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Mort de Valéry Giscard d’Estaing – Un président si …

Entré à l’Elysée à 48 ans, avec l’image d’un président jeune et moderne, Valéry Giscard d’Estaing n’avait jamais renoncé à jouer un rôle de premier plan après sa défaite face à François Mitterrand. Il est décédé ce mercredi des suites du Covid-19, a annoncé sa famille.

L’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, âgé de 94 ans, est décédé mercredi soir « entouré de sa famille » et « des suites du Covid » dans sa propriété d’Authon (Loir-et-Cher), a annoncé son entourage. Hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois pour des problèmes cardiaques et pulmonaires, il fut le plus jeune président de la Ve République lors de son élection en 1974.

Même ceux qui sont nés bien après la fin de son mandat en 1981 retiennent une image de Valéry Giscard d’Estaing : celle de son théâtral « Au revoir », prononcé face caméra dans son fauteuil de l’Elysée avant de se lever pour gagner la porte de son bureau, dans un interminable silence. La scène, un brin ridicule, est devenue une séquence culte de la télévision. « J’avais mal calculé la distance qui me séparait de la sortie », expliquera plus tard l’intéressé.

A la rude défaite infligée par le socialiste François Mitterrand, pour la première alternance au pouvoir sous la Ve République, s’ajouteront l’humiliation des sifflets de la petite foule à sa sortie et la brûlure de la « trahison » du gaulliste Jacques Chirac, cause principale à ses yeux de son échec. A 55 ans, Giscard voyait pour la première fois son destin contrarié.

Un élève brillant qui n’ignore pas les tourments du siècle

Le problème de Giscard, selon le mot cruel de Raymond Aron, est qu’« il ne sait pas que l’Histoire est tragique ». Et pourtant… Certes, le jeune Valéry naquit le 2 février 1926 à Coblence (Allemagne), deuxième d’une fratrie de quatre, dans un cocon privilégié. Son père Edmond, grand bourgeois piqué d’aristocratie qui joignit le nom d’Estaing – un amiral de l’Ancien régime – à celui de Giscard, conservateur maurrassien et catholique fervent, mena une prestigieuse carrière d’administrateur financier dans le public et le privé. C’est du côté de son arrière-grand-père maternel, Agénor Bardoux, l’un des fondateurs de la IIIe République, que réside la fibre orléaniste libérale dont se revendiquera le président centriste, qui ambitionnera de rassembler « deux Français sur trois », titre de son livre en 1984.

Certes encore, l’élève brillant, habitué à surclasser ses condisciples depuis l’école élémentaire jusqu’à Polytechnique et l’ENA, grandit dans la quiétude des beaux quartiers parisiens et, l’été, dans la fraîcheur du château de Varvasse, à Chanonat près de Clermont-Ferrand, sur les terres familiales auvergnates. On y fait des parties de pêche aux écrevisses et des virées à bicyclette entre cousins et amis du village. « Chaque fois qu’il me parlait de sa mère, de cette enfance heureuse, il me demandait d’éteindre mon enregistreur, car sa voix se cassait sous l’émotion », confie son biographe Eric Roussel.

Mais le jeune homme à la haute silhouette n’ignore pas les tourments du siècle. Au contraire, il est hanté par la crainte de passer à côté de « l’Histoire, de la légende », écrit à ce sujet des lettres exaltées à son cousin François. Encore lycéen, il participe à la Libération de Paris en août 1944, armé de la mitraillette Sten des résistants. Puis s’enrôle à 18 ans, à la colère de son père, dans l’armée du général de Lattre marchant sur l’Allemagne hitlérienne. Son char, dénommé Carrousel, est le premier à pénétrer dans la ville de Constance le 26 avril 1945. Quatre jours plus tard, Hitler se suicide dans son bunker de Berlin.

Le 14 juillet suivant, décoré de la croix de guerre, VGE défilera sur les Champs-Elysées devant le général de Gaulle – dont il sera plus tard ministre des Finances, l’une des « fiertés » de sa vie –, avant de reprendre au pas de charge ses études et d’entamer au même rythme sa carrière politique.

Cette période tragique de la Seconde Guerre mondiale, et la nécessité de tout reconstruire, influera grandement sur l’engagement européen, fil rouge du troisième président de la Ve, qui sera l’un des pères, avec son complice le chancelier allemand Helmut Schmidt, de la monnaie commune européenne.

