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CORONAVIRUS ET HUMANITE : L’«insignifiante» signifiance de l’homme

Par Pr Alassane Kitane

Nul ne peut se réjouir d’un malheur qui le frappe en même temps que l’humanité tout entière, mais cette pandémie de coronavirus a au moins, entre autres intérêts, celui de nous rappeler notre identité biologique. Nous sommes des êtres vivants, tirant nos ressources vitales d’une petite et fragile planète où la vie s’est efforcée depuis plusieurs millions d’années à se frayer un chemin pour persévérer. Nous ne sommes qu’une partie des innombrables ramifications de cette vie, et ce, même si notre orgueilleuse mégalomanie tend à nous le cacher. La preuve : un fragment infinitésimal de cette Vie est venue perturber notre vie ! La vie n’est pas seulement humaine, elle ne nous appartient guère ; au contraire, c’est nous qui lui appartenons : nous n’en sommes que des supports. Nous ne faisons qu’entretenir quelque chose qui s’est arrogé le droit de loger en nous ; nous vivons pour la Vie, pas pour  nous. Notre cadavre sera transformé en vie dès que nous serons mis sous terre. De notre vivant déjà, notre organisme est squatté par d’innombrables parasites. Pourquoi tant d’insolence alors ?

« L’âme qui git dans le corps d’un ver de terre est aussi resplendissante que celle d’une princesse » : cette parabole d’origine hindoue n’est pas l’apologie du ver de terre, c’est plutôt un message d’humilité et de convivialité adressée à l’homme. La convivialité, ce n’est pas seulement un mot qui signifie la disposition ou le comportement consistant à mettre à l’aise les personnes qui viennent de l’extérieur, c’est bien plus : c’est une culture ! Il faut emprunter à l’informatique le sens du mot convivialité : « facilité d’usage d’un ordinateur ». Chacun de nous s’emploie à payer cher l’ordinateur ou le smartphone qui lui ressemble le plus, c’est-à-dire qui lui est familier. Et bien, puisqu’on ne peut pas attendre des autres qu’ils se réduisent à nous servir d’usage, la convivialité que nous inspire l’ordinateur est avant tout l’amabilité en toute circonstance. Faire preuve d’amabilité envers autrui, c’est découvrir sa propre humanité en découvrant la sienne. Car l’amabilité est un refus de la suffisance, de l’orgueil ; c’est la prise de conscience de l’existence indispensable de l’autre dans ma vie. Un visage fermé, c’est comme un smartphone planté : la communication est rompue. Or sans communication, il n’y a ni échange ni culture.

La seule façon que nous avons de nous familiariser avec autrui, c’est de l’accepter dans sa différence. La convivialité, c’est la clé du monde, la clé qui ouvre l’univers de l’autre, car elle transcende la peur et la haine de l’autre. Du personnel médical cubain est arrivé en Italie, pays en détresse. Des émigrés sénégalais donnent du sang pour sauver des vies dans ce pays où les sportifs africains sont parfois victimes de cris de singe racistes. La Chine lointaine envoie plus d’aide à ce pays que les Européens si proches ! Où est la toute-puissante Europe pendant ce temps ? L’économie n’est certainement pas ce qui va sauver ce pays, c’est plutôt l’humain. Nous ne l’avons peut-être pas remarqué, mais ce n’est point une bombe nucléaire qui menace l’humanité, c’est une toute petite « bête » : corona. Corona n’est pas seulement venue nous rappeler notre fragilité, elle est venue nous réveiller de notre insouciante torpeur morale.

Corona n’est donc pas seulement un virus, c’est une piqûre de rappel adressée à l’humanité. A mon sens, la civilisation n’a de sens que si elle permet de sauver l’homme en sauvant la nature, pas de gommer la nature. Notre destination ultime n’est pas de creuser une tranchée infranchissable entre la nature et la culture, c’est plutôt de comprendre que nous sommes dans une nature à laquelle nous devons une dette.  Nous ne pourrons jamais effacer cette nature qui, non seulement nous environne, mais aussi fait vibrer chaque molécule de notre organisme dans une mélodie quantique universelle et ce, quelle que soit la race à laquelle nous croyons appartenir. Notre identité biologique n’a pas attendu la science pour s’affirmer de façon apodictique dans nos fonctions biologiques les plus primaires.

Cette identité biologique de l’humanité est non seulement irréfutable, mais elle devrait désormais servir de fondement à toute éthique ultérieure. Si la maladie et la mort sont aussi mondialisées, la notion de frontière doit être revisitée ; révisée. Il y a plus d’investissement pour séparer les pays et les peuples que pour nourrir, éduquer et soigner l’homme. Quelle absurdité ! Des murs en béton armé, des barrières, des remparts de soldats pour barrer la route aux immigrants, une sécurité biométrique toujours plus avancée. On sépare les hommes, la vie les unit davantage. Ah l’humain !

La terre est destinée à être l’antre de la vie, nous l’avons transformée en front de guerre à cause notre cupidité. Les nations s’épient réciproquement, se méfient entre elles et  s’engagent dans une course impitoyable, non pour profiter des biens de la vie, mais juste pour en priver les autres. La sphère des animaux domestiques est suffisamment riche pour nourrir une humanité toujours plus ingénieuse à transformer le vivant. Mais il fallait qu’on ait l’outrecuidance d’aller coloniser encore des animaux sauvages sans nous soucier de leur rôle naturel dans l’écosystème. L’arrogance de l’homme envers la nature, et plus particulièrement envers le monde animal, n’a pas fini de lui révéler toute la nocivité de sa cupidité.

S’il est une vérité que le coronavirus nous apprend sur notre être, c’est qu’en réalité nous ne sommes rien sans les autres. En méditant sur nos interrelations depuis le début de cette pandémie, la conclusion qu’on doit en tirer est que l’usage des pronoms « je » et « moi » sont parfois des pièges de la logique dont il faut se méfier dans les relations humaines. Il nous faut par conséquent investir massivement dans l’éducation à la convivialité si nous voulons sauver l’homme et la terre.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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