COVID 19 : Le « Crossing-over » des territoires !
Par Ousseynou TOURE
C’est un doux euphémisme de dire que sur le cahier de la décentralisation, quelques reflets du COVID 19 sont bien trempés. Le territoire libère une « génération spontanée » de cas communautaires. La peur étrangle nos concitoyens. Les exécutifs locaux étouffent sous la pression sociale, quoique des facilités, sous ordonnance, leur sont accordées, pour la prise en charge soutenue des besoins des communautés. Pratiques de terrain versus texte réglementaire.
Dans l’absolu, la décentralisation favorise un exercice de pouvoir adossé à un code. Réussir la décentralisation, c’est d’abord, et avant tout, mettre en place des entités territoriales capables d’initier, d’animer et de produire une action publique locale légitime, précisément, à travers le plein exercice des compétences qui leur sont confiées par les Etats eux-mêmes. Dans notre corpus juridique, l’article 3 du Code général des collectivités territoriales stipule que ces dernières « sont seules responsables, dans le respect des lois et règlements, de l’opportunité de leurs décisions ». Dans un contexte de COVID 19, cette disposition devient particulièrement intéressante. Ailleurs, en Europe, le débat fait rage, notamment sur une centralisation de tous les États devant la crise. Par exemple, la Russie est en train de vivre « le virus de la décentralisation ». Souvent présentée comme un pays centralisé à outrance, ce pays semble redécouvrir les vertus du fédéralisme dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Les rapports entre le Kremlin et les régions pourraient bien constituer l’un des enjeux politiques majeurs de la crise actuelle.
Ici, sous nos tropiques, le COVID 19 a démontré que le domaine de compétence de la santé transféré aux collectivités territoriales mérite un meilleur traitement. Cela exige des exécutifs locaux, une connaissance fine des enjeux sanitaires sur le territoire et son hinterland. Les structures médicales des collectivités territoriales pourraient être d’un apport fécondant dans le cadre d’une mutualisation avec celles étatiques. Face aux urgences, la prise en charge des « cas malades » suit une logique de disponibilité de centre d’accueil plutôt que celle de territoire. Tout simplement parce que les collectivités territoriales ne sont pas préparées à un choc externe aussi subite que frontal. L’Etat, dans sa globalité, impulse, agit et contrôle le processus de gestion des malades. La Collectivité territoriale, démembrement de l’Etat, observe, obéit et prend note des résultats du processus. Or donc, parallélisme des formes, le décrochage ne pas être aussi transparent et réel. L’Etat et la Collectivité territoriale doivent apparaître – en tout temps et tout lieu – comme deux rails parallèles qui suivent de façon synchrone, la même direction. Ceci est démontré par les senteurs des effluves du personnel de santé des structures médicales des collectivités territoriales remontés en surface, suite à la volonté de l’Etat de motiver le personnel signant. Pour simplement solliciter, d’être bien pris en compte dans l’exécution des futures indemnités. Normal. Ainsi, de ce qu’il renseigne, le COVID 19 ne constitue pas encore le lit de la territorialisation des politiques publiques sanitaires. Fort de tout ce qui précède, quelques éléments de réflexion sont ci-dessous consignés.
DABORD, se référant aux articles 16 et 17 du Code général des collectivités territoriales, des actions de solidarité et de coopération doivent être promues pour des investissements structurants en matière de santé. A l’instar de Abass Ndao et d’autres institutions sanitaires décentralisées, l’impératif pour les Collectivités territoriales de promouvoir, dans les autres centres urbains, des centres hospitaliers aux normes, s’impose, suivant une approche territoriale collectivement bien pensée et statutairement acceptable. D’autant que la fonction publique locale facilite, désormais grandement, la mobilité du personnel. Le temps des investissements structurants dans le domaine sanitaire par les collectivités territoriales a sonné. Aujourd’hui, les cases et postes de santé, qui essaiment, dans plusieurs localités, ont montré, dans ce contexte, les premières leçons apprises. Ici, gît toute la problématique des compétences partagées. Comment permettre aux collectivités territoriales, de gérer un domaine de compétence transféré dans toute sa plénitude, pour en faire bénéficier aux communautés, toute la valeur ajoutée, doit être bien envisagé.