En politique, Giscard a beau être souvent dépeint en libéral, il gardera toujours ses réflexes dirigistes d’inspecteur des Finances – son corps à la sortie de l’ENA. A la différence d’un Georges Pompidou issu de la banque, il entretient un rapport rugueux avec le patronat. Même avec la famille Michelin : « Quand on les voyait à la messe à la cathédrale de Clermont-Ferrand, c’était chacun de son côté », témoigne Eric Roussel. Ce dernier insiste plutôt sur les profondes réformes de société – IVG, majorité à 18 ans… – du septennat.

« Je ne sais pas cuisiner mais je peux faire la vaisselle »

S’il a révolutionné la communication politique, il a paradoxalement échoué à se faire aimer des Français, à effacer la distance entre le monarque républicain empesé et le commun des mortels. La question le tarabuste longtemps. Après sa défaite, sonné, il s’invite dans le ranch que possède dans les Rocheuses canadiennes l’homme d’affaires Jean Frydman. « C’est rustique, il n’y a pas de service », l’avertit ce dernier. « Je ne sais pas cuisiner mais je peux faire la vaisselle », insiste Giscard. Au cours du séjour de… six semaines, dans leurs longues promenades à cheval, le battu ressasse auprès de son hôte son échec, paraît obsédé par l’idée de rétablir le jugement des Français à son endroit.

Les politiques n’échappent pas à cette froideur. Même après mai 1981, quand il s’attache à refaire le chemin à l’envers, borne après borne, redevenant élu local, régional (il présidera la région Auvergne de 1986 à 2004) et député du Puy-de-Dôme, puis prenant la tête de l’UDF, « il reste incapable de caresser les élus dans le sens du poil pour se constituer une garde prétorienne prête à mourir pour le ramener à l’Elysée », se désole encore un fidèle. Nicolas Sarkozy, admiratif du brio intellectuel de son lointain prédécesseur mais pantois devant son défaut d’empathie, a la bonne formule : « Giscard est embarrassé par ses sentiments. »

Il ne remettra plus les pieds en Auvergne

L’homme est pourtant un affectif, émotif même, versant ainsi une larme en direct en évoquant sa femme Anne-Aymone, ou n’hésitant pas à écrire une déconcertante bluette sur une défunte princesse… laissant du même coup courir le bruit, à la manière d’un collégien, d’une romance avec Lady Di. Au Conseil constitutionnel, où siégeaient les deux ex-présidents, Chirac en fit des gorges chaudes en présence de son éternel frère ennemi.

Aux régionales de 2004, défait de sa présidence de l’Auvergne, il est si vexé qu’il ne remettra plus les pieds dans la région. Il lâchera même, faisant visiter son nouveau château d’Estaing en Aveyron, que « les Aveyronnais sont des Auvergnats qui seraient aimables » ! En 2005, la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne, écrite par ses soins, met fin à son rêve de devenir président de l’UE.

Sarkozy, Cazeneuve, Darmanin parmi ses visiteurs

Depuis, entre deux conférences (fort bien) rémunérées à travers la planète, des piques régulières contre cette Europe empêtrée à 27 – il plaidait pour une Union à dix – et des sorties souvent acides sur la politique nationale, Giscard recevait, vieux sage matois, en son hôtel particulier de la rue Benouville (Paris 16e). Parmi ses visiteurs, Nicolas Sarkozy (pour lequel il appela à voter à la présidentielle de 2012 dans notre journal), l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, des ministres d’Emmanuel Macron tels Gérald Darmanin ou Sébastien Lecornu… Emmanuel Macron lui-même parfois comparé à Giscard? « Bien sûr, confirme l’entourage de l’ex-président, même si VGE a été agacé qu’il lui ait ravi son titre de plus jeune président de la Ve République. »

« C’est un personnage comme on n’en verra plus, le dernier homme politique du XIXe siècle, avec ses côtés modernes et son côté conservateur, sa culture tournée vers Maupassant, Tocqueville », décrit Eric Roussel.

Rue Benouville, son bureau lambrissé, à l’éclairage modéré à mesure que sa vision diminuait, est orné au haut des murs du service d’assiettes de Marie-Antoinette à Versailles. Incomplet, car un indélicat à qui Giscard en prêta jadis quelques-unes ne les rendit jamais ! Dans l’antichambre, une kyrielle de tableaux d’époque, dont certains liés « à l’histoire de la famille », insistait le maître des lieux. « Bruno Le Maire ne l’a pas reconnue non plus », nous glissa-t-il quand nous avions échoué à identifier un portrait de jeunesse de la Pompadour.

C’est encore Chirac qui provoqua – involontairement cette fois – l’un de ses derniers chagrins, quand on donna son nom au musée du quai Branly. Alors que nul n’a songé à celui de Giscard pour le musée d’Orsay, pour lequel il estime avoir beaucoup œuvré.

LeParisien

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