaux de la jungle pour le caricaturer, vise à le livrer aux rieurs, à en faire la risée dans le but de le déstabiliser. Ce n’est pas un hasard, lorsque Léopold Sédar Senghor «baptise» Abdoulaye Wade «Laye Ndiombor» (le lièvre).
Enfin, la troisième et dernière figure de l’adversaire politique, c’est celle de la représentation réelle. La photo, la vidéo, l’accolade suspecte, la participation à une manifestation ou le document compromettant, vont servir de preuve tangible pour mettre à terre son adversaire. Ce procédé est utilisé par les tenants du pouvoir dans leur combat contre Sonko, avec une vidéo virale qui a enflammé la toile, il y a quelques semaines. De même que cet article écrit par une soi-disant journaliste britannique (AfricaCheck prouve que c’est un faux) sur l’affaire Tullow Oil et dans laquelle serait impliqué Ousmane Sonko.
Leviers et limites de l’image subversive
En effet, l’utilisation de l’image subversive a ses leviers, mais aussi ses
limites. Des dossiers compromettants exhibés contre l’adversaire
politique, vont le rendre vulnérable et inciter les médias à fouiller dans le
passé du mis en cause. Son image ainsi écornée peut entraîner une chute
momentanée dans les sondages, plus précisément au niveau de la cote de
popularité et des intentions de votes. Mais cette tentative de «
destruction massive » de l’adversaire politique ne profite pas forcément à
l’auteur des hostilités, en termes de report des votes. En clair, il est
difficile de faire rebondir une image négative vers une image positive.
Bacary Domingo MANE