ENSUITE, des contraintes de tous ordres (institutionnel, humain, financier) obèrent la mise en œuvre de la compétence santé par les collectivités territoriales. Mais celle qui s’avère être la plus tenace et la plus déterminante est sans nul doute l’insuffisance des ressources et des moyens par rapport aux attributions dévolues aux collectivités territoriales. Chaque compétence transférée exercée engendre des coûts qui sont, à la fois, liés à l’étendue et à l’ampleur des attributions. Il peut s’agir d’autres paramètres tels que l’étendue et le poids démographique, le niveau de couverture en équipements collectifs et en infrastructures, l’effectif des ressources humaines mises en contribution au plan technique. La particularité de la compétence santé s’explique, qu’au-delà de la cherté des médicaments et de la non-prise en charge du personnel communautaire par l’Etat, il existe d’autres facteurs liés à la faible opérationnalité des comités de santé et participation des services de santé au processus d’élaboration des budgets des collectivités territoriales. S’y ajoute, au niveau territorial, le problème d’appropriation de la carte sanitaire, marquée par la non-concordance entre le découpage administratif et le découpage sanitaire (entre 100.000 et 150.000 habitants) qui fait du district sanitaire la seule unité technique viable selon le corps médical. Il faut dès lors, évaluer le coût de la compétence transférée et estimer correctement les charges réelles pour permettre aux collectivités territoriales d’exercer, de façon efficace, la compétence sanitaire transférée.
ENFIN, le test réussi des opérations sous la modalité d’urgence, et SVP, en appui budgétaire, doit être surligné. Une première action d’atténuation bien visible vient d’être réalisée par les collectivités territoriales. Une modalité d’urgence raccourcissant, de façon considérable, les délais s’est opéré dans toutes les étapes d’approbation des questions relatives au COVID 19 (virement de crédit, réaménagement pour achat de vivres, gel, contribution au Force COVID 19 dans le cadre de la riposte). Cette nouvelle façon de faire doit amener l’exécutif local à inscrire toutes ses actions, en dehors du COVID, dans la célérité souhaitée et voulue par les populations. Cette option rassure d’autant que le législateur prévoit, conformément à l’alinéa 1 de l’article 14 du code général des collectivités territoriales, que « les actes pris par ces dernières font l’objet d’un contrôle de légalité exercé par les représentants de l’Etat ». Le cas de la Médina mettant en jeu l’exécutif local et l’Autorité administrative, dans le cadre du COVI 19, bruit, sur fond de polémiques, à la fois, légitimes et légales.
Sur la base de la mise en œuvre de la décentralisation en matière de santé, un accent particulier devra être mis, par les exécutifs locaux, sur le renforcement des capacités au triple plan institutionnel, technique et financier, pour :
- une meilleure formation du personnel (agents de santé, auxiliaires, etc.), information des acteurs ;
- une mise en place effective de cadres de concertation fonctionnels (facilitation de la communication) ;
- un renforcement des capacités des collectivités territoriales à procéder à l’application effective de mesures en matière d’hygiène et à l’amélioration du fonctionnement et de la gouvernance des comités de santé et des comités de gestion ;
- un renforcement des capacités des collectivités territoriales à réaliser des infrastructures sanitaires structurantes opérationnelles ;
- un renforcement du Fonds de dotation de la décentralisation aux plans des ressources, des procédures de mise en place, des modalités d’utilisation et de gestion ;
- etc.
En définitive, j’aboutis à la conclusion, pour m’en réjouir, que seul un croisement fertile ou « crossing over » entre plusieurs acteurs, voire territoires investis d’une mission similaire permet d’améliorer la résilience des communautés face au choc, comme le COVID 19.
Ousseynou TOURE, Spécialiste en communication et formation