DECRYPTAGE DU DISCOURS DE MACKY SALL : La forme plutôt que le fond
Le président de la République, Macky Sall, s’en est bien tiré, avec son message à la Nation du 31 décembre dernier. Nous nous sommes intéressés, en tant que spécialiste de la communication politique, plus à la forme qu’au fond du discours. Son port vestimentaire, son attitude face au prompteur, sa gestuelle, le débit, en somme sa communication non verbale, ont aiguisé notre curiosité. Sans oublier la «concision» du discours qui a duré 15 minutes.
En communication, ces éléments sont
capitaux pour la compréhension du discours, puisqu’ils en constituent le cadre.
Ce dernier occupe une place importante dans l’exercice discursif, puisqu’il
détermine fondamentalement, dans nombre de cas, l’issue du discours. Comme si
l’orateur livrait un combat contre un inconnu pour convaincre son auditoire.
Rien d’étonnant, si le Président Macky Sall vacille entre trois formes de
discours : argumentatif, en essayant de prouver que le FONSIS et FONGIP, « en
mobilisant des ressources additionnelles, renforceront les capacités
d’intervention de l’Etat dans les investissements d’intérêt public… » ;
explicatif, en analysant en quoi « la gestion vertueuse des affaires publiques,
tout comme la démocratie et le respect de l’Etat de droit, est plus que jamais,
une exigence citoyenne » ; enfin injonctif, en « forçant » ses interlocuteurs à
passer à l’action en leur demandant de « rester mobilisés, parce que nous
n’avons pas encore fini de solder notre passif… »
Au plan physique, le Chef de l’Etat nous est apparu sous des traits du « cadre
» avec son costume, sa cravate, sa montre et ses verres correcteurs. C’est
l’image du technocrate qu’il a servi à ses compatriotes. Son pendant (de cette
image) dans le texte, ce sont les données chiffrées qui viennent appuyer son
argumentaire, lorsqu’il a voulu expliquer, par exemple, aux Sénégalais le
passif de la dette.
Sa station debout et la montre attachée au poignet gauche, viennent renforcer
cette image de technocrate qui porte l’efficacité et le dynamisme en
bandoulière. Inutile de vous dire que le chef de l’Etat exhibe ainsi sa «
jeunesse ». L’image du technocrate est doublée de celle du leader de charme.
Quant à son attitude face au prompteur (écran sur lequel défile le texte du
discours), le souci des conseillers en communication semble être cette volonté
de montrer la puissance du personnage, avec une image légèrement en contre
plongée. Volonté de montrer le Président dans sa corpulence « naturelle » ? La
contre-plongée renvoie à l’autorité et à la puissance. Peut-être une manière de
rappeler à ceux qui se plaisaient à écorner son image, qu’il est et demeure le
chef. Seulement, le problème avec cet angle de prise de vue, c’est qu’on a
l’impression que le Président regarde les Sénégalais par-dessus la tête, et non
droit dans l’œil. Comme si le prompteur est décalé légèrement de l’axe du regard
de ses compatriotes. Peur de croiser leur regard ? Et cela atténue,
malheureusement, cette impression de sincérité, cette volonté de parler
franchement à son peuple.
Nous avons aussi remarqué un débit lent et un timbre de voix monocorde ; aucun
souci de variation de la voix pour toucher la sensibilité de l’interlocuteur.
Et pourtant les occasions n’ont pas manqué pour moduler la voix en fonction des
sujets soulevés. Il n’a pas retenu la leçon d’Arthur Miller que le politique
est un comédien qui doit trouver dans son discours le pôle magnétique qui
unifiera un public atomisé, en suscitant l’individualisation émotive.
Pour ce qui est de la communication non verbale, l’on a noté le souci de varier
les gestes. La première image qui apparaît à l’écran, c’est celle d’un chef
d’Etat posant les mains (paumes cachées) sur le pupitre. Comme s’il était en
train de chercher un appui. Mais, j’ai envie de savoir qu’est-ce que le chef
dissimule, ce qu’il n’a pas voulu dire aux Sénégalais, en cachant ses paumes ?
Avec ses paumes en supination (tournées vers le ciel), Macky Sall a adopté une
posture de prière, avec les mains en offrande, lorsqu’il évoque la mémoire de
nos illustres disparus. «Puissent les valeurs élevées d’amour patriotique, de
culte de la paix et de la fraternité humaine qu’ils ont incarnées… », dit-il.
Le président de la République s’est aussi adressé à ses compatriotes en
soulignant son discours d’une main ouverte. Mais, je ne sais pas trop s’il a
donné sa parole ou imposé son point de vue. La réponse est sûrement dans
l’indexe.
Il a fait usage des mains en opposition (les paumes face à face), comme s’il
voulait s’imposer une limite à ne pas franchir. D’où ce souci constant de
contrôle de soi. La gestuelle est mesurée pour renvoyer l’image de l’autorité et
de la sérénité. En plus, le Président Macky Sall a utilisé ce qu’on appelle les
doigts en faisceau, qui renvoient à la personne méthodique, mais parlant au nom
d’un groupe. Comme s’il se faisait le porte-parole de chacun d’entre nous :
«nous avons montré que ce qui nous unit, est plus fort que ce qui nous divise…
».
Puis enchaîne avec le point fermé pour montrer la détermination du peuple à
aller de l’avant. Dans la même veine, il utilise les inducteurs (le fait de
faire travailler une main, l’autre restant scotchée sur la table) lorsqu’il
demande aux Sénégalais de « rester mobilisés parce que nous n’avons encore fini
de solder le passif… ». Sa main gauche est scotchée sur le pupitre et utilise
la main droite comme inductrice. Nous sommes en présence d’un individu qui fait
appel à sa raison sur une question qui exige une réaction logique, celle de
l’épongement de la dette : « Restons mobilisés, parce que nous n’avons pas
encore fini de solder notre passif de ces dernières années, avec un cumul de
dettes de 3041 milliards de fcfa, dont 700 milliards au titre de la dette
intérieure », dit-il.
En outre, le réalisateur nous montre le Président en plan rapproché, lorsqu’il
s’est agi de parler des inondations. Il accentue son intimité, comme pour
prendre la mesure de l’ampleur des dégâts de ce fléau. Le réalisateur a
maintenu cette posture tout le temps que Macky Sall a soulevé les sujets
relatifs à la demande sociale : l’électricité, loyer etc.
Evoquant la question du contrat de confiance : (« J’ai engagé avec vous un
contrat de confiance basé sur la bonne gouvernance.. ».), je n’ai pas compris
pourquoi le réalisateur est revenu au plan initial où le Président semble
observer une certaine distance avec le peuple. Il y a visiblement un problème
de cohérence, pour ne pas dire, de dissonance, entre la posture et le discours.
A dire vrai, l’on ne sent pas le Président dans cette relation de contrat de
confiance.
Or, ce dernier signifie rapprochement, mis en commun… D’où toute l’utilité du
plan rapproché, comme s’il venait à la rencontre des Sénégalais. Je crains
qu’il ne viole en premier les termes du contrat. En plus, je m’attendais à voir
le Président se donner la main, pour prouver que nous sommes dans une relation
de contrat. Certes, le président a montré, en fermant le poing, sa
détermination à « remplir fidèlement ce contrat » et à ne pas se « détourner de
l’objectif de la bonne gouvernance ». Mais cette dissonance, qui aurait pu être
évitée, constitue une sorte de tache noire sur un dispositif communicationnel
qui tient, malgré tout, la route.
Bacary Domingo Mané