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LA MORT DU TORERO

EN HOMMAGE A ME MBAYE JACQUES DIOP 

PAR BACARY DOMINGO MANE

Ce texte était publié dans les colonnes de sud quotidien le 14 septembre 2016. Je le republie pour rendre hommage à un grand homme d’Etat, Me Mbaye Jacques, en ce jour anniversaire de sa disparition (11 septembre 2016).

Ni le courage ni la hargne du torero ne viendront, cette fois-ci, à bout du taureau noir. On le savait malade, alité, affaibli…. Mais notre foi inébranlable a fait penser à un simple coup de corne du taureau qui n’empêchera pas au torero de se relever. Quelques courbatures, des cicatrices à peine refermées…rien de plus, le torero se relèvera ! Et pourtant…l’homme qui avait vaincu la peur, qui avait le goût du danger dans la gorge, se fera avoir par le taureau bluffeur.

Le nom de Me Mbaye Jacques Diop est écrit en lettres d’or dans la brume épaisse du petit matin de notre République. L’attachement à une République forte et indépendante, c’est là que résidait le sens de son engagement politique. La conviction chevillée au corps, tout ce qui faisait ombrage à ce sacerdoce, devenait alors sa cible privilégiée. Qu’importe la méconnaissance de celle-ci, à l’image du conjoint qui ignore tout de l’élue de son cœur, la fougue de jeunesse viendra combler la part du doute et de l’inconnu. Le torero défie, en permanence, sa cible qui devient ainsi le miroir de son degré d’engagement. La colonisation qui s’opposait au projet d’une République forte et indépendante, sur la base d’idées fallacieuses, ne résistera pas au travail de déconstruction du jeune socialiste « impénitent ».

Lors d’une conférence publique qu’il avait animée à Guinguinéo, sur la colonisation, le socialiste ne s’est pas privé de brocarder le système colonial qui se ventait de civiliser l’homme noir. « La colonisation n’est pas une œuvre philanthropique, mais plutôt une œuvre de domination » (voir livre de notre confrère, Sidy Diop, intitulé, Mbaye-Jacques… (2008). Le colon français considérait alors cette sortie comme un affront contre la « France-la-bienfaitrice ». C’est ainsi que le commandant de brigade de Guinguinéo le fait arrêter et le place en garde-à-vue. Le gouverneur de Saint-Louis est informé des agissements du jeune agent de la Météo (adjoint technique surnuméraire) qui a osé insulter la France lors d’une conférence publique.

De retour à Ouakam pour reprendre son travail, il apprend son licenciement (livre, Sidy Diop). Mais aucune blessure ne fera reculer le torero. Intrépide, il continuera son combat à Saint-Louis où Mbaye Jacques Diop suit une formation à l’école de l’élevage, après avoir passé avec brio le concours d’entrée (premier au concours). A cause de ses activités politiques et syndicales, il se fera délibérément dernier de sa promotion. Suffisant pour être affecté à Kédougou, en guise de punition. Après le congrès socialiste de Kaolack, il revient à Dakar – grâce à un lobby de ses camarades – au service de l’élevage qui se trouve en face de l’hôpital Le Dantec. Au terme de son stage, Dr Sulpice le note avec cette appréciation : « agent inemployé, inemployable, passe le plus clair de son temps dans des activités extra-professionnelles (politiques, syndicales ».

La note de 2/20 lui ferme la porte de la fonction publique (Sidy Diop, 2008). Ces colons français, pris dans le tourbillon de la vanité, refusaient tout à l’autre, jusqu’à la reconnaissance de sa dignité. Aveuglés par un pouvoir qui n’avait d’horizon que son destin funeste, ces colons arrogants ne se rendaient pas compte qu’ils étaient en train de charrier les gerbes de la contestation dans les rangs d’une jeunesse de plus en plus consciente de sa mission. Une jeunesse dont les mots pleins de sagesse de Fanon avaient fini de conquérir les cœurs : « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».

C’est la révolte des porteurs de pancartes qui avaient signifié à De Gaulle, le colon en chef, à la place Protet, que le Sénégal a brisé les chaînons de la domination et veut son indépendance hic et nunc. Mbaye Jacques Diop était en première ligne de ce combat. Ils vont ainsi « contraindre », l’homme du 18 juin, à s’adresser « d’abord » à cette jeunesse consciente : « Je veux dire un mot d’abord aux porteurs de pancartes. Voici ce mot : s’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent le 28 septembre… » Un des pères de l’indépendance de notre pays s’en est allé, comme par hasard, un mois de septembre, inscrivant définitivement son nom au panthéon de notre histoire.

Repose en paix, torero !

BACARY DOMINGO MANE

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